Les négociations de coulisses sur le nouveau gouvernement battent leur plein, suspendant l'opinion publique à la moindre fuite d'information. Chaque jour son lot de nouvelles, toujours de sources sûres ou autorisées, mais en fait rien à se mettre sous la dent. Un vrai serpent de mer dont tout le monde parle mais personne n'en voit l'acabit. Les scenarii fusent de toutes parts. Le parti vainqueur, à savoir Nida Tounes (NT) croule sous le poids des crispations internes et autres tensions dans ses rangs. La deuxième force politique, le parti Ennahdha, égal à lui-même et fidèle à sa ligne, manœuvre à tout-va pour faire partie de la coalition gouvernementale. Le Front Populaire brandit le sabre de la conditionnalité et agite l'épouvantail du boycott. Il aime être à l'opposition, posture qu'il maitrise le plus, mais se garde de franchir clairement le pas. Quant à L'UPL et AT, ils sont beaucoup plus parties de décor que véritables protagonistes. Habib Essid, bombardé à la présidence du gouvernement dans un concours de circonstances dont personne ne saisit les dessous, ne semble guère avoir la main haute sur les tractations. Il multiplie les contacts et les consultations sans en piper un orphelin mot. Un silence assourdissant, aussi pesant qu'une chape d'opacité. Ce qui laisse suggérer qu'il n'est point le maitre d'œuvre et que tout se joue pratiquement à son dos, à Carthage. Déjà, avant de vraiment gouverner, il donne l'image d'un homme dépassé, effacé et incapable de cogner fort sur la table. Pourtant des noms sont soufflés ci et là. Certains sont crédibles et d'autres farfelus. Le parti Ennahdha se démène pour imposer sa liste noire. NT, lui-même déchiré par sa propre guerre des ailes, semble faire le jeu. Aujourd'hui, Ennahdha est perçu comme le principal paramètre de l'équation. Il divise NT et avance à découvert dans le processus de composition de l'équipe gouvernementale. Quelque part, les résultats du scrutin, qui ont redessiné la nouvelle donne politique et le nouvel équilibre des forces, ne sont pas vraiment tenus en ligne de compte. Ennahdha, qui a perdu les élections, tient à recomposer le paysage selon ses vues et ses intérêts, revendiquant, entre autres, la neutralité des fonctions régaliennes de l'Etat. Dans ce cadre, d'aucuns estiment qu'Ennahdha ne focalise, en réalité, que sur un seul Département, en l'occurrence le Ministère de l'Intérieur et abat toutes ses cartes pour maintenir, à sa tête, Lotfi Ben Jeddou, pour d'obscures raisons. Voilà son principal enjeu. A l'autre rive, NT, bien qu'il ait gagné, haut la main, les élections, semble céder au chantage et à la pression, rechignant à assumer sa stature et son rôle et à s'élever au niveau de son électorat dont le message est on ne peut plus clair, à savoir barrer la route au retour de la Troïka, et Ennahdha en particulier. Les tunisiens ont élu NT pour gouverner et non pour mettre leurs voix aux enchères politiques. Ils ne souhaitent guère voir entrer par les fenêtres de la compromission et de l'arrangement tacite ceux qu'ils ont délogés par les urnes. Pour l'électorat NT, il s'agit là d'une ligne rouge. A défaut, NT risque d'être lâché par sa base et, à terme, de subir l'implosion. En revanche, NT est conscient que, fort de ses 69 sièges à l'ARP, Ennahdha garde l'essentiel de ses forces et toute sa capacité de nuisance. En ce moment, NT est en quête d'un équilibre qu'il ne parvient pas encore à identifier. Les pesanteurs internes altèrent la marge de manœuvre et l'aptitude de trancher dans le vif. NT est en train de concédé un terrain qu'Ennahdha s'évertue à occuper. C'est de bonne guerre. Toujours est-il que les électeurs tunisiens s'étaient prononcé sur une trajectoire qu'il incombe à la classe politique d'en suivre les contours. C'est aussi cela la démocratie. En tout cas, au-delà de leur nature et de leur configuration, les différentes options et formules gouvernementales envisageables ne sont pas exemptes de lignes de frictions et de trames de fond, chaque scénario étant plus chargé de défis et d'enjeux que l'autre. Il ne s'agit guère d'une simple opération d'addition ou de soustraction, et encore moins d'une course à n'importe quel compromis ou prix, mais bel et bien d'une solution politique éminemment urgente, qui peut être négociée mais aucunement précipitée ou galvaudée. En conclusion, le nouveau gouvernement, quelle qu'en soit la composition, aura forcément du pain sur la planche. Il sera en face de grands chantiers à ouvrir et à finaliser, et d'une montagne de défis à relever, dans un contexte d'incertitude et de pression, dans la mesure où les attentes sont tout aussi énormes et tout aussi pressantes, voire même oppressantes.