Jamais la Tunisie ni les tunisiens n'ont été plongés dans un tel climat général de dégoût, de désespoir et d'impuissance, le tout tendant vers une indifférence palpable qui s'installe de façon périlleuse dans les têtes et qui paralyse les esprits et les corps. Qu'elle est lointaine l'époque où le tunisien se sentait fier, et fanfaronnait en croyant avoir démontré au monde qu'il a été capable de prendre son destin en main. Cette euphorie là, n'a été qu'éphémère, vite dégagée par un sentiment d'amertume, voire chez quelques uns, de regret. Le tunisien s'est, petit à petit, rendu compte qu'il n'avait pas de classe politique sur laquelle il pouvait compter. La scène étant exclusivement occupée de vieux loups, aux dents acérées malgré l'âge et à l'appétit aiguisé par des décennies de disette, n'ayant à l'esprit que la recherche du profit et de l'intérêt personnel. Ces loups, le tunisien a appris à les classer en deux meutes. Une meute au pouvoir qui, au lieu de prendre soin du pays et des citoyens, n'a d'yeux que pour son portefeuille, c'est à qui raflerait plus que les autres et en un temps plus court que les autres. La deuxième meute, celle de l'opposition, n'a pas d'autres soucis que de parvenir au pouvoir, à n'importe quel prix, se souciant aussi peu que les autres du citoyen et de ses tracas. Toutefois, la meute de l'opposition se tourne de temps en temps vers le citoyen, histoire de le manipuler et de l'utiliser comme force de pression, en le jetant dans la rue qu'il fasse chaud ou qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il grêle, alors qu'eux ils se la coulent douce dans des salons feutrés et des couloirs sombres, à deviser et à diviser la tarte promise par un illustre politicien de la place. Devant tant d'animosité et de bêtise, le tunisien a pris, au départ, le parti de voir, d'observer, de discuter, voire d'essayer de comprendre. Puis, assez rapidement, il s'est résigné devant tant de médiocrité, et il a choisi de faire le dos rond, de se serrer la ceinture et de vivoter, nourri de l'espoir que cet état de choses ne peut plus durer et que de toutes les façons, çà ne pouvait plus empirer puisqu'il ne pouvait pas s'imaginer qu'il pouvait y avoir pire. Or c'est là qu'il se trompe le tunisien, car de pire il n'a encore rien vu, et ce qui vient s'annonce effrayant à force d'absurdité. On s'est attaqué à sa façon de vivre, à sa sécurité, à son avenir, à ses sous... de façon à ce qu'il s'est résigné à se terrer chez lui, tel un gibier traqué. Le genre de gibier qui ne sait plus qui veut l'abattre, est-ce le chasseur ou sont-ce les autres carnassiers, le gibier qui devient tétanisé par l'angoisse. Le tunisien a, donc, fini par être dégoûté de tout ce qui se trame autour de lui, et par être devenu insensible aux multiples et successifs coups de butoir qu'il ne cesse d'encaisser chaque jour un peu plus. Il a compris qu'il n'était, en fin de compte, que le dindon de la farce. Et, chose très grave, il a sombré dans une torpeur et une absence de réactivité totales nourries par la perte de sa confiance en tout ce beau monde. Un grand bravo, donc, pour cette brillantissime classe politique qui a su, en l'espace de quelques mois, réaliser le miracle de mâter un peuple qui avait pourtant la réputation d'être digne et d'être difficile à écraser. Quoique le mérite de cette classe politique soit plus ou moins timoré, quand on sait qu'ils n'ont pas eu le mérite d'inventer ce qu'ils ont réalisé, il leur aura suffi de copier les exploits de leurs illustres prédécesseurs, tel que leur maitre à tous, Hitler.