La Commission européenne affirme qu'une aide de 60 millions d'euros a été versée à la Tunisie au début de la semaine à la demande du gouvernement tunisien. L'information est relayée par les agences de presse européennes, puis les médias tunisiens. Quelques heures après, le ministère des Affaires étrangères dément l'information et assure que la Tunisie n'a pas donné son accord. Les graines de la discorde sont semées. L'un des dadas du président de la République est de disserter sur la suprématie de la souveraineté. On retrouve le thème à toutes les sauces et cela fait applaudir les masses de sympathisants. Le président de la République avait convoqué le 2 octobre son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar. Depuis Carthage, on nous balance un communiqué très offensif et très imprégné du parfum souverainiste à la Kaïs Saïed. Le Président monte sur ses grands chevaux et dit non aux Européens, non à l'aumône, non à la charité, non à la pitié… Un niet qui a mis les fans dans un état d'extase, se déversant sur les réseaux sociaux et sous le communiqué présidentiel avec leurs bravo et hourras. Il faut dire que Kaïs Saïed n'y est pas allé par quatre chemins. Direct et clair : « La Tunisie, qui accepte la coopération, n'accepte pas la charité ou l'aumône. Notre pays et notre peuple ne veulent pas de la pitié, mais exigent le respect ». Le Président commentait la dernière proposition de l'UE pour soutenir le budget de l'Etat et lutter contre la migration irrégulière. « La Tunisie rejette ce qui a été annoncé ces derniers jours par l'Union européenne, non pas en raison du montant en jeu, car toutes les richesses du monde ne valent pas une once de notre souveraineté, mais parce que cette proposition contrevient à l'accord signé à Tunis et à l'esprit qui a prévalu lors de la conférence de Rome en juillet dernier ». Il était donc clair que Kaïs Saïed évoquait le financement attendu dans le cadre du mémorandum signé durant l'été. Pendant quelques jours, les instances européennes n'ont pas commenté les propos du Président. Un seul petit commentaire de la porte-parole de la Commission, au lendemain de la déclaration de Saïed, le 3 octobre, pour dire qu'ils poursuivent le travail avec la Tunisie pour tenter de mettre en œuvre le mémorandum. Mais le 4 octobre, la même porte-parole Ana Pisonero, annonce en conférence de presse que le l'Europe a « payé les 60 millions d'euros demandés par la Tunisie et reste un partenaire fiable qui respecte ses engagements ». Ainsi, nous apprenons qu'au début de la semaine, la Commission européenne a procédé au versement de cette somme d'argent « à la suite d'une demande du gouvernement tunisien formulée le 31 août 2023 ». On ne peut plus précis. Le montant, la date de la demande… tous les éléments sont présentés en une réponse détournée, mais limpide, au refus voulu tonitruant de Kaïs Saïed. Nous apprenons aussi que les 60 millions d'euros accordés par l'UE font partie du programme d'appui budgétaire décidé il y a un bon moment, visant essentiellement à la relance économique post-Covid. Ainsi, cette aide au Trésor tunisien ne fait pas partie de la somme promise dans le cadre de l'aide budgétaire prévue dans le protocole.
Quelques heures après, grosse surprise ! Le ministère des Affaires étrangères dément catégoriquement que la Tunisie ait donné son accord au sujet du décaissement des 60 millions d'euros. Le département a tenu aussi à rappeler que le président de la République avait refusé cette aide.
Qui dit vrai et qui tente de noyer le poisson ? Les conclusions ne sont pas difficiles à faire. La partie tunisienne semble parler de l'aide prévue dans le cadre du mémorandum en renvoyant vers la déclaration du président du 2 octobre. Sauf que les Européens ont bien spécifié que le financement faisait partie d'un autre programme. Pourquoi donc, notre ministère des Affaires étrangères s'est mis à démentir une information très facile à vérifier ? Bravade dans la même lignée présidentielle, pour contenter le peuple des applaudisseurs ? Incompréhension de la déclaration européenne ? Fâcheuse tendance à se torpiller, sur tous les niveaux, par incompétence ? Tout cela pour dire que dans la matinée du 5 octobre 2023, le Commissaire européen à l'Elargissement et à la Politique européenne de voisinage, Olivér Várhelyi a publié un tweet où il met les points sur les i et le ministère des Affaires étrangères dans une position, vraiment, mais vraiment, inconfortable. Le haut responsable européen a publié le document officiel confirmant la demande faite par la Tunisie à la date du 31 août pour le décaissement de l'argent. Plus aucun doute possible. Ou bien notre ministère a voulu manipuler l'opinion pour coller aux récents propos du Président, ou bien quelqu'un a commis la grosse gaffe de ne pas écouter le contenu de la déclaration européenne. Olivér Várhelyi a commenté la chose en ces termes : « Il s'agit d'un appui budgétaire lancé depuis 2021, non lié au MoU… La Tunisie est libre d'annuler sa demande formelle de décaissement et de la renvoyer… La mise en œuvre du protocole d'accord devrait se poursuivre une fois la Tunisie revenue à l'esprit de notre partenariat stratégique et global basé sur le respect mutuel ». Notre gouvernement se fait taper sur les doigts à cause d'une bourde inutile qui aurait pu facilement être évitée. Il s'agit tout bonnement d'une claque pour la diplomatie tunisienne. Par ailleurs, ce fâcheux épisode pourrait ébranler les travaux en cours sur le mémorandum signé et voulu par le président de la République.