Youssef Chahed (YC), bombardé chef de gouvernement, contre toute attente et à contre-pied de toute logique de consensus censé prévaloir dans un dialogue national, a bénéficié de deux atouts : sa jeunesse et son allégeance, voire son obédience au président de la république. Est-ce fortuit que Habib Essid (HE) soit évincé par la petite porte au moment où ce dernier a commencé à donner des signes d'indocilité, voire d'indépendance par rapport à Carthage ?! En politique, il n'y a pas de coïncidence, rien que l'intérêt qui prime. Il y a toujours une anguille sous roche. Même son allié naturel, présumé un temps irréductible et inconditionnel, à savoir Ennahdha, pour des raisons bassement politiciennes et partisanes, l'a lâché comme un fruit pourri quand il s'attendait le moins. La probité n'étouffe pas les formations et les hommes politiques, à la grande frustration d'HE, qui aura appris, malheureusement à ses dépens, qu'en politique, tous les coups tordus et bas sont permis. Quand les coulisses supplantent les urnes, quand le peuple est écarté d'un processus le concernant en premier, il n'y a plus de lignes rouges ou de garde-fous. En tout cas, cette désignation a torpillé l'idée même de gouvernement d'union nationale. Ce n'est pas l'âge d'YC en soi qui pose problème, bien au contraire, la désignation d'un jeune homme à la primature est un message fort à l'adresse de la jeunesse tunisienne. Nul doute que le sang neuf est un gage de créativité, d'originalité et de renouveau mais uniquement quand le timing, la situation et le besoin se prêtent à ce genre d'ouverture. Pas quand le contexte politique national est houleux, le chantier socioéconomique titanesque et l'aspiration populaire plus que grande. Ce grand atout de jeunesse pourrait s'avérer un grand handicap pour YC et une pierre d'achoppement au sein de son futur gouvernement. Par contre, c'est au niveau de son vécu d'homme d'Etat que le bât blesse. De quelle expérience pourrait-il se vanter ? Que connait-il des arcanes de l'Etat ? Un chef de gouvernement qui n'est pas le pur produit de la fonction publique, qui n'a pas fait ses gammes et ses preuves au cœur de l'Etat n'a pas l'étoffe et le coffre de conduire un gouvernement. Le parcours politique de YC est trop bref et récent pour en faire un homme politique chevronné et rassurant. La Tunisie, au bord du chaos à divers plans, a-t-elle besoin d'un tel profil ? Le doute est permis ! Béji Caid Essebsi (BCE), en bon démocrate qu'il prétend être, a annoncé son initiative sans faire un tour de table, encore moins, par correction et sens de l'Etat, sans en informer ou en consulter sa victime, en l'occurrence HE, et a poussé la désinvolture jusqu'à nommer son remplaçant, à savoir YC, sans se conformer aux principes que le dialogue national a pourtant convenus. De toute évidence, et en conséquence, la désignation n'est pas le produit de la négociation engagée, au départ, dans un esprit de consensus ou le fruit d'un compromis mais bel et bien d'un passage en force, d'un coup de poing autant fulgurant que surprenant. BCE, certainement avec l'assentiment de son nouveau compagnon de route, le gourou Rached Ghannouchi (RG), a fait cavalier seul, forçant la main à ses interlocuteurs, dérogeant à un ordre moral et politique dont il n'a cessé de rebattre toutes les oreilles. Par cette insolite et polémique désignation, peut-être que BCE, avec la complaisance sinon la complicité de son alter ego RG, a voulu réparer trois erreurs de poids, qu'il a commises, après le dernier scrutin législatif, en rapport surtout avec HE et aussi NT. D'ailleurs, et comme par magie, depuis l'annonce de l'initiative présidentielle de gouvernement d'union nationale, les rangs de NT semblent plus serrés, la guerre des ailes s'est tue et les déclarations fracassantes ont cessé (il est vrai que la dissidence de Mohsen Marzouk et de ses condisciples en est, en partie du moins, pour beaucoup). Est-ce un hasard que, depuis, les pontes et autres grosses légumes de NT soient devenus mieux disciplinés, plus modérés et moins belliqueux ?! Il n'est pas interdit de penser que l'initiative présidentielle est un pain bénit pour NT, peut-être même une manœuvre beaucoup plus au profit de ce parti politique qu'au service de l'intérêt national. Sur un autre plan, et excepté les partis formant la coalition gouvernementale démise, les autres participants n'étaient là que pour amuser la galerie et donner crédit à une négociation truquée à l'avance. Rien que des comparses dans un navet produit par Carthage. L'opportunisme politique prenant le pas sur la position de principe. Même un mauvais perdant, naguère figure emblématique, comme Ahmed Néjib Chebbi, s'est empressé à mordre l'appât à pleine bouche et à s'en casser les dents, comme d'habitude diraient méchamment certains, à juste titre d'ailleurs. Dévorés par la quête de pouvoir, les cinq partis participant au soi-disant dialogue national, n'ont vu que du feu, incapables de comprendre que la messe est dite depuis le lancement de l'initiative présidentielle. Il ne s'agit que d'une pièce de théâtre de mauvais goût et de fruste mise en scène que, les deux vieux briscards, deux lurons en symbiose, en vrais lascars, ont réglé, au détail près et au préalable, en coulisses. D'aucuns estiment que BCE n'oserait jamais, alors que NT, son bébé, n'est plus le premier parti à l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) en termes de nombre de sièges, lancer son projet de destituer Habib Essid et de désigner un autre chef de gouvernement, issu de NT, sans l'aval de son non moins vieux compère RG ?! Ce dernier a consenti nombre de concessions à BCE pour ne pas négocier et obtenir un nombre conséquent, tout au moins proportionnel à son poids électoral, de portefeuilles ministériels dans le nouveau gouvernement. Le deal ne serait invisible que pour les aveugles. En conclusion, l'éviction d'HE pour désobéissance et l'intronisation d'un poulain, d'un homme de main, ne laisse trainer aucun mystère sur la volonté de BCE de mettre la main sur tout l'Exécutif et faire main basse sur le gouvernement, au mépris des dispositions pertinentes de la Constitution. BCE tient à avoir un pied légal à Carthage et un pied louche à la Kasbah. Pourrait-il tenir longtemps ce grand écart d'autant plus qu'il est bien établi qu'il est difficile de s'asseoir entre deux chaises.