Après la campagne explicative précédant la présidentielle de 2019, vient le tour de la campagne explicative du référendum de 2022. La première a été organisée par les partisans de l'ovni Kaïs Saïed, conscients que le peuple ne pouvait comprendre, seul, les motivations et les projets du futur locataire de Carthage dont on ignorait tout. A l'époque, il n'était qu'un sombre personnage que les citoyens n'avaient connu qu'au travers du constitutionnaliste austère présent lors du JT pour évoquer un projet de constitution utopique. La deuxième campagne sera initiée par le chef de l'Etat lui-même, conscient que les Tunisiens auront besoin d'explications pour comprendre son projet de constitution interprétable à souhait. Une constitution qui, selon son ancienne conseillère, « a fait exprès de ne pas trancher toutes les problématiques », afin, comprenons-nous de laisser au chef de l'Etat le soin de le faire. Constitution dont il a toujours rêvé et qu'il a pu mettre à exécution, seul, après être devenu en 2019, le président le plus plébiscité de l'ère post-révolutionnaire.
Celui qui s'était longtemps défendu d'être derrière la campagne explicative de 2019, décide finalement de l'utiliser pour son référendum de 2022. SON référendum oui. Un scrutin initié par un seul homme autour d'une constitution écrite par un seul homme. Il aura beau répéter ne pas avoir besoin d'explicateurs pour rendre son dessein accessible au peuple, il décide finalement d'y avoir recours. Tout comme il s'est gargarisé des manifestations « spontanées » sorties en son nom dans la rue – 1,8 million de personnes selon lui – il tire aussi profit aujourd'hui des explicateurs épris de changement qu'il a longtemps reniés.
Qu'est-ce que cette campagne explicative au juste ? Est-ce celle mentionnée par l'article 115 bis du code électoral et qui, en théorie, doit être « rendue publique avant le début de la campagne de référendum » ? Elle n'y ressemble pas… Selon la loi, la note explicative doit, en effet, être publiée par l'autorité convoquant au référendum – le chef de l'Etat donc, avant le début de la campagne, qui a démarré le 3 juillet. Il s'agit donc d'un autre genre de campagne. Cet article a pourtant été ajouté via un décret- loi présidentiel en juin dernier en vertu du décret 117 des mesures exceptionnelles du 22 septembre 2021. Le chef de l'Etat a décidé d'outrepasser les lois qu'il avait lui-même fixées. Mais il s'agit loin d'une première.
Tout comme le préambule de sa constitution, empreint de lyrisme et de propos à l'eau de rose, la campagne explicative du chef de l'Etat pourrait bien empreinter les mêmes codes. Elle misera sur les sentiments, effacera une partie de l'histoire et présentera le président actuel comme étant le sauveur qu'il faut encourager sur sa lancée et auquel il ne faut – absolument pas – demander des comptes. On y apprendra que l'histoire tunisienne a débuté un certain 17 décembre, que la « rectification de la trajectoire » est la nouvelle indépendance, et que « barrer la route à l'ennemi », est plus important que les projets et les réformes. Une campagne explicative initiée par un seul homme et dans laquelle il insistera sur « l'importance de rendre des comptes », alors que lui n'en rendra pas, et le danger « de la décision unilatérale », alors que seule la sienne primera.
Le chef de l'Etat ne cesse de transgresser des lois qu'il s'est lui-même fixées. Alors qu'il n'a même pas le droit- selon la loi – de participer à la campagne référendaire, ni à titre personnel, ni en engageant l'institution de la présidence de la République, il n'arrête pas d'engager les moyens de l'Etat pour le faire. Son « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais », pourrait même le conduire à promulguer sa constitution même si les citoyens décidaient en majorité de voter contre. N'avait-il pas, dans la version première de l'article 139, écrit que « cette constitution entre en vigueur à compter de la date de la proclamation définitive des résultats du référendum par l'Instance supérieure indépendante pour les élections » avant de décider de le rectifier. Curieux de voir comment il réussira, le jour où il sera acculé à le faire, à expliquer l'inexplicable…