L'initiative de Hamadi Jbali concernant un gouvernement de compétences ne cesse de défrayer les chroniques et de susciter les commentaires les plus variés, voire les plus contradictoires. Cependant, en gros, tout se cristallise autour de la position favorable et de la position défavorable à cette initiative. Du coup, en face du grand appui que semble recueillir le président du gouvernement de la part de l'opposition démocratique et de la société civile, d'aucuns se concentrent surtout sur les proportions de ces deux attitudes au sein de l'assemblée constituante, étant de plus en plus acquis que le prochain gouvernement Jébali, (si l'on y arrive), gagnerait à gagner sa validation symbolique par un vote à ANC. C'est donc l'occasion de calculer les voix et de spéculer sur la question « Passera, passera pas ? ». Les derniers chiffres en date donnent 113 voix contre le projet Jébali et 97 voix contre. Sept voix n'étant pas encore décidées. Or dans les voix contre, on compte un ensemble de 15 voix appartenant à deux blocs politiques de caractéristiques particulières : il s'agit du Front populaire (8 voix) et Al-Aridha Ech-chaabia (7 voix). Ces deux blocs reprochent pourtant à Hamadi Jébali de jouer, à sa manière ou de concert, le jeu d'Ennahdha et sert ses intérêts. Donc, la principale question à poser, c'est sans doute de savoir si ces deux blocs vont, eux aussi, servir les intérêts d'Ennahdha (et ses associés) en contribuant à l'éjection de son Secrétaire général. Autrement dit, qu'est-ce qui, politiquement, peut rapprocher ces deux blocs des opposants à Jébali plutôt que de ses partisans ? Sinon, peut-on penser à une abstention de principe, ce qui ramènerait les deux proportions à 98 voix défavorables et 97 voix favorables. Du coup, les 7 voix indécises (à supposer qu'on puisse les gagner ou les « stipendier ») ne sont plus à même de réaliser la majorité nécessaire pour gagner le vote symbolique revendiqué par la plupart des formations politiques. Néanmoins, il importe de souligner peut-être le rôle que jouerait la présidence de la république ou le parti du président dans son alliance inaliénable avec Ennahdha, malgré la théâtralisation d'un bras-de-fer entre eux, beaucoup plus perçu comme un négoce que comme une collaboration intelligente et d'intérêt général. En effet, si l'on sait ce qu'Al-aridha, par la voix de son chef de file, a fait pour se faire reconnaître et accepter par Ennahdha et si l'on se rappelle les propos fulminants de Hechmi Elhamdi contre Jébali et son initiative (avec même un dernier recours au président), on est en droit de s'attendre à une coalition stratégique entre les deux frères ennemis de la famille des partis à référentiel islamiste. Reste alors le Front populaire qui a toujours paru faire cavalier seul, par cohérence idéologique ! Mais là aussi, il y a tout lieu de croire à l'éventualité d'une connivence avec l'ancien camarade de l'opposition, en l'occurrence Moncef Marzouki, dont les canaux de concertation, voire même les signes de sympathie, n'ont peut-être jamais été rompus avec Hamma Hammami et Radhia Nasraoui, comme avec d'autres anciens opposants. A croire que le président provisoire serait en train de ressouder un certain esprit du groupe du 18 octobre, en l'élaguant de ceux qui pourraient rompre leur ban. Sur le terrain, on n'en est peut-être pas encore là. A chaque opération son temps propice. Aujourd'hui, le temps est à recomposer un puzzle subitement chambardé par le président du gouvernement. Certains y trouveraient leur chance de rachat, comme d'autres semblent trouver la leur dans le malheureux assassinat de feu Chokri Belaïd. Ainsi est la politique, dans un monde comme il va.