Le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu le ministre de l'Intérieur, Taoufik Charfeddine, pour évoquer les attaques qui visent le site d'enregistrement des électeurs. Dans le communiqué suivant la rencontre, la présidence évoque le chiffre de 1700 attaques informatiques et tentatives de piratage. Le problème est que ce genre d'affirmations venant de la présidence de la République, et généralement non suivies d'effets, n'est plus du tout crédible. Le chef de l'Etat a prévenu son ministre ainsi que le président qu'il a nommé à la tête de l'instance des élections : il est hors de question que ce qui s'est passé durant la consultation nationale se répète pour le référendum. Mais que s'est-il réellement passé ? Personne ne le sait. Nous avons entendu parler d'attaques informatiques et de tentatives de piratage, mais personne n'a encore été condamné ou jugé pour ces actes. De plus, le président de la République semble ignorer que dès qu'on parle d'un site internet, surtout bourré de données personnelles comme ce fût le cas pour la consultation ou pour le registre des électeurs, il est automatique que les attaques pleuvent. N'importe quel expert en informatique peut le confirmer. Encore une fois, Kaïs Saïed se complait dans la légende selon laquelle il serait seul contre tous, guetté par les forces du mal contre lesquelles il se bat jour et nuit. Il est bien obligé d'alimenter cette rengaine par des attaques venant de l'extérieur, des tentatives d'assassinat déjouées et des complots ourdis on ne sait où ni par qui.
Par ailleurs, le président de la République, Kaïs Saïed, est bien obligé de tenter de détourner les regards du cheminement chaotique du référendum du 25 juillet, censé représenter le point d'orgue de son coup de force, débuté il y a un an. Il s'agit sans doute de la campagne électorale la moins active et la moins vivante depuis 2011. Rien ou pas grand-chose ne se fait dans le cadre de cette campagne et les Tunisiens s'en désintéressent fortement. Grâce à l'instance des élections et à ses décisions, il est interdit de mesurer ce désintérêt et d'en publier les résultats. Mais il faut dire que l'instance a d'autres chats à fouetter car ses membres se livrent une guerre intestine sans merci. Il suffit de lire les posts Facebook du membre de cette instance, Sami Ben Slama, pour s'assurer que le président de la République, Kaïs Saïed, est resté fidèle à son habitude : nommer les mauvaises personnes aux mauvais endroits. Le conseil de l'instance a présenté une motion pour faire virer Sami Ben Slama de l'Isie en essayant de l'étayer par 55 accusations, dont certaines franchement ridicules. Sans parler de la démission d'un autre membre de l'instance, le juge Habib Rebai, en soutien à ses confrères magistrats. Cette même instance ferme les yeux sur les violations répétées de la loi électorale du moment qu'elles sont en faveur du chef de l'Etat et de la campagne du « oui ». Il lui aura fallu quelques jours pour publier un communiqué laconique concernant les affichages sauvages et l'utilisation du drapeau national lors de la campagne. L'instance s'est contentée d'un simple rappel de la loi. D'ailleurs, en parlant de loi, nous attendons toujours l'avis de l'instance sur le fait que le président de la République, à au moins deux reprises, appelle ouvertement à voter « oui » au référendum. Nous attendons aussi l'avis de l'instance sur la « campagne explicative » que va mener l'Etat en faveur de ce projet de constitution.
Le président de la République, Kaïs Saïed, doit également masquer, autant que possible, l'implication de l'Etat dans cette campagne de référendum. A deux reprises, au moins, Kaïs Saïed a évoqué les efforts de l'Etat pour faire réussir l'échéance du 25 juillet en recevant la cheffe du gouvernement et le ministre de l'Intérieur. C'est d'ailleurs à l'occasion de la rencontre avec Najla Bouden que l'opinion publique a appris l'existence de cette « campagne explicative ». Autrement dit, l'Etat va mobiliser l'ensemble de ses moyens dans les régions et au niveau central pour faire réussir le référendum. Il est évident que la « réussite » de ce référendum veut dire l'adoption du projet de constitution et la victoire du « oui ». Le principe de neutralité de l'administration, même si la communication présidentielle en fait mention à plusieurs reprises, sera forcément violé par l'implication de l'Etat et la mobilisation de ses moyens. Aucun autre résultat que la victoire du « oui » ne sera acceptable pour le pouvoir en place. Cette exigence impérieuse motivera toutes les actions de l'Etat dans les prochains jours. Le président de la République n'a pas eu le courage politique de fixer un taux de participation minimum pour légitimer le résultat de ce référendum. Kaïs Saïed n'hésite pas à mobiliser les moyens de l'Etat en sachant très bien qu'il n'y a pas de neutralité qui tienne et que les gouverneurs qu'il a nommés feront campagne en sa faveur. Il a également minimisé le rôle de l'Isie qui est empêtrée dans ses conflits internes sachant que son indépendance est mise en doute depuis le premier jour. Pendant les douze prochains jours, tout sera permis pour réaliser un seul et unique résultat : maintenir Kaïs Saïed au pouvoir et l'affubler d'une constitution hégémonique qui lui garantit tous les pouvoirs.