En marge de la tenue des Journées de l'Entreprise (1er et 2 décembre 2006) à El Kantaoui, M. Theodore AHLERS, Directeur au Département Maghreb Bureau régional MENA à la Banque mondiale, nous a entretenu de la situation économique générale dans les pays de la région du Maghreb. S'il estime que la croissance et les fondamentaux des économies des pays de la région sont bon, et s'il considère qu'il y a eu des avancées notables dans certains domaines, il n'en demeure pas moins convaincu que la seule solution pour baisser le chômage de façon significative, c'est de créer les conditions d'une croissance forte, laquelle passe obligatoirement par l'investissement privé. Au passage, il pointe le doigt sur d'autres points à améliorer. Pour commencer, selon vous, aujourd'hui quel est le défi majeur des pays du Maghreb ? Le défi essentiel de tous les pays de la région, c'est la création d'emploi. Il est clair que les pays du Maghreb ont enregistré des croissances honorables au cours des dernières années, mais il faut une croissance plus forte qui soit à même d'absorber les nombreux demandeurs d'emploi qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Ceci étant, ces pays ont un atout également majeur, une grande richesse, celui d'une population jeune sur laquelle il faudrait capitaliser. Comment faire ? Vous savez, en économie, il n'y a pas de miracle. Pour absorber ces demandeurs d'emploi, il faut davantage d'investissements privés. Nous devons souligner, à cet égard, que la situation est différente dans chaque pays du Maghreb, mais d'une façon générale, je pense que les choses se sont améliorées dans chacun des pays. Commençons par l'Algérie. Les autorités algériennes ont entamé la réforme du secteur bancaire et financier, avec la privatisation prochaine d'une des banques publiques algériennes. Je pense que c'est une bonne chose, d'abord parce que cela contribue à l'amélioration des services des banques algériennes à l'égard de leur clientèle, et une gestion plus efficace de ces banques d'autant plus que le système actuel est très coûteux pour le contribuable algérien. Dans le cas du Maroc, ils ont toute une série de mesures qui ont été déjà mises en place. Cela se voit aujourd'hui dans l'augmentation importante au niveau de l'investissement privé et aux investissements directs étrangers (IDE), ce qui s'est traduit par une réduction du taux de chômage, même si le taux de croissance de 5% des 5 dernières années est insuffisant à terme pour faire face aux besoins de création d'emploi. Pour ce qui est de la Tunisie, on peut dire que, concernant des investissements directs étrangers, la performance est plutôt bonne ; on peut toujours espérer davantage. Mais combien faudrait-il de points en termes de croissance à la Tunisie, par exemple, pour faire face à la demande additionnelle d'emploi ? Cela dépend de l'objectif visé. Je sais que les autorités tunisiennes ont décidé de doubler le revenu par habitant et de réduire le taux du chômage de 14 à 10% au cours des dix années à venir. Vu la jeunesse de la population tunisienne, pour atteindre ces objectifs, il est nécessaire d'avoir un taux de croissance qui tournerait autour de 7% (contre 5% au cours des dernières années). Cependant, à mon avis, le niveau de l'investissement privé actuel ne contribue pas énormément à ce taux de croissance ; cela se fait une année s'il y a une bonne pluviométrie, mais pour atteindre ces objectifs, il faudrait une croissance à long terme. Alors pourriez-vous nous dire pourquoi l'investissement privé national est si faible en Tunisie ? Je pense que c'est une question posée par tous les acteurs économiques y compris les autorités du pays. Il est évident qu'il n'y a pas de baguette magique qui puisse changer les choses, mais je crois que la réflexion qui est en cours pour revoir, d'une manière générale, le climat des investissements est une bonne chose. Dans ce cadre, une seule chose me paraît importante, c'est de recréer la confiance des investisseurs. D'ailleurs, une des récentes enquêtes de l'IACE auprès des entreprises a montré une chute de leur confiance dans l'avenir ; et si mes souvenirs sont bons, c'est le plus bas depuis 4 ans. Alors, il faudrait donc poser la question de savoir pourquoi, malgré les réformes qui sont mises en place au cours des dernières années, cela n'a pas suffi à redonner confiance aux investisseurs nationaux. Je pense que ce qui est mis en exergue, le plus souvent, c'est la lourdeur de l'administration, le fait que les lois ne sont peut-être pas toujours claires et surtout que celles-ci ne sont pas appliquées à tous les acteurs de la même manière. Quelles soient vraies ou fausses, c'est une perception qui tue