Place de l'homme et de la technologie Par Maledh MARRAKCHI*
Avec le développement spectaculaire des technologies durant ces dernières années, l'humanité vit dans ce monde globalisé de nouvelles mutations, de nouveaux espoirs mais aussi de nouvelles craintes. Les mutations se dessinent petit à petit dans le quotidien de tout un chacun, du plus jeune au plus âgé ; de l'élève en quête d'apprentissage à l'enseignant en quête de nouvelles connaissances et de savoirs ; de l'employé en quête de nouvelles aptitudes et de nouvelles compétences à l'employeur en quête de nouvelles sources de compétitivité et de prospérité ; de l'administré en quête de services plus personnalisés et plus en phase avec ses attentes au responsable dans l'administration en quête de plus d'efficacité et de respect des valeurs régaliennes de l'administration publique. Ces mutations s'accompagnent de nouveaux espoirs pour un monde meilleur, plus juste, plus humain, plus solidaire, un monde de paix et de tolérance ; des mutations qui font naître de nouvelles sources de bien-être social, économique, et culturel. Ces mutations façonnent une nouvelle société, voire plusieurs nouvelles sociétés, qui marquent de nouveaux jalons pour l'humanité avec comme fil conducteur, le degré de dissémination des nouvelles technologies, leur niveau d'intégration dans l'environnement et d'interaction avec lui et leur capacité à apprivoiser les différentes formes de savoir. Ce fut la société post-agraire ou industrielle basée essentiellement sur une organisation dictée par la production et la consommation massives de biens matériels. Une société, qui, à l'aube du 21ème siècle, a cédé sa place à la société de l'information. Caractérisée par une omniprésence de l'information favorisée par un développement spectaculaire des technologies de l'information et de la communication (TIC), cette société qui donne la possibilité et l'opportunité à tout un chacun d'être à la fois consommateur et producteur d'information, bouleverse bien des ordres établis, des chasses gardées, des modes d'être, de faire et d'interagir avec autrui loin des contraintes géographiques et temporelles. Souvent ramenée de façon réductrice à la société de l'Internet, la Société de l'Information se construit autour de l'information et par l'information. Elle se construit par le partage d'un gisement d'informations en continuel enrichissement résultant de l'apport direct ou indirect de tous. L'information ainsi générée se transforme en connaissance à travers l'échange, l'accumulation, la conceptualisation et la formalisation. Ces éléments de connaissances contribuent, à leur tour, à la genèse de nouveaux savoirs et à la démultiplication du patrimoine humain en la matière. Le Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI), avec ses deux phases de Genève en 2003 et de Tunis en 2005, organisé suite à une initiative de la Tunisie, a été une occasion pour faire émerger une compréhension commune des contours, des perspectives et des enjeux de cette nouvelle société avec, en toile de fond, une prise de conscience mondiale de ses corrélations avec le développement humain et par conséquent des opportunités qu'elle offre, mais aussi des risques réels qu'elle pourrait engendrer, si rien n'est fait, de voir se renforcer les inégalités entre les humains à différentes dimensions nationales, régionales et mondiales. De telles inégalités pourraient être à l'origine de nouvelles incompréhensions, de tensions et même de conflits. Avec les développements continus des technologies tant au niveau des performances qui doublent pratiquement tous les 18 mois, que de l'apparition avec un rythme accéléré de nouvelles technologies apportant avec elles de nouvelles perspectives, l'espace humain du possible se trouve continuellement étendu. Le positionnement de la technologie dans l'environnement quotidien de l'être humain s'en trouve constamment re-modelé. De cette dynamique résulte une redéfinition soutenue, avec un rythme de plus en plus accéléré, de la façon avec laquelle l'homme interagit avec son environnement dans toutes ses dimensions et sa diversité. La convergence vers le tout IP (Internet Protocol) partout et à tous les niveaux, le développement des techniques et moyens de communication à travers notamment les technologies qui favorisent la mobilité et/ou le nomadisme tels que la téléphonie mobile, les technologies sans fil WiFi ou WiMax, les technologies de localisation et/ou d'identification tels que le GPS (Global Positionning System), le RFID (Radio Frequency Identification) ou les cartes à puce, la possibilité d'intégrer de plus en plus dans les objets de l'environnement de l'être humain de l'intelligence à travers notamment la présence de puces capables d'avoir une certaine autonomie locale de traitement de l'information, la mise en réseau de façon dynamique et/ou ad hoc de ces objets et leurs capacités d'interaction entre elles, contribuent de façon spectaculaire à faire de l'espace humain, un espace de plus en plus interactif et communiquant. Cette perspective qui est désormais une réalité dans certains pays, prépare à une nouvelle mutation vers une Société Intelligente (appelée aussi «ubiquitous society»); une Société basée sur la connaissance en tant que véritable valeur sociale, économique et culturelle où l'intelligence est de plus en plus omniprésente et diffuse partout. Dans une telle société, la relation