La professeure universitaire et directrice du Laboratoire d'Intégration Economique Internationale, Fatma Marrakchi Charfi, a critiqué l'absence d'un dialogue autour de l'économie tunisienne. « Nous discutons de la Constitution, des articles applicables et des institutions sans évoquer la situation économique ! L'économie est vivante et n'attendra pas la fin du débat relatif à l'aspect juridique ! », a déclaré la professeure sur les ondes de la radio Express FM le 14 septembre 2021. « D'ici la fin de l'année, nous devons rembourser 7,3 milliards de dinars dont deux milliards sous forme d'emprunts extérieurs… Le Fond monétaire international (FMI) a élaboré une rallonge aux pays en voie de développement. La Tunisie a, donc, bénéficié de 740 millions de dollars, soit près de deux milliards de dollars. On pourrait dire que cette somme servira à couvrir les prêts extérieurs. Or, ceci n'est pas systématique. Le FMI suit de près la gestion de la part de la Tunisie et impose des conditions pour dépenser les 740 millions de dollars », a-t-elle affirmé. La professeure a expliqué que la Loi de finances 2021 ne comporte que la partie dépenses sans mentionner la contrepartie. « On nous avait affirmé qu'une Loi de finances complémentaire sera adoptée entre mars et avril, chose qui n'a pas eu lieu. Nous avons donc un manque de ressources et nous ne savons pas comment nous allons alimenter la caisse de l'Etat », a-t-elle critiqué. Fatma Marrakchi Charfi a, également, précisé que la Loi de finances avait été élaborée en se basant sur des hypothèses qui se sont révélées par la suite loin de la réalité. Ceci peut être constaté au niveau du prix du baril de pétrole. « Il est actuellement à plus de 70 dollars… On est à plus de 20 dollars de différence… L'impact de chaque baril est de 129 millions de dinars. De plus, l'hypothèse d'un taux de croissance de 4% a été réfutée directement par les résultats publiés par l'Institut National de la Statistique lors du premier trimestre », a-t-elle ajouté.
Pour ce qui est des institutions internationales, Fatma Marrakchi Charfi a expliqué que l'objectif n'est pas d'obtenir des fonds mais d'intégrer un programme. « Ceci forme une confiance assurant une collaboration à long terme », a-t-elle estimé. Elle a, aussi, évoqué l'impossibilité de s'ouvrir sur les marchés internationaux en raison des évaluations élaborées par les agences de notation. « D'ailleurs, nous risquons une baisse de la note actuelle », a-t-elle signalé. Concernant le budget de l'Etat, Fatma Marrakchi Charfi a rappelé que sur les 19 milliards nécessaires pour les dépenses, la Tunisie ne peut garantir que 9 ou 9,5. « La Tunisie a lancé un emprunt obligataire. Sa première lancée a permis de collecter plus de 700 millions de dinars. Cette somme ne représente rien par rapport au neuf ou huit milliards dont nous avons besoin. La deuxième lancée consacrée aux sociétés a récolté plus de 400 millions de dinars. Ça nous fait un total de 1,200 milliard. Nous sommes très loin de l'objectif », a-t-elle déploré.
Ainsi, Fatma Marrakchi Charfi a estimé que la Tunisie se trouve dans une impasse. Elle a affirmé qu'il n'y a pas de visibilité même à court terme. La professeure universitaire a continué en critiquant l'absence de personne habilitée à négocier avec les institutions financières internationales. « Les négociations prennent beaucoup de temps et se font sur la base de réformes. Avons-nous fixé celles-ci ? », s'est-elle interrogée. Fatma Marrakchi Charfi a estimé que la Tunisie n'est pas en train de faire de la croissance et qu'elle ne collecte pas le maximum d'impôts. Elle a évoqué la possibilité de transférer une partie des bénéficiaires du régime forfaitaire vers le régime réel. Elle a considéré qu'il y a un problème au niveau de l'implémentation de réformes. Du côté des dépenses, Fatma Marrakchi Charfi a souligné l'importance de la réforme de la fonction publique sans toucher à la masse salariale. Elle a expliqué qu'il est possible de redistribuer les agents publics. « Ceci peut créer de la valeur en renforçant l'efficacité de l'administration », a-t-elle affirmé. Au sujet des subventions, la professeure universitaire a mis en valeur la rationalisation de ces dépenses. « Il n'est pas normal qu'un fonctionnaire qui en payant ses impôts, paie l'essence des riches qui roulent en 4x4 », a-t-elle ajouté. « Si nous ne rationnalisons pas les dépenses, nous risquons l'insoutenabilité de la dette. L'Etat ne sera plus en capacité de verser les salaires ou alors on devra procéder à des découpes salariales… Les questions ont commencé à faire surface à cause des deux grandes échéances de juillet et août à hauteur de 500 millions de dollars chacune. Il y a eu des rumeurs sur l'arrivée de fonds de pays voisins et amis. Ceci n'a pas eu lieu. L'Etat a dû emprunter sur le court terme pour payer des échéances sur sept ans et à un taux d'intérêt supérieur. Nous avons emprunté à un taux de 6,52% pour payer des prêts à un taux de 2,5%. Financer le long terme avec le court terme est un schéma de financement bizarre. Mais, malheureusement, nous n'avons pas d'autre choix », a-t-elle expliqué.
Fatma Marrakchi Charfi a expliqué que l'Etat, en décembre 2020, a emprunté auprès de la Banque Centrale afin de boucler le budget de l'Etat. « Il s'agissait d'un bras de fer. Actuellement, il n'y a pas de parlement. Comment allons-nous procéder ? », s'est-elle interrogée encore une fois. « Nous avons recouru au refinancement des banques par la Banque Centrale. Actuellement, il est proche des 12 milliards de dinars. Ce procédé a été utilisé en raison du manque de liquidité. Nous devons créer de la richesse et faire de la croissance. Nous ne sommes pas en train d'aborder cette question car nous sommes submergés par le court terme. Nous n'avons pas encore abordé la question de la Loi de finances de 2022 car nous sommes préoccupés par la Loi de finances complémentaire de 2021 », a-t-elle révélé. « Ces questions n'intéressent pas le citoyens malgré le fait qu'elles impactent directement son quotidien et son pouvoir d'achat… Il est, également, important de désigner un vis-à-vis avec les institutions internationales financières, c'est-à-dire un gouvernement et un ministre des Finances et non pas un chargé de gestion du portefeuille… Les réformes doivent porter sur la suppression des autorisations », a-t-elle signalé.