L'hémorragie des démissions dans les rangs des CPR et Ettakatol a non seulement plombé les ailes de ces deux partis mais a notamment modifié la donne au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) où les jeux de chaises musicales et de vases communicants ont pris leur pleine signification. Le lancement du parti Nidaa Tounes a compliqué la situation dans la mesure où nombreux élus de l'ANC ont fait défection à leurs familles politiques pour rejoindre Nidaa Tounes , créant ainsi un précédent dans les annales politiques tunisiennes et installant un climat de suspicion , situation ambigüe où un parti politique, en l'occurrence Nidaa Tounes, qui n'a pas pris part aux élections du 23 Octobre 2011, n'existant pas à ce moment, se trouve représenté par un certain nombre d'élus à l'ANC. D'ailleurs, il est question que Nidaa Tounes constitue son propre groupe parlementaire au sein de l'ANC, perspective que nombreux observateurs qualifient d'irrationnelle et de paradoxale. La question s'impose d'elle-même : Est-il recevable, d'un point de vue moral, politique et juridique, qu'un parti, qui n'a bénéficié d'aucune voix aux dites élections, soit représenté à l'ANC ? Le mot trahison est déjà lâché, de part et d'autre, soit le parti concerné et les membres démissionnaires. Chaque bloc impute à l'autre la responsabilité première de la cassure. D'aucuns ont accusé les personnes incriminées de déloyauté envers aussi bien leur parti que leur électorat, arguant que l'élu a été choisi par les électeurs sur le programme et l'audience de son parti, et à ce titre, est tenu de respecter cet engagement. S'en délier est un acte bafouant unilatéralement le pacte tacite conclu avec son parti et ses électeurs, fracture jugée injustifiable sur le plan politique et moral. Les coupables de tel retournement de veste ont rompu le lien de confiance et, à ce titre, leur mandat devrait être déclaré caduc. Pour d'autres, notamment les députés concernés, c'est le parti qui a trahit la ligne politique, en contractant des alliances bassement politiques, au mépris des principes structurant le parti et des choix préalablement convenus entre ses membres, d'où leur désengagement. De leurs avis, dès lors que le parti a dévié de son socle fondateur et fédérateur et utilisé les voix des électeurs à mauvais escient, les élus ayant dénoncé un tel détournement ont le droit de s'en dissocier. Donc, c'est par respect à leurs électeurs qu'ils ont démissionné de leur parti. Au-delà des alibis et contre-alibis, et des accusations réciproques de trahison, il y a une autre explication qui pourrait être avancée. Il n'est pas exclu que les députés en question, du moins une partie, aient estimé, par anticipation, que les prochaines échéances électorales seront réduites à une opposition, un duel, entre les deux grands partis politiques, ou supposés tels, à savoir Ennahdha et Nidaa Tounes. Et convaincus de ce scénario, et soucieux de leur carrière politique, ils ont misé sur le cheval potentiellement gagnant et rejoint le parti idéologiquement proche ou compatible. En tout état de causes, et quelles qu'en soient les motivations et les raisons, une lecture juridique est nécessaire pour statuer sur les dessous de cette affaire. En effet, la législation en vigueur et le règlement interne de l'ANC n'ont pas prévu un tel cas de figure, à savoir le changement de parti politique et de groupe parlementaire en cours de mandat, s'agissant notamment d'un nouveau parti qui n'a pas pris part aux élections du 23 Octobre 2011. Compte tenu de l'absence de dispositions législatives traitant de ce cas de figure, il n'y a donc pas, d'un point de vue strictement juridique, infraction. La question reste confinée dans le périmètre moral et l'ordre d'appréciation. Ceci relève avant tout de la cuisine interne des partis politiques concernés par les défections. Concernant maintenant Nidaa Tounes, nombreuses voix s'élèvent pour mettre en cause le bien-fondé de la démarche et, plaçant la question sur le plan moral, s'interroger comment celui-ci peut-il accepter de constituer un groupe parlementaire alors qu'il n'a pas participé aux élections et qu'il ne doit pas son existence à l'ANC au scrutin mais à la défection enregistrée dans les rangs d'autres partis politiques. De quelle légitimité pourrait se prévaloir Nidaa Tounes alors qu'il n'est point passé par les urnes ? En revanche, même si au niveau moral et même politique, la question se pose, et à juste titre, sur le plan juridique le propos est tout autre puis qu'aucune réglementation ne traite de ce cas. Donc, là également, il n'y a pas de blocage d'ordre législatif interdisant à Nidaa Tounes d'exister en tant que parti à l'ANC et de disposer, par conséquent, de son propre groupe parlementaire, le cas échéant. Par ailleurs, et selon un comptage qui reste toutefois à confirmer ou à rectifier, il semble que jusqu'ici environ 40 députés ont fait défection à leurs partis dont une partie (combien exactement ?) a annoncé officiellement son adhésion à Nidaa Tounes.