l'investissement. En fait, cette façon de juger les choses est finalement une conviction au niveau de la Banque mondiale parce que vous nous teniez les mêmes propos l'an dernier jour pour jour lors des Journées de l'Entreprise Attendez, il ne s'agit pas d'une conviction béate, mais une constatation. D'ailleurs, l'enquête de l'IACE est une autre indication que c'est le cas Ceci dit, je dois tout de même admettre que certaines choses se sont améliorées, mais il y a des points sur lesquels je ne constate pas d'amélioration depuis l'année dernière lorsqu'on a parlé de ce sujet. Malgré tout, que fait la Banque mondiale pour aider les pays du Maghreb ? Ce que la Banque mondiale essaie de faire dans tous les pays du Maghreb, pas seulement en Tunisie, c'est aider les autorités à identifier les problèmes spécifiques à leur pays Toutefois, les défis majeurs, disons-le bien, diffèrent d'un pays à l'autre, même si, d'une manière générale, ils sont confrontés aux mêmes types de problèmes, essentiellement la création d'emploi Donc, pour les pays du Maghreb centrale (Tunisie, Algérie et Maroc, NDLR), il faut noter que les activités du savoir, des connaissances sont la plus importante, parce que ces pays, notamment la Tunisie et le Maroc, ont accès au financement de plusieurs sources, l'Algérie aux ressources provenant des hydrocarbures. Nous continuons nos financements au Maroc et en Tunisie, mais je pense l'activité de conseil et d'analyse est la plus importante pour aider les autorités à bien identifier les contraintes, et de voir, dans le contexte spécifique de chaque pays, quelles sont les mesures à mettre en uvre pour y répondre. Les bailleurs de fonds institutionnels internationaux misent beaucoup sur les privatisations des entreprises dites étatiques. Mais des pays comme la Tunisie qui a presque tout privatisé, quelle est leur marge de manuvre dans l'accroissement de l'investissement extérieur ? Quels que soient ces investissements extérieurs ou nationaux, je pense que le plus important, c'est l'augmentation de la capacité de production, d'autant plus que, souvent, les investissements extérieurs, à part l'apport financier, constituent souvent un moyen de transfert de nouvelles technologies et de savoir, et surtout un moyen d'avoir accès à des nouveaux marchés, à des nouveaux réseaux de distribution. Encore une fois, vu le niveau des dépenses publiques (c'est-à-dire des Etats) et compte tenu du fait que les investissements publics ne peuvent pas être augmentés d'une façon importante, à mon avis, la seule solution à la question de création d'emploi qui nécessite une croissance plus forte-, c'est une augmentation de l'investissement privé. Sur ce point, la Tunisie a encore du chemin. Il ne fait pas de doute que l'Algérie dispose aujourd'hui de liquidités énormes. Y aurait-il un mécanisme au niveau de la Banque mondiale, par exemple, pour qu'une partie de la manne soit investie dans les autres pays qui n'en ont pas assez ? La Banque mondiale donne des prêts aux pays qui sont éligibles ; l'Algérie n'a plus besoin pour le moment parce qu'elle possède des ressources suffisantes provenant des ventes des hydrocarbures ; le Maroc et la Tunisie continuent d'emprunter auprès de la Banque. Mais il faut veiller à maintenir la stabilité économique. La situation fiscale de la Tunisie est relativement bonne ; la gestion financière du Maroc s'est beaucoup améliorée ces dernières années. Par conséquent, ces deux pays ont accès au financement de l'Union européenne, de la Banque africaine de développement, des fonds arabes, de la Banque mondiale... Donc, je pense que dans aucun de ces deux pays, le financement ne constitue une contrainte particulière, mais le problème réside dans le comment mobiliser davantage l'investissement privé. Pour revenir à la question de création d'emploi, et à l'analyse de la situation, on peut dire que chaque année beaucoup d'emplois sont créés, parce qu'en Tunisie, par exemple, le taux de chômage est pratiquement resté stable autour de 14%. Il est évident, il y a création d'emplois, d'autant plus que vu la pyramide d'âges du pays il y a plus d'entrants sur le marché du travail chaque année que des gens qui en sortent. Donc c'est clair il y a création d'emplois. Toutefois, cette création d'emplois n'est pas suffisante pour baisser le taux de chômage de manière significative ce qui est l'objectif visé ; et il y a crainte qu'un jour il soit impossible de pouvoir maintenir le niveau actuel du chômage, puisqu'il peut y avoir une augmentation du nombre des demandeurs d'emplois. De ce fait, il est indispensable d'accélérer le dynamisme de l'économie, et donc de l'investissement privé. Propos recueillis par Tallel BAHOURY