Allez dire à un handballeur professionnel qu'au lieu de finir super champion, c'est en superstar des petits gâteaux "Made in Tunisia" qu'il ferait carrière et allait connaître la gloire. Il vous aurait rit au nez. Cet homme est Jallel Ghezaya (JG). Il a toujours eu beaucoup d'ambitions. Meneur d'hommes et sportif de haut niveau, il est doté d'un esprit de compétition développé. Il a d'ailleurs compris, au sortir de l'université qu'il n'irait pas très loin avec son diplôme et ses 600 dinars par mois. Il décide alors de quitter son pays natal en 1982. C'était une pratique courante et accessible à l'époque, surtout pour les sportifs jouant en catégorie nationale tous sports confondus. Un contrat de 12 mille dollars par an le fait s'établir au Moyen-Orient. Il commencera par le Qatar en tant que handballeur professionnel, puis évoluera, comme il le précise lui-même, «en dents de scie dans le monde des affaires». Mise à part sa carrière de sportif, il commence par travailler dans le commerce de l'agroalimentaire tunisien. Normal, il en connaît la qualité. Il s'attaque d'ailleurs, non sans un certain succès, à l'huile d'olive en créant sa propre marque qu'il baptisera «Nejla». JG reconnaît aujourd'hui aisément que «c'était peut-être trop tôt à l'époque. Il n'empêche que mon huile est devenue très rapidement la deuxième huile d'olive sur le marché au Moyen-Orient. J'ai dépensé un argent fou en marketing, mais je n'ai pas respecté les lois de la finance dans la grande distribution dans la région. Mon affaire a tenu 10 ans et je réalisais 10 millions de dollars de chiffre d'affaires par an». JG revient, avec légèreté, sur les réalisations exceptionnelles qu'il a accomplies ainsi que sur les erreurs qui lui ont coûté très cher. Pour s'installer à Dubaï, on lui proposera la représentation des pâtes «Barilla» sur tous les pays du Moyen-Orient en plus de la Jordanie. Un défi qu'il relèvera avec succès. Il apprend alors à se faire les dents dans un milieu très codifié. Il étend son savoir-faire dans les produits gourmets de chez «Fauchon» ainsi que d'autres marques aussi prestigieuses. Pour l'anecdote, Ghezaya s'est même essayé au commerce international du caviar iranien pour la chaîne d'hypermarchés «Intermarché».Il est arrivé un jour à 5 heures du matin dans un aéroport international européen avec 30 Kg de caviar en guise d'échantillon. Je vous laisse imaginer l'effet de bombe que le produit de luxe a pu provoquer à l'époque. Après avoir subi quelques vicissitudes de la vie, aujourd'hui JG a la cinquantaine à peine passé. L'homme est bien établi à Dubaï. Il a créé «Délices», il y a plus de 5 ans avec un petit prêt de 27 mille dollars. Il a fallu une certaine maturité pour que sa marque de produits gourmets tunisiens se hisse au top en devenant synonyme de raffinement, de qualité et de bon goût à l'orientale. «Délices» est maintenant le fournisseur attitré des cours royales et des grands mariages des pays dans la région. La boutique mère a fait des petits en ouvrant à Abu Dhabi, d'autres points de vente à Dubaï et s'installe prochainement en Arabie Saoudite et au Qatar. L'hôtellerie de luxe se ravitaille chez «Délices» pour honorer ses hôtes. Le patron déclare qu'il est fier de «travailler un produit tunisien» et de desservir «quotidiennement plus d'une vingtaine de palaces et d'hôtels 5 étoiles dans la ville de Dubaï». JG est parvenu à faire à sa marque une place «à la mesure de l'énergie qu'il a mise à l'ouvrage».Sa jeune épouse, une femme talentueuse, l'a beaucoup soutenu. «Sans elle, Délices n'existerait pas». Mais en quoi réside le secret du succès au juste? Comment parvenir à bâtir un temple autour de la fine gastronomie tunisienne ? Il faut reconnaître que grâce à JG