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Voyage au bout de l'enfer
Reportage: Que s'est-il passé à Lampedusa ?
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 04 - 2011

• Incarcérations arbitraires, plusieurs tentatives de suicide
«La Porte de l'Europe». Ce monument, dédié à la mémoire des immigrants disparus en mer, haut de cinq mètres et large de trois mètres, revêtu de céramique, réalisé par Mimmo Paladino, se dresse majestueusement sur une colline au fond d'une baie dont la coupure s'enfonce dans le massif escarpé et boisé des vallées de Lampedusa. Un symbole pour lutter contre l'oubli de cette hécatombe où des milliers de vies ont péri en mer dans des drames de l'immigration clandestine.
Mais c'est aussi pour rendre hommage à une île volcanique, chantée par les poètes, hantée par les légendes, décrite par les croque-notes, que le sculpteur italien lui a dédié cette œuvre. En effet, Lampedusa ne saurait énumérer le nombre d'hommes et de femmes célèbres qui ont navigué sur les eaux écumeuses de la Méditerranée qui l'entourent et qui se sont tous inclinés devant la majesté du site: Hadrien, Hanon, Darghouth, Sanson Napollon, Saint Cyprien, Sainte Maxime etc.
Mais les dernières semaines avant le début des transferts des immigrés clandestins tunisiens de l'île de Lampedusa vers d'autres centres d'accueil pour refugiés et immigrés, la situation était dramatique et l'image de l'île en a été tellement altérée qu'elle est devenue une île sentinelle de l'Europe qui retient les flux migratoires du sud et protège l'Europe des nouveaux venus.
Pour l'histoire, un retour sur les faits pourrait donner un aperçu de l'atrocité vécue par ceux qui partaient à la recherche d'un eldorado.
Les deux premiers mots qui sortaient de la bouche des immigrés clandestins une fois qu'ils foulaient le sol de Lampedusa, sont «Liberté» et «Viva Italia». Pourtant, ce sera la première désillusion de ces robinsons. Car le rêve se transforme en cauchemar très rapidement. D'abord, ils seront contrôlés, retenus, enfermés, déshumanisés au point de vouloir se donner la mort (nombreux sont ceux qui se sont coupé les veines). Incarcération arbitraire, errance et vexations permanentes d'un environnement hostile, comme s'il s'agissait d'ennemis dangereux. Par ailleurs, tous ceux parmi les autochtones qui essayeront de leur venir en aide encourent de fortes peines.
Une marée humaine, des conditions d'hygiène épouvantables
Les débarquements des Tunisiens sur l'île de Lampedusa ont commencé dès le début de la révolution tunisienne. En effet, profitant d'un relâchement de la surveillance douanière et policière aux frontières, des milliers de jeunes désœuvrés ont pris d'assaut la petite île italienne qui est une halte nécessaire dans l'odyssée de milliers de clandestins qui tentent de rejoindre l'Europe. L'on recense, en effet, l'arrivée de plus de 400 barques tunisiennes.
Toutefois, ils n'arriveront pas tous au bout de leur rêve puisque près de mille personnes, en majorité des Tunisiens, seraient morts noyés ou portés disparus dans le canal de Sicile entre le 1er janvier et le 31 mars 2011.
Il n'empêche, plus de 25.000 tunisiens ont pu rejoindre les côtes italiennes au 15 avril 2011.
Lampedusa, qui est une île habitée par à peine 5.000 personnes, a été de ce fait « envahie » en une seule nuit par 6.000 à 7.000 Tunisiens. Le centre d'accueil des immigrés d'une capacité de 800 personnes a été ouvert d'urgence. Près de trois mille Tunisiens y ont été logés par force. Une structure déjà non adaptée à l'accueil des nouveaux pensionnaires à cause des dégâts occasionnés par les derniers occupants (révolte des Tunisiens en 2008).
De plus, surpeuplé, les conditions de séjour au centre sont devenues infernales. Les conditions d'hygiène y sont épouvantables. Au centre de rétention, les douches sont inutilisables, sales ou brisées. Il n'y a que de l'eau froide. D'interminables queues se forment pour le service de la nourriture. Des bagarres et des rixes ont lieu entre les pensionnaires qui s'organisent en bandes pour assurer leur sécurité. «Pour manger, ils doivent faire la queue pendant des heures. Ceux qui n'ont pas réussi à accéder au réfectoire devront se passer d'aliments», explique Alexandre Georges de l'association Kayak pour les droits à la vie.
Cependant, les nouveaux venus sont retenus sur un quai militarisé du port de Lampedusa. Par manque de place, les Tunisiens débarqués dorment depuis des jours dans un bâtiment de la gare maritime ou à défaut de places dehors sur le ciment du quai. «Même les toilettes qui se trouvent dans les bureaux maritimes sont utilisés comme dortoirs», ajoute-t-il.
En effet, laissés pour compte, ces Tunisiens qui ont voyagé sans bagages, sans vêtements de rechange, dorment à la belle étoile sans matelas, sans couverture avec des températures de 6 à 8 degrés. Bien que l'Italie ait proclamé l'état d'urgence humanitaire, les secours sur place sont encore sommaires.
Pour la Croix-Rouge, il s'agit d'une simple antenne qui n'est là que «pour prodiguer des soins d'urgence». Selon un observateur sur place, ces conditions d'accueil très dures «reflètent une politique de rejet» vis-à-vis des réfugiés tunisiens. En effet, il avance la thèse que les autorités italiennes ne voulaient pas que les clandestins téléphonent à leurs proches pour leur dire qu'à Lampedusa, c'est le paradis. Il s'agirait donc d'une stratégie dissuasive qui a pu opérer puisque plusieurs clandestins ont craqué au bout de dix jours et ont voulu «rentrer au pays».
Des tranquillisants au menu !
C'est donc la colline de la honte, telle que les défenseurs des droits des immigrés l'ont appelée, que l'atrocité des conditions de « rétention » a atteint son summum. "On nous traite pire que des chiens, car les chiens eux, ils ont des niches pour dormir, nous non!", s'exclame Mohsen, qui attend depuis dix jours son transfert dans un centre d'hébergement pour clandestins. Ali, un autre clandestin de 33 ans, affirme qu'il ne s'est pas lavé depuis 12 jours après avoir été mouillé par les vagues pendant son voyage. Il affirme que ses compagnons de voyages ont du subir les mêmes barbaries.
En effet, sans toilettes, sans eau douce pour les ablutions, les Tunisiens grimpaient sur les rochers situés au-dessus du quai, pour faire leurs besoins. A l'aide de quelques bâches «empruntées» des camions, ils dressent des tentes, bâtissent des gourbis pour y loger. La nuit, la température est de 8 à 10 degrés, mais avec le vent cela peut descendre beaucoup plus bas. Les couvertures qui leur ont été distribuées sont synthétiques, jetables et très fines. «Elles sont faites pour être utilisées dans des bâtiments fermés, pas en plein air», ajoute notre interlocuteur. Quant à la nutrition, le matin, une bouteille de lait doit être partagée par cinq clandestins. Pour les repas, les Tunisiens se plaignaient des pâtes qu'on leur distribuait non seulement en nombre de plats insuffisants mais aussi des effets qui s'ensuivent tels que les douleurs à l'estomac et les migraines. Alexandre Georges, qui a choisi un échantillon qu'il a pris le soin d'envoyer à un laboratoire d'analyses spécialisé à Londres, soupçonne l'administration de tranquillisants dans la nourriture «pour calmer les ardeurs des tunisiens». «Tous les clandestins que j'ai interviewés me disent avoir ressenti une énorme envie de dormir après avoir consommé les pâtes», a-t-il affirmé.
