Le torchon brûle entre les partenaires au gouvernement. Youssef Chahed est torpillé de partout, même par son parti. Il ne sait plus de quel côté donner de la tête, devant la prolifération des critiques et des appels, à peine voilés, à descendre le gouvernement. La scène politique tunisienne n'est plus qu'un cirque de triste facture et son élite, du moins une bonne frange, un ramassis de guignols, à la fois à plaindre et à condamner, mus par d'obscurs agendas et des guerres d'arrière-garde. L'intérêt personnel ou partisan supplante l'intérêt national. Rien que des visions étriquées et des approches inconséquentes. Le bouclier politique des partis au gouvernement, dont Youssef Chahed est censé bénéficier, n'a pas fonctionné dès le départ, maintenant c'est un vœu pieux, voire un euphémisme de mauvais goût. Plutôt un gouvernement de désunion nationale. Membres de la coalition gouvernementale, "Jamhouri" et "Afek Tounes" ont décidé de claquer la porte de la Kasbah, de quitter ou de boycotter le Pacte de Carthage mais aussi et surtout de limoger leurs représentants au gouvernement, devant le refus de ces derniers de donner suite à la décision de leurs formations politiques d'en démissionner. Tiraillés entre les sommations de leur direction de rompre les ponts et les injonctions du chef du gouvernement de ne pas quitter le bateau, ils ont choisi, à juste titre d'ailleurs, de rester à bord et de poursuivre leur mission. Après son retrait officiel du Pacte de Carthage, "Afek Tounes" accuse une autre flambée de démissions, et non des moindres. La dernière en date est signée par le député et dirigeant, Karim Helali, qui, en signe de protestation et à titre de signal d'alarme, a lui aussi démissionné. La saignée s'arrête-t-elle là ou un autre lot se retirera du parti dans les prochains jours ? Yassine Brahim est-il conscient qu'il est lui-même le problème et que s'il continue à faire cavalier seul, "Afek Tounes" partira en vrille comme d'autres partis dont l'omnipotence, l'ego démesuré et la myopie de leur gourou ont réduit en miettes. Premier effet direct que le scrutin législatif partiel en Allemagne a précipité : le front Nida Tounes/Ennahdha s'est fissuré, fragilisant encore plus le gouvernement. Le divorce annoncé est maintenant acté. Nida Tounes a vite dégainé en cassant l'alliance et en tordant le cou au compromis prévalant jusqu'ici entre les deux partis. Désormais, Ennahdha n'est plus un partenaire mais bel et bien un adversaire. Une volte-face où Nida Tounes est passé maitre ! Les deux noyaux durs de la politique de consensus ne sont plus en tandem mais en duel. Véritable fracture ou réaménagement tactique ? L'argument bombardé par Nida Tounes frise le grotesque. Comment se fait-il que ce ne soit juste maintenant que Nida Tounes découvre que son projet de société (qu'il qualifie de moderniste et de nationaliste) est à rebord de celui d'Ennahdha ? On aurait dit que ses leaders se sont réveillés brusquement d'un état comateux pour ouvrir les yeux sur l'évidence même. A en croire que, pour Nida Tounes, la politique n'est qu'une histoire de retournements de veste et de poignards au dos. S'emparer du butin, quitte à pactiser avec le diable. Comme à la guerre, tous les coups bas sont permis en politique où il n'y a ni principes ni hommes mais justes des intérêts et des parts de gâteau. Pour Nida Tounes, il s'agit avant tout d'un aveu d'échec, une sorte de mea culpa, suite à son désengagement et à sa déloyauté à l'égard de son électorat après les élections législatives et présidentielles de 2014. Tout compte fait, le "vote utile" n'était qu'un pur slogan de campagne, un appât bassement électoral, une coquille vide. Le parti a sombré dans le discrédit et la dissidence. Aujourd'hui, il se démène pour lancer une nouvelle offensive de charme et tenter ainsi de récupérer, d'une part, une partie de sa base qui, se sentant trahie, a désavoué sa politique de partenariat avec Ennahdha, et d'autre part, d'ouvrir ses rangs à d'autres hommes politiques, qu'ils soient indépendants ou démissionnaires de leurs partis. Un mercato partisan où suintent les arrangements de coulisses et les relents mercantiles. Aux dernières nouvelles, Nida Tounes a réclamé un remaniement ministériel pour modifier la donne gouvernementale et répartir les portefeuilles selon le poids électoral de 2014, de sorte que, "la représentation des partis politiques au sein du gouvernement soit en adéquation avec les résultats des élections législatives de 2014″. Sortir une telle déclaration, tout en restant dans le Pacte de Carthage (dont l'idée de gouvernement d'union nationale est le pilier central), n'est pas seulement un paradoxe mais une vue de l'esprit. Une autre pique dans le dos de Youssef Chahed et un autre clou dans le cercueil de ce gouvernement d'union nationale. En Tunisie, on fait la politique comme on brasse l'air ! L'histoire politique récente tunisienne enseigne qu'Ennahdha, en véritable mante religieuse, a tué tous ses amants. N'importe quel parti qui s'en approche est voué à une mort clinique. Où est le "CPR" ? Où est "Ettakatol" ? Où est "Jamhouri" qui a longtemps multiplié les appels au pied et fait les yeux doux pour un destin présidentiel ? Tous ceux qui se sont alliés, directement ou indirectement avec Ennahdha ont fini les dents cassées et les reins brisés. Des partis, qui ont obtenu plus de vingt sièges aux élections législatives de 2011, n'en comptent maintenant qu'un seul sinon aucun à l'Assemblée des Représentants du Peuple. Quelle fracassante déchéance sur tous les plans ! Par contre, la mante religieuse continue de s'adosser à un poids électoral, politique et parlementaire autrement plus significatif. Voilà, après plus de trois ans, Nida Tounes veut laisser comprendre qu'il a eu tort et qu'il a fait son autocritique, dans la perspective, vraiment hypothétique, de sauver des meubles déjà abîmés et renflouer une barque déjà à la dérive, au bord du naufrage. Les leçons qu'on tire tardivement ne sont que des boulets, comme avoir enfin un peigne pour un chauve.