entre l'homme et la technologie se trouve plus étroite que jamais. Elle marque une plus grande complémentarité, une plus grande interaction et une plus grande intégration. Cette intégration peut atteindre une dimension physique des plus sensibles tel que le corps de l'homme, ses habits, ses fonctions, et même ses organes. Elle peut aussi être dans l'approche fonctionnelle en adoptant, comme le fait la biotechnologie, des processus et des mécanismes biologiques. Néanmoins, la Société de l'Intelligence est une société qui s'accommode mal d'un parterre d'analphabétisme. Elle s'accommode tout aussi mal d'une infrastructure peu développée ou peu fiable. Elle s'accommode encore moins d'un environnement qui ne soit pas ouvert à la créativité, à l'innovation, à l'inconnu ou à l'imprévisible ; un environnement où les talents ne puissent pas s'exprimer librement chacun à sa façon, selon son imagination, son inspiration et ses motivations. N'est-ce pas Albert EINSTEIN qui disait que «l'imagination est plus importante que le savoir». Les pays qui se sont le mieux préparés à cela sont ceux qui ont misé sur l'homme en priorité, car l'homme est la finalité de toute uvre humaine, car l'homme est la richesse fondamentale sans laquelle rien ne peut réussir et enfin, car l'homme, à la tête bien faite, est une uvre de longue haleine qui nécessite, hélas, du temps qui se mesure en générations. Les pays qui ont su anticiper, et réunir correctement les différentes pièces du puzzle, ont pu en un temps record bousculer le haut du classement des nations les mieux positionnées en tant que société candidate à la Société de l'Intelligence et saisir ainsi les opportunités qui s'offrent aux pionniers. Tout retard pris, par une nation à ce niveau, non seulement recule les échéances et lui fait manquer des opportunités, mais aussi lui rend le chemin plus difficile. En effet, le temps fait du «droit d'accès» au cercle restreint des plus performants, une condition de plus en plus difficile à réunir et seule «une nouvelle rupture peut offrir la chance d'un nouveau raccourci». A cet égard, l'exemple de la Tunisie, pays émergent ayant abrité la deuxième phase du SMSI, qui a su faire preuve d'une grande capacité d'anticipation, est particulièrement édifiant. L'initiative pour l'organisation d'un sommet mondial sur des aspects que peu de pays en avaient réellement conscience tels que la fracture numérique et son impact sur le développement et l'accentuation de la fracture économique, la politique menée en faveur de la promotion des TIC, l'orientation en faveur de l'investissement dans l'homme avec plus de 7% du PIB dédié à l'éducation, la promotion de la condition de la femme en tant que potentiel certain de la société tunisienne, sont tous des choix qui ont permis à la Tunisie, de se hisser à la place qui est la sienne actuellement. Le puzzle est en voie d'être complété, ses morceaux les plus difficiles ont été placés comme il faut et quand il faut. Cependant, tout comme pour beaucoup d'autres pays, les choix faits ont été porteurs de profondes mutations. La profondeur de ces mutations de différentes natures déjà observées, aux côtés de celles à venir, fait apparaître auprès d'aucun des craintes d'effets négatifs accompagnant notamment la dissémination de ces nouvelles technologies. Même si ces craintes peuvent être, dans une certaine mesure, justifiées, il est important de prendre conscience que la technologie est neutre ; aucune technologie n'est bonne, ou même mauvaise car elle est le fruit de la Science. Seuls les usages qu'on en fait peuvent être qualifiés de bons ou de mauvais. Or, les usages et les utilisations sont à imputer à l'homme. Ils sont le reflet de ses capacités et de ses qualités morales et de celles de la Société dans laquelle il évolue. Ceci nous ramène à considérer que l'homme reste au centre de toute oeuvre, et que toute uvre doit s'inscrire dans une vision d'un projet sociétal, car comme dirait SENEQUE, «il n'y a pas de vent favorable pour ceux qui ne savent pas où ils vont». L'histoire récente des développements technologiques touchant particulièrement le grand public tels que la télévision par satellite, les services audiotels, l'Internet, la téléphonie mobile, etc., ont remis à chaque fois au devant de la scène publique la question de la place de la technologie et suscité les débats les plus animés. Avec un certain recul, on constate que la technologie a continué son chemin et s'est intégrée, à des degrés différents, au quotidien de l'homme. Les bénéfices tirés et les casses éventuelles enregistrées, ont été souvent le reflet des valeurs de la société et par conséquent de l'homme. L'équilibre entre ce qui relève des libertés et choix de la personne, et ce qui relève du devoir de la société et donc du devoir de l'Etat, n'est pas toujours facile à maintenir et ne peut être abordé de façon universelle. La mondialisation et la globalisation aidant, l'Oeuvre n'est pas de toute simplicité. Elle requiert un fort leadership qui porte le projet et le fait partager à toutes les parties prenantes, avec une cohérence et une continuité dans la mise en oeuvre. Elle requiert aussi une ferme volonté de dépasser les obstacles, les idées préconçues, les sujets tabous car comme disait le même SENEQUE «ce n'est point parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas mais parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles».