L'accord italo-libyen d'amitié et de coopération qui a été au centre des conversations menées, à la ville de Benghazi, par le Leader libyen Maâmmar Ghadafi et « il presidente del Consiglio » Silvio Berlusconi, prouve, encore une fois, que l'énergie demeure la variable qui agit le plus sur la politique étrangère des pays européens. Outre le fait que l'énergie représente l'une des principales questions qui commandent, au niveau communautaire, la définition des perspectives d'élargissement de l'Union européenne, sa prédominance se manifeste surtout dans les relations bilatérales qu'entretiennent les différents Etats membres avec les voisins de l'Union. Pour le constater, il suffit d'observer la manière dont les pays européens gèrent les dossiers impliquant des voisins énergétiquement « riches ». La crise géorgienne a permis d'ailleurs de se conforter davantage dans cette opinion, en remarquant ce ton manifestement modéré sur lequel se sont adressées les capitales européennes à Moscou. A vrai dire, on ne peut qu‘en déduire que la question énergétique est susceptible d'apporter toutes les exceptions imaginables aux principes les plus solides sur lesquels se fonde la conviction politique de ces pays. Revenant à l'accord en question, celui-ci prévoit des réparations matérielles au profit de la Libye pour les atrocités commises au cours de la douloureuse époque coloniale (1911-1943), sous le règne des fascistes. Ainsi, les termes de cet accord renvoient a fortiori des excuses à Tripoli relativement au passé colonial italien en Libye. Alors que -ceux qui connaissent bien les équilibres politiques établis en Italie vont l'admettre- un tel pas n'est pas du tout facile à franchir. En effet, Silvio Berlusconi vient certainement de prendre le risque de déplaire à ses alliés, plus au moins explicites, de la droite italienne, notamment les partis radicaux comme la « Lega Nord » et les mouvements ultra-nationalistes, voire néo-fascistes, à l'instar de « l'Allianza Nazionale ». Rappelons-nous qu'il s'agit là de la même ligne que le président français Nicolas Sarkozy n'avait pas pu franchir à Alger quand il a ignoré de formuler des excuses explicites pour les pratiques coloniales françaises perpétrées en Algérie durant des longues et sombres décennies. Et ce malgré l'importance du positionnement d'Alger sur l'échiquier énergétique de la région et son statut de fournisseur incontournable sur ce plan pour les pays de l'Union européenne. A ce propos, il semble que la position del Cavaliere, avec sa solide majorité parlementaire actuelle, est assez confortable pour oser parapher ces dispositions rigoureuses dudit accord, sous la tente de Ghadafi, conformément à la coutume bédouine. Pourtant, c'est le même Berlusconi qui s'est attiré les foudres à cause de ces déclarations « brillantes » et « très intéressantes » sur la supériorité de la culture occidentale par rapport à la civilisation arabo-muslmane. « Eux … ils n'ont pas Mozart… », avait-il dit. Ce faisant, Berlusconi est égal à lui-même, car le machiavélisme de cet homme ne se démentit pas, comme le prouve parfaitement sa longue carrière politique. En effet, les réparations prévues par l'accord seront sous forme d'investissements italiens en Libye à hauteur de 200 millions de dollars sur une période de 25 ans. Or, il paraît évident que ces investissements vont essentiellement se concentrer dans le secteur énergétique. Vu l'immensité des ressources énergétiques du pays, une présence massive des italiens dans ce domaine serait très bénéfique à la Péninsule sur le plan de l'approvisionnement. Un gazoduc reliant les deux pays serait probablement une affaire d'or pour l'Italie qui exploite déjà un gazoduc en provenance de l'Algérie et traversant la Tunisie. Aux acquis en matière de sécurité énergétique viennent s'ajouter les mesures de sécurité inhérentes à la lutte contre l'immigration clandestine, très actives sur les côtes libyennes. Un autre détail de l'accord italo-libyen : un engagement italien à éliminer les mines remontant à l'époque coloniale ! Dans le cadre de la politique étrangère de la plupart des pays européens, le temps est ainsi mis à l'épreuve d'un jeu qui semble immoral et fatal : « transiger » sur le passé et sur les « époques révolues » pour servir les objectifs de l'avenir.