et son équipe, la pâtisserie tunisienne est élevée à un rang plus international. Ghezaya précise fièrement : «Vous ne vous rendez peut-être pas compte, mais c'est un travail de fond qui a été déployé. Nous sommes dans l'innovation continue». En effet, les gâteaux et plus récemment les chocolats, ne sont ni plus ni moins que de véritables petits bijoux. «Toute la difficulté était de sélectionner les matières, de mettre les saveurs en cohérence, de réduire les tailles et de revoir complètement la présentation. Aujourd'hui, nos gâteaux ne sont plus livrés dans de petits coffrets mais dans des boîtes à bijoux». C'est d'ailleurs dans le prestigieux centre commercial de Dubaï Mall que JG me donne rendez-vous, pour me faire découvrir sa dernière boutique. Juchée sur de hauts talons, je tente de suivre son pas hâtif. Il garde non seulement une carrure de sportif mais en assume avec aisance le rythme. Il est arrivé, bronzé, amical et affichant un large sourire : «Vous me suivez ? Je vous propose un tour chez la concurrence. Regardez et comparez les prix. Nos prix sont parmi les plus chers sur la place... Même nos chocolats sont plus chers et figurez-vous qu'on nous a même copié notre modèle "Mechmoum" pistache et pignons pour le reproduire en chocolats et grains de café », dit-il, non sans une pointe de regret. Sa nouvelle boutique a ouvert ses portes le 20 mars 2009 dans le «Gourmet Hall» du centre commercial. Pour un nouveau centre, il fallait un nouveau concept et un nouveau design. Il est clair qu'entre le traditionnel rouge de chez «Hedirad», les tons marron de chez «Patchi» et les fameux thés «Marriages frères», il fallait faire fort pour se démarquer. Le pari est gagné. Porte blanche, intérieur design, lustres en cristal, perles Swaroski, cuir immaculé, vitrines en verre... tout est épuré et réduit à l'essentiel. En guise de porte d'entrée, la célèbre porte traditionnelle «bien de chez nous» est allégée de ses clous et du coup n'en est que plus exceptionnelle. L'effet est magnifique et la boutique ressemble davantage à une joaillerie qu'à une pâtisserie. Un peu plus loin dans la ville, dans les laboratoires de «Délices» digne d'un cabinet de dentiste, ce sont huit personnes qui travaillent nuit et jour à trier, monder, couper, et ciseler les fruits secs. On y broie le cacao, dilue les arômes, sectionne les fruits, et surtout invente de nouveaux produits. JG passe beaucoup de temps à voyager pour sélectionner la meilleure des qualités pour ses produits. Il explique méthodiquement que ses clients «sont très exigeants et habitués à ce qu'il y a de mieux au monde. Nous avons étayé notre panoplie de produits à la datte et récemment aux chocolats... Nous avons même été sélectionnés meilleur chocolat de Dubaï malgré une très rude compétition. Nous attaquons maintenant les macarons et les calissons. Aujourd'hui, je dois me consacrer à donner plus de valeur à la marque. La Tunisie lui manque-t-elle ? Impossible de le savoir. Elle est omniprésente. Son premier magasin, celui qui lui a porté chance selon sa ferme conviction, en est largement empreint. Les dorures, les arabesques, les cuivres, l'argent et même la musique sont celles du pays. Son téléphone ne cesse de sonner. Des amis de Tunisie pensent à lui très souvent. Ils vont et viennent sans cesse. Lui-même fait d'incessants allers et retours entre Tunis et Dubaï. Quand il fréquente les plateaux TV pour présenter ses petits gâteaux, il est accompagné de sa maman, qui en connaît un large pan sur la gastronomie nationale. Au moment de le quitter, il ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour son père, ancien arbitre international tunisien. Son jeune fils, né il n'y a pas longtemps, porte d'ailleurs son nom.