Webmanagercenter : Une idée sur le secteur du textile habillement à ce jour? Abdelaziz Darghouth : Le secteur stagne depuis quelques années, parce que le marché est devenu très concurrentiel. L'offre dépasse largement la demande. Pour la Tunisie, nous avons choisi la sous-traitance. Et beaucoup de produits sont fabriqués en réassort. Nous avons également eu la possibilité de monter en gamme dans la sous-traitance en devenant plus rapides et plus compétitifs. Ceci nous a fait gagner en agressivité et en réactivité surtout sur les marchés français et italien. Ce qui explique que plusieurs entreprises se portent bien, sont même en surplus de demande et dépassent leurs objectifs. Mais je pense que tant que nous serons des soutraitants, nous n'aurons aucun avenir. Nous restons dépendants des commandes européennes. Depuis 1972 que nous faisons de la confection, très peu d'entreprises vendent leurs marques en Europe alors que nous sommes un pays très puissant dans le secteur des textiles. Je crois que la raison principale est le manque de stratégie. En Turquie par exemple, il y a 15 ans, les hommes d'affaires ont décidé de réfléchir ensemble à une stratégie pour développer les textiles turcs. Ils ont aujourd'hui une association d'industriels qui s'occupe de la mise en place d'une stratégie claire pour le secteur. Ils en sont même arrivés à convaincre plusieurs banques de les soutenir. Depuis trois ans, le taux de croissance du secteur dépasse les 10%. De même, les hommes d'affaires tunisiens devraient se rencontrer et discuter de l'avenir du secteur. Comment voyez-vous la stratégie pour le développement du secteur en Tunisie ? Dix ans en arrière, nous avions eu nos jours de gloire. Nous étions le quatrième fournisseur de l'Europe parce que nous suivions justement une stratégie. Ce que nous devons faire maintenant, c'est d'axer sur la communication, en mettant devant les yeux des marges de marché très claires. Nous devons encourager encore plus les industriels, surtout dans les niches porteuses telles que le linge de bain et les sous-vêtements. Nous devrions légalement aider les marques tunisiennes à s'implanter sur le marché européen. Ce qui n'est pas aisé puisqu'il y a des intermédiaires avec lesquels il faudrait discuter et communiquer. D'ailleurs, dans les grandes surfaces en Europe, nous pouvons trouver des marques turques, chinoises, et autres. Pourquoi pas tunisiennes ? Nous devrions être plus persévérants, plus professionnels et plus agressifs pour bien réussir dans cette démarche. Nous avons des ressources humaines très bien formées. Ils sont sur le marché mais nous ne les exploitons pas parce que nous ne voyons pas clair. Sur ce point, tant que nous travaillons dans la sous-traitance, il y a un risque pour que les salaires ne s'améliorent pas. D'où un manque de motivation. Nous aurons, dans ce cas, à faire face au départ des employés à la recherche de meilleures opportunités. Je pense que le passage au produit fini sera une solution efficace pour pallier à cet éventuel risque et améliorer la vie de l'entreprise. Nous savons très bien que 10 à 20% du produit (matière et confection) se font en sous-traitance. Les 80% restants se répartissent entre le marketing, la logistique et la communication. C'est là où nous devons investir. Comment le secteur pourrait-il profiter de la crise économique? La crise est difficile dans la mesure où le pouvoir d'achat va diminuer. L'un des produits qui sera affecté est probablement le textile. Pour la Tunisie, si nous arrivons à développer d'autres créneaux, la crise ne sera pas méchante sur nous. Je pense que nous pouvons en profiter tout simplement parce que la crise va casser le rythme infernal de l'Asie. Les Européens sont en train de stocker des quantités énormes en Europe. Selon moi, ils ont désormais peur. Pour l'instant, leur stratégie consiste à éliminer les intermédiaires et vendre leurs marques directement sur le marché. Je pense que continuer à le faire sera très dur pour eux. Ça ne serait pas le cas s'ils optent pour des partenariats avec les pays de l'Europe de l'Est et ceux du Sud de la Méditerranée. Ils pourraient développer les marques ensemble, innover et lancer des centres de recherches surtout en Tunisie et au Maroc, là où le textile est bien développé. Ils auront également intérêt à stocker dans les pays du Sud parce que ça coûte moins cher qu'en Europe. N'oublions pas que nous avons une longueur d'avance sur nos concurrents voisins comme le Maroc et l'Algérie. Les Européens travaillent beaucoup avec les PME. Ce qui fait notre force alors que pour le cas du Maroc, son tissu industriel est composé de grosses entreprises et de micros entreprises. Pour le cas de l'Algérie, il n'est pas encore un pays d'exportation du textile. Cette longueur d'avance, nous devrons l'exploiter maintenant parce qu'on peut la perdre facilement dans quelques années. Je crois que la Tunisie pourra devenir encore plus forte en textile. Mais seulement, il ne faudrait pas que seuls les étrangers travaillent pour ça. C'est une réalité, sur les 2.000 entreprises textile existantes, une centaine sont tunisiennes. Il y a aussi une autre réalité : la coopération des banques. Pour un secteur capitalistique comme le textile, les banques devraient coopérer encore plus avec les professionnels du secteur sans oublier le marché parallèle qui est en train de miner tous les efforts pour le développement des marques tunisiennes. Si nous voulons aller à l'international, il faudrait que nous vendions en Tunisie à condition de trouver une solution radicale au marché parallèle. 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