Une nouvelle fois, le président de la République affirme son opposition aux solutions extérieures pour résoudre les problèmes de la Tunisie. Le gouvernement qui a établi toute sa stratégie sur les crédits extérieurs, à commencer par le FMI, doit revoir sa copie. C'est sur un ton sec et résolu que Kaïs Saïed s'est adressé à sa cheffe du gouvernement Najla Bouden lundi 8 mai 2023 au palais de Carthage. Exactement comme un maître corrige son élève. Un jeu dans lequel le chef de l'Etat excelle. Dans la courte vidéo de quatre minutes, diffusée par la présidence de la République vers 21 heures, le président a dit que « l'on doit traverser la route ensemble, sans aucune ingérence étrangère, car notre souveraineté n'est pas un vain mot et que la Tunisie n'est pas une chambre à louer ou à vendre. On doit tracer une nouvelle route dans l'Histoire et divague celui qui croit pouvoir nous tracer notre route. On doit tracer une nouvelle route, loin des mines et des explosifs posés par ces gens-là, car la paix civile n'a pas de prix. Les routes qu'ils ont pavées n'en sont pas, et ne constituent pas un chemin. Tout le monde, à l'intérieur de l'Etat, doit respecter la loi et surtout respecter l'obligation de réserve. Il faut que certains, et je dis bien certains, cessent de danser sur plusieurs cordes à l'intérieur de l'administration. Ce genre de dépassements ne sera pas admis et chacun doit en assumer les conséquences, notamment, ceux qui veulent s'opposer à ce processus. Nous nous référons à la loi et nous œuvrons à répondre aux revendications du peuple selon sa volonté. Nous sommes là pour servir l'Etat tunisien, les misérables et les appauvris. Plusieurs pensent qu'ils sont au-dessus de la reddition des comptes ou qu'ils peuvent dicter leurs lois dans l'appareil de l'Etat, mais ils n'auront pas de place à l'intérieur de cet appareil, s'ils vont travailler à l'encontre de la volonté du peuple. »
C'est la deuxième fois, en l'espace d'une semaine, et la troisième en un peu plus d'un mois, que Kaïs Saïed évoque la question de la souveraineté de l'Etat et de l'ingérence étrangère. Le 6 avril à Monastir, Kaïs Saïed a clairement annoncé ne pas vouloir de ce prêt. Il a affirmé la Tunisie était « capable de sortir de la crise par ses propres moyens (…) Le monde et les entités financières, telles que le Fonds monétaire international (FMI), doivent comprendre que l'être humain n'est pas un simple chiffre… ». Le 4 mai, la présidence publie un communiqué disant que « la Tunisie n'acceptera aucune ingérence de quelque partie que ce soit. Les solutions doivent provenir de la volonté populaire tunisienne et doivent être totalement tunisiennes et au service de la majorité démunie qui a souffert et continue de souffrir de la misère et de la pauvreté. Les déclarations venant de l'extérieur n'engagent que leurs auteurs et personne n'a le droit d'imposer à l'Etat quelque chose qui ne convient pas à son peuple, de même qu'aucune partie en Tunisie n'a le droit d'agir contrairement à la politique définie par le président de la République. » Les propos de Kaïs Saïed doivent être contextualisés. Plusieurs pays étrangers alertent sur le grand danger qui guette la Tunisie, à savoir l'effondrement économique si jamais le pays n'obtient pas son crédit de 1,9 milliard de dollars du FMI. Le gouvernement est penché sur le dossier depuis fin 2021 et il devait recevoir ce prêt au premier trimestre 2022. D'un report à un autre, nous sommes au milieu du deuxième trimestre 2023 et le prêt n'est toujours pas versé. Et ce n'est pas parce que le gouvernement n'a pas fait son travail, loin s'en faut, mais parce que le président de la République refuse de passer à l'acte, c'est-à-dire entreprendre les réformes sur lesquelles s'est engagé le gouvernement devant le FMI.
Pourquoi donc le président se sent obligé de dire et redire la même chose ? La réponse est simple, parce que les propos présidentiels ne sont pas audibles (ou compris) par son gouvernement. En avril, le ministre de l'Economie et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie sont allés à Washington pour participer aux rencontres du printemps de la Banque mondiale et du FMI. Au FMI, on annonce que le dossier tunisien suivait son chemin et que le gouvernement n'a présenté aucune demande pour annuler son dossier. En clair, le Président parlait en l'air. La semaine dernière, la ministre de l'Industrie évoque la question des réformes, promises au FMI, et parle de compensation et de dates des augmentations du prix du carburant. Une nouvelle fois, un membre du gouvernement agit comme si le Président parlait en l'air. Sauf que le Président ne s'est pas laissé ignorer cette fois et a agi violemment en limogeant, immédiatement, la ministre. Que s'est-il passé ensuite ? Rien. Qu'a fait le gouvernement par rapport au dossier du FMI ? Rien. A-t-il envoyé une demande pour retirer son dossier ? Non. A-t-il présenté un plan B, conforme aux directives présidentielles annonçant que l'on devait compter sur nous-mêmes ? Non. Au gouvernement, on continuait donc à agir (ou ne pas agir) comme si le Président n'avait rien dit et idem dans les médias où le sujet du 1,9 milliard du FMI était encore d'actualité.
C'est donc dans ce contexte que Kaïs Saïed a reçu lundi 8 mai sa cheffe du gouvernement et son ton sec, presque sévère, était un rappel à l'ordre. Une sorte d'avertissement ou de carton jaune pour qu'elle agisse conformément à ses directives. Najla Bouden, de par les prérogatives dessinées par la constitution de 2022, devait donner forme aux propos présidentiels en présentant un plan d'action différent du précédent. Un plan d'action qui montre par a+b comment nous allons compter sur nous-mêmes, comment nous allons combler l'énorme déficit budgétaire, le tout sans appauvrir le peuple et sans subir les ingérences et les directives étrangères. Plus d'un mois après le discours du 6 avril, non seulement Najla Bouden n'a rien fait de tout cela, mais en plus, son gouvernement se prépare à faire le contraire. De fait, l'avertissement ou le carton jaune du 8 mai prend tout son sens.