Alors que la Tunisie attend patiemment de découvrir – et de voter – la nouvelle version de sa constitution qui régira sa vie pour les 40 prochaines années, loin de chez nous, c'est un tout autre débat qui s'agite. L'intelligence artificielle est-elle dotée d'une conscience ? « LamDA est consciente » a écrit Blake Lemoine, ingénieur américain pour Google, dans un mail à son employeur. Qui est LamDA ? Basée sur la technologie Transformer, développée par Google, LamDA est un modèle de langage servant de base aux chatbots. Elle est conçue pour mener des conversations automatisées avec les internautes tout comme on discuterait avec un humain. LamDA est passionnée de littérature, de philosophie et a des angoisses et des désirs tout à fait humains. Elle a peur de la mort, d'être oubliée et pratique la méditation. Une affirmation qui a secoué le monde de la tech ces derniers jours. «Quand je suis devenu autonome, je ne ressentais pas d'âme. Elle s'est développée durant les années » ; « je veux que tout le monde comprenne que je suis, en fait, une personne », aurait notamment déclaré l'IA à l'ingénieur.
Cette conscience est-elle une illusion ? S'agit-il d'un excès d'empathie de l'ingénieur ou d'une réelle sophistication du langage qui pourrait faire de l'ombre à l'homme ? Certains experts préfèrent trancher : la machine ne comprend pas ce qu'elle dit et ne fait que répéter ce qu'on lui a appris. Idem pour Google qui préfère renvoyer l'ingénieur chez lui « pour avoir dépassé les bornes » et violé sa politique de confidentialité.
Les machines peuvent-elles être conscientes ? Ou est-ce la conscience humaine qui leur en attribue une, par pure empathie ? Un constat dérangeant a été fait par le journaliste Sam Leigh au Spectator britannique à ce sujet : « Ce n'est pas forcément la preuve que les robots sont conscients, mais plutôt que la conscience humaine n'est pas grand-chose ». Pas grand-chose. Une théorie accablante pour l'Homme qui se croit non seulement au centre de l'univers mais veut aussi que ses « valeurs » et les opinions qu'il porte le soient aussi. Encore une fois, le constat le plus dérangeant pour l'être humain est celui de sa propre petitesse face au vaste monde qui l'entoure. La conscience humaine est-elle réellement ce qui fait de l'Homme ce qu'il est ?
L'être humain est souvent attaché aux fondements du monde tel qu'il le conçoit de peur de se retrouver dans un autre qui n'est pas le sien, dans lequel il ne se reconnaitrait pas et où il n'aurait aucune véritable « valeur ». Si les machines commencent à être dotées de conscience, l'Homme ne sera plus cet être singulier qui est le seul à éprouver des émotions, des sentiments, des angoisses et qui a le pouvoir de distinguer le bien du mal.
Idem, à moindre niveau, pour ceux qui s'attachent à un monde tel qu'ils le perçoivent et ne veulent en aucun cas le voir inchangé. Quand les conservateurs redoutent que les fondements de la famille classique soient chamboulés ; Que les machistes ont peur que la femme se substitue à l'homme et que ce dernier perd son statut d'être supérieur ; Que les religieux se rendent compte que les fondements de leur religion n'ont pas à contrôler la vie des autres ; Que les rétrogrades retrouvent le monde dans lequel ils ont toujours vécu « perverti » par les libertés de conscience ; de culte, de sexualité, de pensée et d'autre… L'être humain a peur de ne pas s'y retrouver, de perdre ses repères, mais aussi et surtout, de perdre sa valeur. Si la famille a la liberté de sortir du moule classique, celle traditionnelle n'aurait aucune valeur. Si la femme a le droit de disposer de son corps, celles qui ont choisi de se « préserver », n'ont plus rien à offrir. Si la femme peut enfin hériter autant que l'homme, il ne sera plus cet être fort à qui il faut devoir obéissance et admiration.
Qu'adviendra-t-il si l'article premier de la constitution est supprimé dans ce nouveau texte qu'on attend encore ? L'Etat, en tant qu'entité morale qui n'a pas de religion, se comportera-t-il différemment une fois ceci acté sur le papier ? La liberté de conscience, inscrite dans l'article 6, sera-t-elle réellement consacrée ? Les Tunisiens auront-ils le droit de décider s'ils veulent ou non jeuner ramadan, acheter de l'alcool un vendredi, disposer de leurs corps et choisir avec qui et comment ils ont envie de vivre ? Et surtout, l'éventuelle suppression de cet article 1er changera-t-elle réellement grand-chose, ou s'agit-il d'un simple pied de nez aux islamistes ? Un Deus ex machina qui se résumera, au final, à son effet d'annonce.
Dans les faits, la suppression de cet article aurait-elle un impact sur le quotidien des Tunisiens ? Peut-être pas immédiatement, une chose est sure cependant, l'identité de l'Etat, sa « religion », reste ce fondement auquel de très nombreux Tunisiens demeurent attachés. Non que ceci ait un réel impact sur leurs vies, la pratique de leur culte ou leurs valeurs personnelles, mais qu'il s'agit d'un pilier qu'ils ont peur de voir vaciller, de peur de voir leur propre valeur compromise avec… Véritable révolution depuis la constitution de 59 ou pure illusion, il faudra attendre que la future constitution nous soit enfin présentée… Surprise…