La Turquie va libérer 38.000 détenus de droit commun dans le cadre d'une réforme du régime de liberté conditionnelle alors que les prisons sont pleines après les purges qui ont suivi le coup d'Etat manqué du mois dernier. L'assouplissement des conditions de libération anticipée est l'une des mesures figurant dans deux décrets publiés mercredi au Journal officiel sous le régime de l'état d'urgence déclaré pour trois mois quelques jours après le putsch avorté du 15 juillet. Le gouvernement n'a pas donné de raison à cette réforme pénale. Les décrets prévoient aussi le limogeage de 2.360 policiers, d'une centaine de militaires et de près de 200 employés de l'autorité nationale des technologies de l'information et de la communication (BTK). Tous sont accusés d'avoir des liens avec le prédicateur Fethullah Gülen, présenté par Ankara comme l'instigateur de la tentative de putsch. Ex-allié du président turc Recep Tayyip Erdogan et devenu son grand ennemi, Fethullah Gülen, qui vit en Pennsylvanie aux Etats-Unis depuis 1999, nie toute responsabilité. La réforme assouplit les conditions requises pour obtenir une libération conditionnelle : les prisonniers devront avoir accompli la moitié de leur peine (contre les deux tiers jusqu'à présent) et avoir encore moins de deux ans à purger (contre un an auparavant). La mesure exclut les détenus condamnés pour terrorisme, meurtre et crimes sexuels. Dans un entretien à la chaîne de télévision A Haber, le ministre de la Justice Bekir Bozdag a déclaré que 38.000 personnes seraient libérées dans un premier temps, mais qu'au final, 93.000 personnes pourraient bénéficier du programme. Bekir Bozdag n'a pas donné d'explication à cette réforme, qui intervient alors que la population carcérale a triplé en Turquie au cours des 15 dernières années. PREMIÈRE INCULPATION Selon des chiffres du ministère de la Justice obtenus par l'agence de presse Anatolie, quelque 213.500 prisonniers se trouvaient dans les prisons turques à la date du 16 août, soit 26.000 de plus que la capacité maximale. Les décrets publiés mercredi prévoient par ailleurs la fermeture de l'autorité des télécommunications (TIB) et autorisent le chef de l'Etat à nommer à la tête des forces armées n'importe quel général ou amiral, alors que le choix était jusqu'alors limité au chef d'état-major d'un des trois corps d'armée. La réforme permet aussi à l'ancien pilote de l'armée de l'air de reprendre du service, la Turquie manquant de pilotes après le limogeage de militaires dans le cadre de la purge. Recep Tayyip Erdogan, accusé dès avant le coup d'Etat manqué de dérive autoritaire, accuse Fethullah Gülen et ses partisans d'avoir infiltré les institutions de l'Etat pour créer un "Etat parallèle" dans le but de s'emparer du pays. La police turque a procédé à 40.029 interpellations dans le cadre des enquêtes sur le 15 juillet et 20.355 ont donné lieu à des placements en détention, a annoncé mercredi le Premier ministre Binali Yildirim, lors d'une allocution télévisée. Dans les services publics, notamment l'armée, la police et l'appareil judiciaire, 79.900 personnes ont selon lui été démises de leurs fonctions. Le chef du gouvernement a en outre fait état de la saisie de 4.262 entreprises et institutions soupçonnées d'entretenir des liens avec Gülen. Mardi, la première inculpation accusant formellement Gülen d'avoir été l'instigateur du putsch manqué a été présentée dans la province d'Usak, a annoncé l'agence de presse Anatolie.
L'enquête, qui a duré 11 mois, porte sur les faits qui sont reprochés à Fethullah Gülen à partir de 2013, mais accuse aussi le prédicateur d'avoir organisé un groupe "terroriste" armé pour renverser le gouvernement, abroger la Constitution et assassiner le président Erdogan le 15 juillet. Le dossier d'inculpation, qui court sur plus de 2.200 pages, demande sa condamnation à deux peines de réclusion à perpétuité ainsi qu'à 1.900 années de prison, plus à des amendes se comptant en dizaines de millions de livres, précise Anatolie. L'acte cite un total de 111 prévenus, dont 13 sont déjà en détention. Les Etats-Unis ont dit avoir besoin de preuves solides pour se décider pour une extradition de Fethullah Gülen. Mais il n'est pas clairement établi qu'Ankara ait déjà déposé une demande officielle en ce sens.