La guerre contre les lobbies mafieux et contre les parrains de la corruption et de la contrebande semble bien partie. Elle a, même, démarré sur les chapeaux de roues. Ce début de campagne a donné une sorte de coup de fouet au moral des tunisiens. Ils reprennent, un tant soit peu, goût aux informations, et se remettent à vivre, sortant péniblement de leur hibernation dépressive. Confiant de l'effet de sa campagne, Youssef Chahed a annoncé, ce soir, sur le perron du palais du gouvernement, avec un brin de théâtralisme finement mis en scène, qu'il avait à choisir entre l'Etat ou la corruption, et il a choisi la Tunisie. Il a promis que la bagarre sera conduite jusqu'au bout, et a demandé, à l'occasion, aux tunisiens de s'unir derrière lui, pour la réussir. Tout cela est bien beau, et prometteur. Mais ce qui resterait à clarifier, et ce qui mettrait, pour de bon, du baume au cœur des tunisiens, c'est de savoir, quand il parle d'avoir l'intention d'aller jusqu'au bout, de quel bout il parle ? Car c'est vrai que les corrompus et les parrains des malversations, du temps de Ben Ali avaient saigné les finances du pays et ses citoyens, et se sont amassés des fortunes à ce manège. C'est vrai, aussi, que les tunisiens aimeraient bien les voir traduits en justice et payer pour leurs forfaits... Mais Chahed ne devrait pas oublier que ce qu'avaient fait ces « mafieux » à l'époque de l'ancien régime, était une douce promenade de santé, devant le calvaire que les tunisiens ont enduré les trois premières années après leur « révolution ». Les tunisiens sont unanimes pour dire que les corrompus d'autrefois sont des enfants de chœur devant les nouveaux sangsues issues de la révolution. Et, de ce fait, les tunisiens ne seraient, réellement comblés, et satisfaits de l'action du chef du gouvernement, que lorsqu'il ne s'arrêtera pas en si bon chemin aux mafieux d'autrefois, et qu'il continuera la grande lessive pour dévoiler et punir les malversations, les détournements, et les mises à sac des deniers de l'Etat qui se sont passés lors du règne de la Troïka. Les tunisiens voudraient demander des comptes à ceux qui ont détourné le milliard du don chinois. Ils voudraient que soit puni celui qui a gâché des milliards dans l'affaire de la Banque de Tunisie. Ils voudraient comprendre comment des gens fraichement sortis de prison, sans le sou, sont devenus des archi milliardaires sans aucune peine. Ils voudraient que soient interrogés ceux qui ont ruiné l'industrie et les finances du pays en inondant le marché de broutilles turques... En bref, et pour ne pas être trop longs, comme l'a si bien dit, ce soir, Youssef Chahed, si les tunisiens sont enthousiastes de voir les anciens mafieux trainés devant la justice parce qu'ils s'étaient enrichis à leurs dépends, ils seraient autrement plus contents et satisfaits, si cette opération « mains propres » touche, aussi, ceux qui les ont appauvris et réduits à la mendicité au bout de trois ans. Voilà ce que veulent les tunisiens, et voilà comment Youssef Chahed pourrait s'assurer de les avoir unis, debout, avec et derrière lui, dans cette entreprise !