Il existe dans notre pays des hommes d'affaires dont le principe (ou la méthode) peut paraître extravagant sinon carrément farfelu : monter un projet, le rendre opérationnel, l'élever au top et s'en débarrasser (le céder à d'autres) pour attaquer un nouveau projet, et ainsi de suite. Extravagant, le principe, car on imagine mal qu'on puisse élever un bébé, le voir grandir et, une fois majeur ce dernier, lui tourner le dos. Wafa Laâmiri est un peu à l'image de ces promoteurs de projets. En fait, elle ne monte pas de projets, mais elle a cette destinée un peu curieuse d'élever le bébé pour ensuite s'attaquer à un autre. C'est la race de ceux (et celles) qui s'ennuient vite du sur-place, dont les poumons ne souffrent pas longtemps le même oxygène. Née à Tunis il y a une petite trentaine d'années, Wafa fréquente l'Ecole Supérieure de Commerce qu'elle quitte en 2002 avec une maîtrise en commerce international. C'est à peu près l'année au cours de laquelle s'installe à Tunis Manpower. Elle y démarre sa vie active en tant qu'attachée commerciale pour gravir un peu rapidement les échelons jusqu'à occuper le poste de chef d'agence après celui de chargée d'affaires : « J'ai en quelque sorte été élevée par Manpower, mais je l'ai élevée à mon tour : je lui ai consacré tout mon temps, toute mon énergie, j'y ai appris beaucoup de choses et je lui ai offert le mieux que je pouvais. Mais à un moment de votre carrière, vous vous apercevez que votre horizon est comme planté, bloqué, il n'a plus rien à vous offrir, vous ne faites dès lors que stagner, toujours dans la même situation, une situation qui devient forcément fastidieuse ». Nous sommes vers la fin de 2007. Période pendant laquelle CRIT France est tenté par le marché tunisien, après celui du Maroc en 2003. CRIT (Centre de recherche, d'ingénierie et du travail) est une multinationale créée il y a quelque 45 ans en France avec pour vocation la gestion des ressources humaines et l'assistance aéroportuaire. Présent un peu partout en Europe, CRIT compte, rien que pour l'assistance aéroportuaire, une clientèle estimée à une bonne centaine de compagnies, mais 462 agences de travail temporaire en France, en Espagne, en Allemagne, en Suisse et au Maroc, le tout ayant dégagé à fin 2007 un chiffre d'affaires arrêté à 450 millions d'euros. Avec ses quatre agences, CRIT Maroc, créé en 2003, marche plutôt bien. D'où l'intérêt du groupe pour la Tunisie. Après son installation quelque part au Belvédère, CRIT devait s'atteler à la tâche, pas vraiment mince, de se décider sur le directeur à devoir gérer la nouvelle filiale. Certains noms lui sont proposés. Des entretiens ont lieu entre le PDG du groupe et les candidatures proposées. Ce dernier finit par jeter son dévolu sur Wafa Laâmiri, un peu pour son parcours, surtout pour sa connaissance du marché tunisien. CRIT Tunisie ouvre ses portes le 21 janvier 2008 avec un capital de 36 mille dinars et cinq personnes formées en matière de ressources humaines (que va conforter bientôt un psychologue du travail). A défaut de s'attaquer dès le départ à la branche aéroportuaire, CRIT Tunisie s'emploie, depuis sa création, dans les domaines de l'intérim et du recrutement. Même s'il garde sa définition essentielle, l'intérim, chez CRIT, est tout un concept. Pour telle entreprise ou industrie, il peut y arriver un accroissement de l'activité nécessitant un surplus d'employés pour une période déterminée. Et c'est là qu'intervient CRIT en mettant à la disposition de l'établissement demandeur des profils adéquats, triés en fonction de leur qualification, de leur formation et, surtout, de leurs compétences. Une sorte d'externalisation de services en vue d'obtenir le profil idoine pour le poste qu'il faut. La mission de CRIT n'est pas aussi simple qu'il y paraît puisqu'il se porte garant du profil proposé. D'ailleurs, pour engager un candidat, CRIT soumet celui-ci à un test de qualification suivi d'un suivi et d'une évaluation continue durant la période de travail. Cela veut dire que CRIT ne vous propose pas quelqu'un pour se tirer d'affaire ensuite. Bien au contraire, le profil proposé devient l'affaire propre de CRIT : « J'ai toujours tendance à dire qu'un emploi temporaire est un tremplin pour un emploi permanent ». Plus exactement, le travail chez CRIT consiste à développer une base de données nourrie de cinq sources : les offres d'emploi par voie de presse, l'agence elle-même puisqu'elle reçoit dans ses bureaux des jeunes diplômés en quête d'emploi, son site Web sur lequel s'inscrivent et déposent leurs CV les jeunes, le partenariat avec les universités pour une bonne visibilité des dernières promotions, et ce que CRIT appelle une approche directe, c'est-à-dire le contact direct avec la perle rare'', ces jeunes diplômés présentant un don ou un talent exceptionnel. Trait d'union entre l'entreprise et les jeunes diplômés du supérieur, CRIT agit en plein dans les ressources humaines : « Notre tâche, en gros, consiste à former, encadrer, faire évoluer en compétence, mais surtout sensibiliser l'entreprise à l'impératif de fidéliser et garder les compétences. C'est un partenariat basé sur le conseil et l'accompagnement en ressources humaines ». Au bout de onze mois d'activités, CRIT a donc su, à son tour, fidéliser quelques clients tels l'UBCI, General Electric ou Crown. D'un bébé à l'autre, Wafa Laâmari est donc passée de chef d'agence Manpower à directrice de CRIT Tunisie. Dieu sait qui sera, dans cinq ans, son prochain bébé