Les bretelles encore une fois remontés, épinglé jusqu'aux sourcils par ses alliés naturels saoudiens, Rached Ghannouchi continue à commettre les déclarations à effet d'annonce dont la Tunisie paie les pots cassés et les retours de manivelle. L'homme fort du pays, en véritable gourou d'ombre, s'est mêlé cette fois-ci les pinceaux suscitant la réaction à fleur de peau d'un royaume, moyenâgeuse dictature protégée, longtemps habituée aux actes d'allégeance, voire d'inféodation, et réfractaire à ne serait-ce un souffle critique. Il faut dire que du coté du Najd, il est interdit de réfléchir ou même de solliciter sa matière grise, l'or noir tenant lieu et place de pensée et de stratégie également. En gros, Rached Ghannouchi, évoquant le printemps arabe, a préconisé l'exemple marocain comme modèle d'évolution le mieux adapté aux pays du Golfe est l'exemple marocain. Il est indéniable que la bavure, si bavure il y a, n'est pas imputable au Cheikh mais incombe aux pontes du Golfe, toujours sur ses grands chevaux quand il s'agit de leur système féodal et familial de gouvernance. Pourtant, il n'y a rien dans ses propos qui soit assimilable à un acte d'ingérence dans les affaires intérieures de ces monarchies. En revanche, Rached Ghannouchi, longtemps familiarisé avec le sérail et la pensée unique des pays du Golfe et leur sensibilité épidermique contre toute idée d'ouverture de leur structure aussi clanique que cloisonnée, il aurait dû, pour conserver son crédit et son rang aux yeux des rois et princes, éluder ce genre de sujet. A moins qu'il ait voulu vraiment les écorcher sur la question, auquel cas il devrait aller au bout de ses idées et assumer vaille que vaille ses propos ainsi que sa vraisemblable chute d'audience auprès de ce parterre royal et ses courtisans. Le cas échéant, ce serait un acte de courage et de sagesse, tout à son honneur. Malheureusement, la situation est tout autre. Encore une fois, Rached Ghannouchi s'est rétracté et s'est débiné si l'on observe qu'aussitôt les leaders d'Ennahdha arrivent à la rescousse, pour maquiller la sortie de route et arguer l'impérissable déformation de propos. Comme à l'accoutumée, ce sont toujours les journalistes qui en sont les coupables tout désignés, le grand Rached Ghannouchi ne pouvant proférer des inepties. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que son bureau de presse joue les pompiers de service pour diluer les frasques médiatiques du Cheikh. C'est dire que le double langage est une culture chez les barons d'Ennahdha Le plus grave dans l'affaire est la réaction des médias saoudiens condamnant les propos en question et, en particulier, celle du Secrétaire Général du Conseil de Coopération du Golfe, Dr Abdul Latif bin Rashid Al Zayani, qui, tout en fustigeant les velléités d'ingérence et les rêves panislamistes enfouis de Rached Ghannouchi, a brandi l'arme de la menace d'une manière à peine voilée. Il n'a éprouvé aucun scrupule à a assener ” le gouvernement tunisien qui souffre d'une crise économique étouffante, laquelle crise ne peut être résolue qu'en attirant les investissements des pays du Golfe ou en comptant sur les aides directes du Golfe sous forme de dépôts à la Banque centrale de Tunisie“. Les propos sont tellement chargés de message pour en passer sous silence la teneur : D'abord, la servitude : On ne se retourne pas impunément contre ses maitres et ses bailleurs de fonds. Il est inadmissible qu'un relais du Wahhabisme, qui plus est longtemps choyé, soit coupable d'un tel revirement. Ensuite, le chantage : Si le gouvernement tunisien entérine officiellement la même position, le Conseil de Coopération du Golfe fermera les vannes des investissements et des aides directes. Un abject chantage dont les pays du Golfe ont longtemps fait leur marque de fabrique. Enfin, le mépris : L'ingérence est leur chassé gardée. Les récalcitrants sont flagellés. Seuls les pays du Golfe ont les moyens de faire acte d'ingérence, ce n'est pas le cas de cette petite Tunisie, pays pauvre devant obéir au doigt et à l'œil. Leur arrogance n'a d'égale que leur parjure. En conclusion, les pays du Golfe, notamment l'Arabie Saoudite, qui ne supportent guère un mot, même d'un fidèle serviteur, sur leur modèle archaïque et non moins tyrannique de gouvernance, ne s'embarrassent pas de fournir les armes, de financer la rébellion en Syrie et mener contre Damas une guerre médiatique aussi vorace que déloyale ou de dépêcher leur ” Bouclier de la Péninsule” (bras armé du Conseil de coopération du Golfe, une sorte de corps militaire commun mis en place en 1984 qui jusqu'ici n'a jamais été déployé) à Manama pour mater des manifestations déclenchées sur fond de clivages confessionnels. Les exemples de franche ingérence n'en manquent pas. Quand l'Arabie Saoudite infiltre les pays arabes et musulmans, à forte manne financière et forte dose confessionnelle, par lieutenants et complices interposés, pour inoculer puis propager le virus du Wahhabisme dans ces contrées, ce n'est point de l'ingérence, c'est juste une opération d'envergure pour ramener les égarés de l'Islam sur le droit chemin. Mais quand il s'agit de bafouiller la moindre parole un tantinet critique contre leur système tribal et leur culture despotique, ils réagissent au quart de tour et se rabattent immanquablement sur leur traditionnel arsenal de chantage financier. Par ailleurs, il est quand même paradoxal et non moins insondable de constater que, d'une part, le Maroc est invité, au même titre que la Jordanie, pour faire partie du Conseil de Coopération du Golfe ( soit une structure de coopération et de coordination englobant toutes les dynasties royales arabes) et, d'autre part, qu'il suffit d'évoquer le modèle monarchique marocain comme alternative pour que tous les sabres soient levés en guise de représailles. Est-ce fortuit qu'en dépit de nombreuses demandes d'extradition du dictateur déchue, l'Arabie Saoudite n'a jamais daigné répondre, au mépris de toutes les pratiques et les coutumes régissant les relations internationales. Le pouvoir Saoudien, a poussé même l'odieuse obstination jusqu'à conditionner la tenue de n'importe quelle réunion bilatérale de haut niveau, à Tunis ou à Riadh, à la disposition de la partie tunisienne à occulter ce point de l'ordre du jour. En bon élève, soucieux de ses rapports avec l'Arabie Saoudites, le gouvernement tunisien a avalé la couleuvre et n'en a pas pipé mot de vive voix, limitant sa demande et sa démarche à des requêtes adressées par écrit.