La situation humanitaire était totalement hors contrôle. Ce qui a acculé les Tunisiens confinés au port à s'échapper pour aller circuler en ville pour pallier ces lacunes de séjour, notamment en matière d'alimentation. Mais en ville, c'est à une autre réalité qu'ils ont dû faire face. Celle de la xénophobie. Car, profitant de la situation dans l'île, des protagonistes de droite et des fascistes ont prononcé des discours qui ont émoussé la foule sur l'île et attisé la haine raciale. Du coup, «les Lampedusiens qui se disaient très accueillants sont devenus intolérants, voire franchement xénophobes», indique Alexandre. En effet, il y a eu d'abord un décret municipal interdisant la vente d'alcool aux Tunisiens. «Ils étaient tellement assoiffés qu'ils ingurgitaient des dizaines de bouteilles de bière», affirme Antonio Insalaco, propriétaire d'un supermarché et d'une vingtaine d'appart-hôtels à Lampedusa. «La première journée, j'ai eu 1.200 Tunisiens au supermarché», révèle-t-il. En effet, ce rush sur le supermarché d'Insalaco s'explique par le refus des autres magasins de vendre aux Tunisiens. D'ailleurs, depuis le début des débarquements des clandestins à Lampedusa, seul le café Bar Royal, dont le propriétaire est un fervent défenseur des immigrés, Jean Lucca, a continué à servir les clandestins dans des tasses et des verres. Le reste des cafés servaient les Tunisiens dans des gobelets jetables. Ce qui lui a valu d'être boudé par la clientèle locale. Les hôtels et les auberges fermaient leurs portes devant les Tunisiens qui pourtant ont de quoi payer.
C'est pourquoi il y a eu quelques entrées par effraction dans des résidences d'été fermée et non habitées. Des Tunsiens y ont passé quelques nuits, en causant au passage quelques «dégâts» mineurs, mais qui ont remis au goût du jour la haine raciale des insulaires. Pas tous évidemment puisqu'une grande partie de la population, portée par un élan d'humanisme, prêtait main-forte surtout aux mineurs tunisiens. Ils leur procuraient, en l'occurrence, des repas, des vêtements et des chaussures. Il n'empêche, ce ne fut pas le cas pour tous les immigrés.
Méchoui-party
«Les Tunisiens sont-ils cynophages ?», demandait un Lampedusien à Salem Belkahla, un résident tunisien dans l'île. La matinée, il avait trouvé la carcasse de son chien, sa tête et ses pattes. Faute de nourriture, des clandestins tunisiens se seraient amusés à faire avec un méchoui-party, nous rapporte-t-on.
Avec ces comportements vexatoires, la tension monte et même les clandestins au centre de rétention commencent à montrer leur mécontentement. «Nous allons brûler l'île», se sont exclamés des dizaines de clandestins qui ont mis le feu à une caravane stationnée au quai du port.
Inquiets du nombre sans cesse grandissant des clandestins tunisiens, des pêcheurs sont allés bloquer l'entrée du port avec des barques. Les Lampedusiennes, quant à elles, ont bloqué l'entrée de la ville du côté du port.
Partout, des pancartes et des banderoles mentionnent que «ça suffit, l'île est pleine». Les nerfs à vif, les uns et les autres risquaient une confrontation sanglante. C'est à ce moment-là que Berlusconi fait son apparition sur scène promettant à la population locale de «libérer l'île sous 48 heures».
Promesse tenue, puisqu'un plan d'évacuation de l'île a été mis en œuvre avec l'aide de l'armée italienne. Les Tunisiens munis de permis de séjour provisoires continuent aujourd'hui leur périple en Europe. Ils ne sont pas au bout de leurs peines puisqu'ils sont toujours confrontés à des risques.
Ils quittent donc la belle Lampedusa qui se présente tel un tableau où de rudes morsures de forêt au cœur même de la cité, des rues cramponnées à la montagne, au milieu des vignes et de jardins dévalant vers les eaux transparentes du port, des maisons basses aux toits rouges accrochées aux flancs du massif qui s'épaulent les unes les autres comme pour mieux résister aux tempêtes et repousser les conquêtes, la ville de Lampedusa, grâce à son climat renommé pour ses qualités toniques et vivifiantes, pour sa parfaite salubrité et dont la forme d'exposition a mis à l'abri des atteintes trop rudes et du sirocco, offrait depuis la nuit des temps à ses visiteurs un magnifique lieu d'hivernage et un superbe endroit de villégiature.
Cependant, loin de humer à peu de frais un parfum d'exotisme et d'aventure, les immigrants tunisiens qui auraient tant aimé saisir la puissance triomphante de Lampedusa, les caresses du soleil qui y darde ses rayons, les éclaboussures de couleurs, les effluves parfumés de la Méditerranée, les senteurs envoûtantes de plantes, se retrouveront soumis à des conditions draconiennes de séjour dans d'autres contrées européennes peu enthousiastes à l'idée de voir les Tunisiens s'y établir.


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