Machine à scoops, Drudge Report est aujourd'hui un site rentable. Sa recette : une réduction squelettique, une interface minimaliste et des informations exclusives (mais pas toujours vérifiées...) BUSINESS 2.0 San Francisco
Tout bien considéré, qui est le personnage le plus riche et le plus important de la planète Internet ? Terry Semel, le patron de Yahoo! ? Non. Sumner Redstone, le PDG de Viacom ? Pas exactement. Essayez Matt Drudge. Il y a quelques années, il s'est fait connaître en dévoilant que le magazine Newsweek était au courant d'un énorme scoop qu'il hésitait à publier : le président Clinton aurait eu une liaison avec une jeune stagiaire du nom de Monica Lewinsky. Depuis lors, la fréquentation de son site n'a cessé de croître. Créé avec un budget minime, Drudge Report un site sans recherche esthétique dont les liens hypertextes permettent d'avoir accès à des informations et, de temps à autre, à des scoops. D'après nos estimations, le site - qui n'emploie que deux personnes à plein temps - rapporte la coquette somme de 800 000 dollars [695 000 euros] par an. Même si d'autres sites d'information sont également très rentables, ils sont loin de pouvoir rivaliser avec Drudge Report. L'an dernier les du New York Times a rapporté 8,3 millions de dollars. Mais le journal emploie 237 personnes à temps plein, ce qui veut dire que chaque salarié génère environ 35 000 dollars.
L'approche minimaliste de Drudge remonte à 1995, lorsqu'il se rendit compte que les articles postés par les internautes sur les forrumes de discussion Usenet précèdent souvent l'information officielle.
" Matt et mois nous avons passé des heures à discuter de la lenteur des médias à diffuser les informations. J'attends encore Matt me dire que CNN ne survivrait pas à Internet ", se souvient Harry Knowles, le fondateur du site de cinéma Ain't It Cool News. Pour affronter les Goliath des médias, Drudge a toujours pensé que les seules armes dont il avait besoin étaient une adresse électronique, un site Internet et une personnalité charismatique. "Matt et moi, nous nous sommes rendu compte que chacun de nos leceurs représentait également une source potenrielle d'information"; explique Harry Knowles. C'est de cette manière que Drudge s'est créé un vaste réseau de sources indépendantes. De nombreuses personnes, placées aux premiers plans dans les médias, se servent de son site (www.drudgereport.com) comme d'un porte-parole. Ce réseau est donc d'une importance capitale pour Drudge dans sa quête de scoops. Rien qu'au cours des derniers mois, il a été le premier à annoncer la mort du célèbre photographe Herb Ritts et a même devancé la chaîne de télévision américaine CNN en révélant que Walter Isaacson démissionnait du poste de président directeur général de cette même chaîne. "On a constamment l'impression que Drudge est sur le point de révéler quelque chose d'énorme", confie Phil Boyce, le directeur des programmes de la radio new yorkaise WABC. Cela pousse de nombreux lecteurs assidus à consulter son site dix ou quinze fois par jour. Cette force d'attraction a fait de Drudge l'un des plus importants générateurs de trafic sur le Net.
Le site sur lequel il est indispensable de figurer
"En plus d'être sur la page d'accueil de Yahoo! ou d'être extrêmement bien placé sur America Online (AOL), Drudge Report est le site sur lequel il est indispensable de figurer. Votre trafic triple dès qu'un lien vers votre site y figure"; note Bill Bastorie, rédacteur en chef du site Smoking Gun. Inversement, si le lien est supprimé de la page d'accueil de Drudge Report; cela peut se révéler catastrophique. Le New York Press en a fait la triste expérience. L'été dernier, l'hebdomadaire alternatif a publié un article dans lequel il critiquait Drudge. En signe de représailles, Drudge a supprimé le journal de sa liste de liens. Dans la nuit, le trafic sur le site du New York Press a chuté d'un tiers.
Mais à ce pouvoir il faut également associer le profit. "Si le bandeau publicitaire est moins consulté, je prends plus d'annonceurs", explique Kevin Lucido, directeur général d'Intermarkets et responsable de la publicité sur le site de Drudge. Drudge Report est placé au 29e rang des sites dont la publicité est la plus regardée. "Drudge a l'air de ne jamais dormir et d'être à l'affût vingt quatre heures sur vingt quatre" ; affirme Bill Bastone. En réalité, ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que non seulement il dort, mais, en plus, on ne peut pas dire qu'il soit enchaîné à son clavier. Au dire de son amie Lucianne Goldberg, animatrice radio, "Drudge va à la plage et nage tous les jours avant de déjeuner d'un burrito ". Comment réussit-il cet exploit ? Sans doute grâce à son partenaire anonyme, un journaliste implanté à Los Angeles qui maintient un flux constant d'informations vingt quatre heures sur vingt quatre et sept jours sur sept. Cela fait partie de ce que Phil Boyce, de la radio WABC; appelle le "théâtre de l'esprit" de Drudge.
Drudge a résisté à la tentation de vendre son site au plus offrant. Il a néanmoins développé sa "marque de fabrique" en lançant un talk-show radiophonique, en écrivant un livre et en animant une émission de télé (qui n'est maintenant plus diffusée). Michael Kinsley, rédacteur en chef et fondateur de Mate, a vainement essayé de faire des affaires avec lui. Selon lui, le fait que Drudge fasse cavalier seul n'est qu'un masque. "Matt est très différent de son image publique. IL s'imagine être un vengeur tout-puissant et impitoyable mais, en réalité, il ressemble davantage au timide Walter Mitty [personnage extrêmement timide du cartooniste américain lames Thurber qui, pour s'évader, imagine de folles aventures dont il est le héros]. Sauf que, dans le cas de Drudge, ses fantasmes sont plus ou moins vrais", souligne-t-il. En fait, Matt Drudge a jeté les bases d'une nouvelle façon de gagner de l'argent pour les médias en ligne.
Geoff Keighley Paru dans CI n° 655, du 22 mai 2003.
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