Des milliers de nos jeunes se portent chaque année candidats à l'émigration, clandestine ou légale. Malgré les très grands risques qu'ils encourent (allant d'une peine de prison jusqu'à la mort), ils continuent de rêver d'une Europe qui leur permettrait de s'enrichir du jour au lendemain. S'ils changent de regard, et réfléchissent un peu, ils verraient rapidement que cette Europe est loin d'être un Eldorado et qu'ils pourraient le faire dans leur pays d'origine s'ils mettaient sérieusement la main à la pâte. Deux mille euros ! Tel a été le prix de la mort de dizaines de candidats à l'émigration clandestine, le samedi 2 octobre à Chatt Meriem. Deux mille euros ! Soit trois mille de nos dinars, soit plus de seize SMIG payés par de jeunes gens croyant qu'en Europe, l'argent se ramasse à la pelle. Ce qu'on peut appeler tout simplement une catastrophe, a touché cette fois essentiellement de jeunes Marocains, mais la mer et la mort ne choisissent pas leurs victimes en fonction de leur nationalité.
Et les jeunes candidats à l'émigration clandestine, Tunisiens , ou originaires de l'Afrique subsaharienne et même de l'Asie en général, ne sont pas en reste . Selon les statistiques, environ 30% des clandestins sont des Tunisiens, tandis que les 70% restants sont des Maghrébins, des ressortissants de l'Afrique subsaharienne, voire des Asiatiques.
Tous les jours, la mer apporte, sur les côtes Tunisiennes ou libyennes, son lot de morts. Tous les jours, nos gardes-côtes, empêchent ou interceptent des embarcations partant vers Lampedusa (l'île Italienne la plus proche des côtes Tunisiennes). Malgré une batterie de lois réprimant très sévèrement toute organisation ou participation à l'émigration clandestine, les candidats ne désespèrent pas. Bien que leur situation financière leur ait permis de réunir des sommes importantes pour ce voyage et bien qu'ils aient suivi (pour certains d'entre eux) des études supérieures, ils ne reculent pas devant le danger et le rêve d'un Eldorado en Europe alors que leur situation leur permet de démarrer un projet rentable dans leur pays. Selon les chiffres donnés par l'Union Européenne, derrière 90% des demandeurs d'asile, venant à travers ce chemin, se cachent des motifs économiques. Les jeunes Africains (qu'ils soient du nord ou du sud) souffrent pour la plupart dans leur pays , du chômage, de la précarité et d'une surexploitation . Ils allument la télé, ils voient la « Star Ac » et « Qui veut gagner des millions », et observent de jeunes gens de leur âge, pas nécessairement plus cultivés qu'eux, gagner justement ces millions et mener la belle vie. Ces mêmes jeunes gens viennent, en touristes, se prélasser l'été chez eux dans leurs hôtels qui sont, pour eux les autochtones, inaccessibles. Ils voient les cousins et voisins partis en Europe, il y a quelques années, rentrer avec de belles voitures, une belle femme et dépenser sans compter. Conclusion hâtive et irréfléchie : en Europe, on gagne de l'argent facilement. Ce que, ces jeunes ne voient pas, cependant , c'est le revers caché souvent inconsciemment. de la médaille et même quand on leur fait découvrir ce revers, ils refusent de voir la réalité en face et laisser disparaître un rêve qu'ils ont nourri durant des années. A la télé , ils ne voient jamais les éboueurs, les maçons, les ouvriers et mille autres petits boulots où les gens travaillent des heures pour gagner des pacotilles, des gens qui sortent très souvent épuisés d'une journée de labeur . Ces jeunes ne suivent jamais les infos sur les cités des banlieues des différentes capitales ou des grandes villes Européennes (notamment du sud) où la saleté, l'insécurité et la pollution (sous différentes formes) sont monnaie courante. Ils oublient que le cousin ou voisin parti en Europe est souvent un « flémard » qui adore se vanter et s'encenser ne vivant que du « m'as- tu vu ». Au « bled » (comme ils disent), ils circulent dans une belle voiture, mais chez eux en Europe, ils vivent dans un petit studio délabré et se réveillent à cinq heures du matin pour prendre le métro par zéro degré. Qu'on ait du chômage, c'est indéniable, que le niveau de vie du Tunisien ou du Marocain soit inférieur en moyenne à celui de l'Européen de l'ouest, c'est indéniable également. Seulement, il faudrait peut-être balayer devant nos portes et que chacun de nos jeunes, au lieu de penser à partir illégalement, s'interroge s'il pourrait accepter un petit boulot dans son pays d'origine comme il serait disposé à le faire ailleurs en Europe. Qui parmi nos jeunes à Tunis, candidats à l'émigration, accepterait sans protester un petit boulot de huit heures par jour pour 200 dinars? Combien de nos jeunes, avant de prendre la poudre d'escampette, se sont interrogés sur le nombre d'heures perdues au café et sur le nombre d'heures consacrées au contraire à rédiger des CV et à essayer de décrocher des rendez-vous pour des emplois ? Combien parmi eux ont-ils refusé un emploi dans un call center, dans un magasin, dans une PME, juste parce que ce qu'on leur offrait était inférieur à ce dont ils rêvaient ou parce que le boulot en question exigeait plusieurs heures de travail sérieux ? Savent-ils qu'en Europe, généralement, huit heures de travail, ce sont huit heures de travail effectif non entrecoupé de pause café, pause pipi, pause cigarettes, pause téléphone, etc... ? Se sont-ils interrogés sur les raisons qui ont poussé les centaines de milliers de SDF (sans domicile fixe) dans la rue ? Il n'est pas rare de trouver parmi les SDF Européens (de souche) des diplômés qui ont échoué dans leur boulot pour se retrouver du jour au lendemain dans l'incapacité de payer un loyer ? Combien de nos jeunes s'intéressent -ils aux émissions Françaises couvrant au mois de décembre les « Restos du cur » où l'on voit des milliers de Français faire la queue pour manger à leur faim ? Ces jeunes qui ont réuni des milliers de dinars (ou d'euros) pour le départ, n'auraient-ils pas mieux fait de démarrer un projet individuel ou, mieux encore, de le faire avec d'autres en mettant en commun ces montants importants? Il aurait suffi que ces jeunes posent la question aux Européens vivant ici ou aux Tunisiens qui sont rentrés après des années d'émigration légale ou illégale en Europe (ou en Amérique) pour réfléchir à deux fois avant de se jeter dans la « bouche des requins » après avoir casqué des milliers de dinars qu'ils auraient pu investir rentablement dans un projet dans leur pays. Le temps investi à réfléchir au départ, à rassembler le montant exigé par les passeurs et à trouver quelqu'un (et le convaincre) pour les accueillir au Nord de la Méditerranée, n'aurait-il pas été mis mieux à profit à mûrir un projet ? Un projet qui n'aurait certainement pas rapporté gros, mais qui ne les aurait pas mené au tombeau !