Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, a déclaré tout récemment sur une radio privée qu'il est contre l'interdiction du niqab. Il n'a pas manqué de souligner que le combat du Front populaire n'est pas un combat contre la religion mais plutôt contre une idéologie politique qui prend la religion comme caution d' un projet politique. Le discours du « camarade Hamma » a changé en conséquence pour mieux tenir compte de la « dimension islamique de l'identité culturelle » du peuple. De la religion « Opium du peuple », il est passé à l'urgence politique du respect le plus pieux des « rites sacrés » du peuple ! Demain, le « camarade Hamma » justifiera la fin de l'IVG et de la contraception au nom de la «liberté inaliénable des femmes et des hommes musulmans pratiquants». Comment peut-on interpréter cette position du porte-parole du Front populaire ? Politiquement correct ? Calcul électoraliste? Une fraction de la gauche, frappée d'amnésie et prise par une logique politique opportuniste évidente, veut oublier que parmi les tirs croisés portés contre la modernité, il y a celui du port du niqab. En effet, il est étonnant de constater combien la gauche radicale est favorable à la prolifération du port du niqab. Le moins que l'on puisse écrire est que la gauche radicale n'est plus en première ligne pour défendre les conquêtes de la modernité et les droits des femmes, contestés par les partisans de l'Islam politique. Sur la scène politique, seuls quelques-uns défendent publiquement une position progressiste et appellent un «chat un chat» : l'apparition du niqab dans l'espace public constitue en soi une mise en crise des acquis de la femme et un message négatif envoyé aux femmes qui n'ont d'autre choix que de le porter. La société apparaît aujourd'hui comme un laboratoire pour les partisans du wahabisme. A l'aide de leurs compagnons de route, vrais ou faux naïfs «de gauche», ils pourront mettre un peu plus encore la pression sur les femmes, sommées de donner des gages de respectabilité et de pudeur en portant le niqab. On voit à travers cette attitude pro-niqab, la crise de la culture critique suite à la disparition totale d'une théorise de l'aliénation balayée avec le référentiel marxiste de la gauche. Une femme qui, aujourd'hui, déambule dans les rues sans corps ni visage, sans paroles ni sourires, sans regards ni attitudes serait ainsi quelqu'un qui aurait choisi … ! Il y a des niqabs intellectuels qu'il faudrait songer à enlever. Et pour cette fois, il n'est pas sûr que les femmes en soient les victimes exclusives. Pourtant, les partisans du wahabisme continuent de bénéficier du soutien complaisant de ceux qui, naguère, fustigeaient «l'Opium du peuple»: une grande partie de l'extrême gauche qui se trouve en flagrant délit de contradiction politique sinon idéologique avec son référentiel intellectuel. Alors pourquoi le « camarade Hamma » condamne-t-il la position anti-niqab? Cette attitude qui est celle d'une certaine élite laïque et peu croyante s'explique par la volonté de devenir populaire qui engendre souvent une régression intellectuelle amenant parfois à des attitudes ridicules et surprenantes -y compris et surtout pour les gens du peuple avec qui on veut faire la «jonction»-. Derrière le respect du peuple et de sa culture dont on cherche à couvrir de telles régressions, se cache souvent un profond mépris, souvent inconscient, des populations dont on veut se rapprocher. On pense que le peuple est incapable d'évoluer et de comprendre autre chose que les conceptions et les pratiques séculaires fondées sur l'ignorance, l'obscurantisme et l'intolérance. Alors, pour gagner sa sympathie et son soutien, l'avant-garde ou l'élite, qui cherche à le diriger, croit bien faire en se mettant à son niveau, pour se retrouver loin derrière les éléments les plus arriérés de la société. Avec le temps, la tactique devient stratégie et les idéaux de la modernité sont oubliés, voire combattus comme une «agression à l'identité du peuple» et un «reniement à ses valeurs authentiques». Ce processus est illustré par la multiplication des cas de transfuges, venus grossir les rangs des islamistes, ou de ceux qui prêchent la collaboration avec ceux-ci. Par naïveté, aveuglement ou opportunisme, certains progressistes autoproclamés –certaines «féministes» aussi– relaient les thèses des wahabistes cherchant à autoriser presque partout le port du niqab : à l'école, dans les entreprises, dans les administrations. De ce fait, une partie de la gauche radicale placent entre parenthèses l'engagement, qui devrait être commun à tous les démocrates, en faveur de l'émancipation des citoyens, de l'égalité hommes-femmes et de la neutralité de l'Etat. Ce qui est inquiétant, c'est que cet engagement subit des ratés de plus en plus fréquents. A quand le réveil des progressistes et de la gauche sur ces questions brûlantes ? Il est quand même paradoxal que les intellectuels qui se disent fidèles aux valeurs de la modernité se soient faits qualifiés de «nouveaux réactionnaires» parce qu'ils s'oublient dans un aveuglément étonnant face à une idéologie effectivement typiquement réactionnaire.