En pleine recomposition des équilibres géopolitiques mondiaux, la Chine poursuit son offensive diplomatique en direction de l'Amérique latine. Mardi 13 mai 2025, à l'occasion de l'ouverture d'un sommet entre Pékin et les pays membres de la Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes (Celac), le président Xi Jinping a annoncé un crédit massif de 66 milliards de yuans, soit 8,3 milliards d'euros, destiné à soutenir le développement de la région. Dans un discours à tonalité clairement stratégique, le dirigeant chinois a dénoncé les « harcèlements » et « l'hégémonisme » – une allusion à peine voilée aux Etats-Unis – tout en réaffirmant son attachement à une coopération « souveraine, équitable et mutuellement bénéfique ». Une manière de poser Pékin en alternative crédible à Washington dans le jeu global des influences. Un crédit comme levier d'influence face au déclin de l'hégémonie américaine Cette enveloppe financière n'a rien d'anecdotique : elle s'inscrit dans une dynamique bien plus vaste d'expansion chinoise, qui utilise l'investissement économique comme outil diplomatique. En tendant la main à l'Amérique latine dans un moment où les tensions sino-américaines connaissent une accalmie technique, Pékin cherche à profiter du reflux de l'influence américaine dans son propre « arrière-cour » historique. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, présent à Pékin pour une visite d'Etat de cinq jours, ainsi que ses homologues chilien Gabriel Boric et colombien Gustavo Petro, ont marqué leur adhésion croissante à la stratégie chinoise. Cette dernière s'articule notamment autour de l'Initiative "la Ceinture et la Route" (les « Nouvelles routes de la soie »), à laquelle deux tiers des pays latino-américains ont déjà souscrit. Le cas colombien est révélateur : le président Petro a confirmé son intention de rejoindre officiellement l'initiative. Cette dynamique pourrait changer profondément la cartographie logistique et politique de la région en orientant ses axes de développement vers l'Asie plutôt que vers le Nord. La guerre commerciale USA-Chine comme toile de fond L'annonce du crédit chinois survient au lendemain d'un accord provisoire entre Pékin et Washington pour réduire mutuellement les droits de douane punitifs imposés depuis 2018. Une désescalade fragile : les surtaxes américaines sur les produits chinois vont baisser à 30 %, tandis que Pékin réduira les siennes à 10 %. Mais pour Xi Jinping, cette accalmie ne signifie pas l'abandon du rapport de force. « Personne ne peut gagner une guerre commerciale », a-t-il déclaré, avant de marteler que le harcèlement et l'unilatéralisme ne mènent qu'à l'isolement. Cette déclaration s'adresse autant aux dirigeants latino-américains présents dans la salle qu'aux observateurs internationaux. En mettant en avant une approche multilatérale, inclusive et orientée vers le développement, la Chine cherche à se positionner comme le garant d'un ordre mondial "post-américain", tout en offrant une alternative économique concrète aux pays du Sud. Une vision à long terme centrée sur les infrastructures L'Initiative de la Ceinture et de la Route, lancée en 2013, constitue le pilier central de la stratégie internationale chinoise. En proposant des projets d'infrastructures (ports, routes, chemins de fer, centrales électriques), Pékin maîtrise les chaînes logistiques et renforce son influence dans les pays bénéficiaires. En Amérique latine, des projets d'ampleur sont déjà en cours ou à l'étude, notamment au Brésil, au Pérou, au Chili, en Argentine ou en Equateur. Ces accords permettent à la Chine non seulement d'assurer son approvisionnement en matières premières (lithium, cuivre, soja...), mais aussi d'installer durablement ses entreprises et son modèle économique dans des zones historiquement proches des Etats-Unis. Une stratégie d'encerclement doux L'approche chinoise n'est pas conflictuelle dans la forme : elle repose sur l'offre, les partenariats et le financement. Mais dans le fond, elle est redoutablement efficace. Pékin ne se contente pas de rivaliser avec Washington : elle recompose les alliances régionales autour de ses intérêts, en proposant aux pays latino-américains un modèle de développement fondé sur la stabilité, la croissance, et une forme d'indépendance vis-à-vis de l'Occident. Ce crédit de 8,3 milliards d'euros apparaît donc moins comme un simple geste de solidarité que comme un instrument d'intégration stratégique, dans une région devenue un terrain majeur de la nouvelle guerre d'influence mondiale. Reste à savoir si les Etats-Unis réagiront avec une contre-proposition concrète, ou s'ils continueront à voir leur espace diplomatique se réduire face à une Chine patiemment installée sur les ruines d'un ordre unipolaire. Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!