Le Fonds monétaire international (FMI), qui a célébré son soixantenaire en 2004, est l'une des institutions mondiales les plus importantes, mais aussi les plus critiquées. Pour certains, c'est une organisation rigide qui a souvent freiné le développement des pays pauvres et qui porte une lourde responsabilité dans les graves crises qui ont touché les pays de l'Est asiatique et la Russie. D'autres, au contraire, le considèrent comme une instance de dialogue et un instrument de coopération internationale, pas plus responsable des récentes crises que les pompiers ne le sont des incendies. Dans cet ouvrage très clair, concis et riche en informations, Patrick Lenain, ancien cadre du FMI aujourd'hui à l'OCDE, nous introduit dans les arcanes de cette institution. Il nous présente son histoire et son organisation, ainsi que les débats qui ont eu lieu à son sujet. De façon succincte, mais avec rigueur, il montre comment l'évolution des conditions et des conceptions économiques a influencé l'institution. Les participants à la conférence de Bretton Woods de 1944, qui a conduit, entre autres, à la création du FMI et de la Banque mondiale, voulaient mettre en place un système financier permettant d'éviter les dévaluations compétitives des années 30. Trente ans plus tard, avec l'expansion des marchés et la mobilité grandissante des capitaux, le FMI s'est tourné vers les pays en développement. M. Lenain consacre un quart de son ouvrage aux crises financières qui ont eu lieu au cours des vingt dernières années : l'ensemble de l'Amérique latine en 1982, le Mexique en 1994, l'Asie du Sud-est en 1997, la Russie en 1998 et, par la suite, le Brésil, la Turquie et l'Argentine. C'est sur l'action du FMI, avant, pendant et après ces dernières que porte le débat actuel. Le FMI a joué un rôle de premier plan dans certaines réussites notables, en particulier deux initiatives lancées par les Etats-Unis. La première, le plan Brady, du nom du Secrétaire au Trésor d'alors, a contribué à résoudre les problèmes d'endettement de l'Amérique latine. La seconde, menée par le Secrétaire au Trésor, Robert Rubin, a mis un terme à la dépréciation du peso. Mais, s'agissant du rôle du FMI dans les crises survenues depuis 1997, le débat reste ouvert. Dans le cas de l'Asie de l'Est, le FMI a été critiqué pour plusieurs raisons. En plus de ne pas avoir pris assez tôt la mesure du risque associé à l'endettement extérieur du secteur privé, il aurait commis diverses erreurs tactiques dans sa réaction immédiate aux événements. On lui reproche également, ce qui n'est qu'à moitié justifié, d'avoir fait pression sur les gouvernements des pays concernés afin qu'ils adoptent des politiques budgétaire et monétaire excessivement rigoureuses. M. Lenain passe en revue ces critiques, mais il passe un peu rapidement sur le point qui est peut-être le plus important. Les crises asiatiques, et certains événements ultérieurs, seraient-ils survenus si les capitaux internationaux n'avaient pas été aussi mobiles qu'ils ne l'étaient dans les années 90 ? Probablement pas. En effet, si les banques occidentales avaient pu moins facilement accorder des prêts aux institutions financières thaïlandaises, celles-ci n'auraient peut-être pas pris autant de risques de change. Or, le FMI a contribué à promouvoir la mobilité des capitaux à court terme, et a fortement recommandé aux gouvernements emprunteurs d'assurer la convertibilité de leur monnaie, pour les opérations financières comme pour les transactions courantes. Depuis ces crises, l'opinion internationale, et le FMI lui-même, tendent à considérer que la libéralisation des capitaux à court terme devrait suivre et non pas anticiper une réglementation nationale renforcée. Certes, quelle que soit l'attitude du FMI, la mobilité croissante des capitaux demeurera sans doute un trait majeur du développement international. Et la quête de la meilleure rentabilité possible par les investisseurs privés, qui renforce les perspectives de croissance à long terme, peut néanmoins augmenter l'instabilité financière sur certains marchés émergents. Dans le contexte actuel de mondialisation croissante, M. Lenain s'interroge sur le rôle que devrait jouer le FMI. S'il se range aux côtés des défenseurs de cette institution, il plaide toutefois en faveur d'une surveillance plus étroite et de la création de facilités de prêt plus souples. Il expose également certaines propositions institutionnelles que l'auteur de ces lignes estime être parmi les plus novatrices de ces dernières années. À la suite des crises asiatiques, Jeffrey Sachs, entre autres, avait plaidé pour la création d'un équivalent international des tribunaux de faillite. Cette proposition, sorte d'extension du Chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-Unis, a été avancée un certain temps par Anne Krueger, premier directeur général adjoint du FMI. L'argument était le suivant : en offrant une protection temporaire aux Etats souverains en cessation de paiement, l'existence d'une autorité internationale faciliterait grandement le processus de restructuration et de redressement. On aurait attribué à la nouvelle instance le pouvoir d'intervenir dans les contrats de droit privé conclus entre créanciers et emprunteurs. Mais les gouvernements et les financiers n'y étaient pas encore prêts, et la proposition fut enterrée. Mais elle pourrait refaire surface, et l'on répondra à ceux qui invoquent le risque de conflit d'intérêt entre la fonction de juge international des faillites et la fonction traditionnelle de bailleur de fonds du FMI qu'il est possible d'éviter ce risque en accordant un statut indépendant et quasi-judiciaire à l'organe qui exercerait la fonction de juge des faillites. Mis à part quelques points sur lesquels l'auteur de ces lignes est en désaccord, ainsi qu'un chapitre légèrement obscur sur les modèles économiques, il serait difficile de trouver meilleure introduction au FMI et aux controverses qu'il a suscitées. On ne peut que souhaiter qu'il soit traduit en anglais, et conseiller sa lecture à tous ceux qui désirent se familiariser rapidement avec l'histoire, le fonctionnement et le rôle de cette importante institution. Le FMI, de Patrick Lenain, Collection Repères, Editions La Découverte, 4e édition, Paris, 2004 ; ISBN 2-7071-4338-3 ; www.collectionreperes.com. *Georges de Ménil est professeur de Sciences économiques à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESSParis- Jourdan Campus des sciences économiques) et professeur auxiliaire à la New York University, Stern School of business. Georges de Ménil est également le fondateur de la revue Economie politique. Voir www.economic-policy.org