S'il est communément admis que le principal acquis de ce que l'on s'entend à désigner par « la révolution tunisienne », c'est la liberté d'expression dans les médias et dans les espaces publics, il n'en reste pas moins vrai que cette même liberté est menacée aussi bien par des facteurs endogènes que par des facteurs exogènes. Il conviendrait donc d'analyser la situation en toute objectivité et en toute sérénité, d'ouvrir même un débat public à ce propos, pour éviter certains déboires capables de se muer en fâcheux dérapage. C'est au nom de cette nécessaire sincérité que l'on voudrait, ici, contribuer à ce moment de franchise et de vérité. Il faut d'abord reconnaître qu'au nom de dépassement des abus du passé, il y a eu dans les médias, depuis le 14 janvier 2011, une inflation, une diarrhée même d'un semblant de liberté qui n'était pas très loin de l'anarchie et de la dévalorisation de certains principes inaliénables du fonctionnement d'une société étatisée. Le phénomène se justifiait peut-être d'une longue frustration et de la pression d'un besoin longtemps opprimé. Il n'en reste pas moins que cette énergie explosive avait beaucoup trop duré, en dehors d'un minimum de discipline et de respect, guère de trop dans un projet de reconstruction rationnelle d'une société et de relance de sa dynamique de développement. Ne nous attardons pas trop sur certaines légèretés qui sonnaient comme des vulgarités sur des plateaux ressemblant plus à des rings qu'à des espaces de communication publique. Concentrons-nous plutôt sur ce qu'il conviendrait de considérer de l'ordre de l'institutionnel. Rappelons-nous la première Haica : au-delà de tout ce qu'elle avait réalisé de méritoire et de respectueux, ne pourrait-on pas lui reprocher la façon, quelque peu cavalière et peu réaliste, pour ne pas employer d'autres termes, dont elle avait attribué des autorisations de radios et de télévisions ? On n'avait pris le temps qu'il fallait, ni mis l'attention requise à vérifier la fiabilité des financements supposés des projets avancés, à prévoir les garanties nécessaires pour une bonne gestion des ressources humaines et la dynamique d'employabilité, à se soucier des spécificités requises dans les lignes éditoriales supposées à la base de tels projets, etc. Au résultat, des droits bafoués, des obligations non respectées, dans certains cas pour insuffisance de moyens, dans d'autres par simple opportunisme et par cupidité pécuniaire. Du coup, c'est l'exploitation pure et simple des jeunes diplômés, qu'on avait inconsciemment encouragée, au profit de certains préférés de la première Haica. Ne la blâmons pas trop quand même ; elle était au premier bout de chemin de la liberté, et nous savons combien ces premiers pas peuvent être maladroits. Puis vint l'empire de la troïka et son vrai complot contre le système des médias, jugé peu complice, même pas favorable au pouvoir en place. Certaines entreprises médiatiques pirates sont alors encouragées, voire même financées à la douce, soi-disant pour rééquilibrer la balance. Du coup, c'est le marché qui est déstructuré et tout le secteur qui est en danger de dislocation, sauf pour quelques-uns ; encore leur faudra-t-il un temps assez long et plusieurs sacrifices. On a même vu certains responsables politiques de grande symbolique refuser d'accorder des entretiens à des médias officiels pour en donner aux pirates ! N'est-ce pas drôle, pour celui qui ne sait pas ce qu'il y a dessous ? Venons-en à l'actuelle Haica qui, à la différence de la première, jouit d'une assise juridique et constitutionnelle de grande aisance. Elle non plus, pour le petit bout de chemin franchi, n'a pas été à l'abri de certaines maladresses. Il y a d'abord la précipitation et le flou qui ont présidé à l'appel à candidatures pour la direction générale de la Radio et de la Télévision tunisiennes. En effet, dans ce genre de procédures, la préparation des dossiers de candidature nécessite du temps et des informations ; elle exige des compétences et des éléments précis d'évaluation, surtout un programme crédible projeté dans l'avenir du secteur et ses défis. En livrant ces dossiers à la dissertation impressive, la Haica a ouvert la porte à un arbitraire que certains de ses membres se pressent de dénoncer aujourd'hui, avec une odeur de politisation, d'un côté ou de l'autre. Le gouvernement a peut-être une part de responsabilité dans cette crise inopinée ; n'empêche que c'est la Haica qui est responsable du vide que le gouvernement a cherché à combler à sa manière. Comme notre propos ici a pour objectif de seulement soulever la question, finissons par des détails qui, vus de près, s'avèrent à effets plus grands et plus importants que leur dimension apparente. On citerait par exemple certaines sanctions contre des médias, ressenties, pour la plupart, comme relevant d'un arbitraire de l'ordre du « Deux poids, deux mesures ». Mais passons. Parlons plutôt de cette démarche de régularisation de la situation des radios pirates : au nom de quelle légalité et de quel esprit d'équité chercher une telle solution ? A moins qu'il n'y ait de l'occulte dessous une telle démarche. D'ailleurs, de ce point de vue, un autre détail relèverait d'une extrême bizarrerie, sans cette dimension occulte précédemment évoquée : c'est la sanction contre la radio NOUR, consistant en une amende de 50 mille dinars, étant entendu que cette radio est une radio pirate ! La Haica sait-elle qu'en collant cette sanction à Radio Nour, elle l'a officialisée comme média reconnu, méritoire des droits du secteur autant qu'elle a été reconnue redevable d'obligations et même de sanctions. Osons croire qu'il s'agit d'une simple maladresse, voire d'une méconnaissance du langage du droit, car cela est pardonnable jusqu'à un certain point. Autrement, quelle déception, déjà au début de l'excursion !