Quand le chaos règne, quand les règles et les procédures ne sont plus respectées, quand tout le monde est occupé à bien se placer vis-à-vis de certains intérêts en fonction des événements, il devient confortable et préconisé de s'en remettre à une notion extrêmement précieuse : les principes. Au-delà des péripéties de l'arrestation de la présidente du parti destourien libre, Abir Moussi, au-delà des circonstances et des interprétations que l'on a vu de part et d'autre, au-delà des pleurnicheries de ses partisans ou de la mauvaise joie de ses opposants, le principe nous commande de nous insurger contre l'emprisonnement injuste de n'importe quel citoyen tunisien, y compris Abir Moussi.L'action qu'elle a entreprise ne mérite nullement que l'on place l'avocate en détention et le chef d'accusation qui a été retenu à son encontre est largement disproportionné par rapport aux faits qui lui sont reprochés. C'est la position de principe qui prévaut dans ce genre de situation, indépendamment de l'identité de la personne qui fait les frais des abus du pouvoir en place. Cette notion était absente de l'esprit d'Abir Moussi quand elle n'a daigné montrer aucun signe de soutien aux prisonniers politiques, y compris les islamistes. Elle n'a pas compris que si on permet à la machine de broyer son voisin, elle se retournera contre les autres au bout d'un moment. A contrario, c'est justement parce qu'ils connaissent et pratiquent ce principe que l'avocate Dalila Msaddek Ben Mbarek a déclaré être prête à représenter Abir Moussi si cette dernière le souhaite, malgré la profondeur des divergences entre les deux femmes, que notre confrère Zied El Heni a déclaré qu'il soutenait Abir Moussi malgré le fossé idéologique qui les sépare. C'est aussi pour des raisons de principe que la même Abir Moussi a trouvé une tribune pour s'exprimer sur les colonnes de Business News tout juste après la révolution, quand personne ne voulait être vu en sa compagnie. C'est pour la même raison que cette chronique est consacrée à la soutenir, malgré le fait qu'elle se soit attaquée à notre journal et à la personne de votre serviteur dans ses lives enflammés. C'est la même raison qui fait que nous défendons son droit à la liberté aujourd'hui alors qu'elle s'est isolée de tous et que nombreuses sont les personnes qui apprécient et applaudissent le fait qu'elle ait été jetée en prison. Abir Moussi a eu le mérite de tenter de contrer les décrets et les décisions du président de la République, Kaïs Saïed, en utilisant la loi. Nous pouvons évaluer politiquement la pertinence d'une telle démarche et juger de son efficacité. Nous pouvons également aimer –ou détester- le style d'Abir Moussi et critiquer sa fâcheuse tendance au spectacle et à l'exhibition. Mais en aucun cas on ne peut tolérer qu'Abir Moussi soit privée de sa liberté et jetée en prison injustement. Quand on parle de principes, les noms des protagonistes et leurs appartenances idéologiques ou politiques importent peu. Qu'il s'agisse de Rached Ghannouchi, d'Abir Moussi ou de Jawhar Ben Mbarek, nous ne devons pas accepter l'injustice parce qu'elle sert de petits intérêts politiques et conjoncturels. Seule une minorité avait crié au scandale quand des figures islamistes ont été jetées en prison et seule une minorité s'insurge aujourd'hui contre ce qui est arrivé à Abir Moussi. Le plus drôle en Tunisie c'est qu'il s'agit, à peu de choses près, de la même minorité qui a été maltraitée et vilipendée aussi bien du temps où les destouriens étaient au pouvoir que du temps où les islamistes avaient les commandes du pays. C'est assez douloureusement que les partisans et fans d'Abir Moussi se rendent compte que les injustices qu'ils ont applaudies quand elles s'appliquaient à leurs ennemis peuvent également leur être infligées. Ils partagent, depuis hier, des messages et des slogans appelant à la libération de leur favorite et alertant contre le danger de la normalisation de telles pratiques. Ils étaient pourtant les premiers à vilipender ceux qui demandent la libération des détenus politiques ou qui osent, offense suprême, défendre les droits des islamistes et dénoncer les injustices qui les touchent. C'étaient les premiers à distribuer les certificats de patriotisme et à accuser les autres de trahison et d'allégeance à des forces extérieures faisant même concurrence à Kaïs Saïed dans ce domaine. Ils se sont déchainés sur les syndicats, sur les journalistes et sur d'autres acteurs de la vie civile tunisienne à tel point qu'ils se retrouvent aujourd'hui pratiquement seuls devant ce qui est arrivé à leur cheffe. Cela servira peut être de leçon à tous ceux qui ne comprennent toujours pas qu'un régime despotique ne fait pas de différence entre ses opposants et surtout, qu'on ne grandit pas en insultant et en faisant des autres des traitres.
Si toutes les factions politiques agissaient en fonction de principes, personne ne pourrait venir de nulle part et imposer sa loi. Si nous étions de vrais démocrates, on ne tolérerait pas qu'il y ait un putsch dans notre pays. Si nous croyons réellement aux droits de l'Homme, jamais nous n'aurions permis que la justice soit instrumentalisée depuis la nuit des temps. Il reste encore quelques voix courageuses pour dénoncer les injustices indépendamment de qui les commet, et de qui en sont les victimes. Espérons que leurs voix seront, enfin, écoutées. A lire également Pourquoi Abir Moussi en est arrivée là