Plus que jamais, le développement de la mobilité électrique est devenu un impératif vital, vu les problèmes budgétaires de la Tunisie. Idéalement, cela devrait s'accompagner par le développement des énergies renouvelables avec pour objectif de rouler moins cher, mais plus propre. Cependant, des entraves et obstacles importants demeurent. La rationalisation de la consommation énergétique est devenue une des priorités du gouvernement, surtout avec l'envolée des cours de pétrole. Ce qui a remis sur la table la nécessité de migrer vers des énergies plus propres et notamment vers la mobilité électrique dont les coûts énergétiques sont moins chers. Cela a aussi mis sous les projecteurs une autre problématique importante, celle de la nécessité de la reconversion et la mise à niveau des industries nationales de composants automobiles. Dans une interview à Business News, le DG de l'agence Fathi Hanchi est revenu sur les avancées en la matière. « Le bilan énergétique est déficitaire, et aujourd'hui, nous n'avons pas d'autres choix que d'aller aux énergies renouvelables. On doit trouver des solutions nouvelles et innovantes pour développer notre économie, c'est ce que nous cherchons et c'est ce que nous visons à travers les énergies renouvelables, les solutions intelligentes, l'utilisation des énergies renouvelables, la mobilité électrique. La finalité stratégique étant de parvenir à notre indépendance énergétique, la finalité économique étant le développement et la finalité climatique étant la protection de l'environnement ». C'est qu'a affirmé le directeur général de l'électricité et des énergies renouvelables au ministère de l'Industrie Belhassen Chiboub, lors d'un récent événement.
Pourquoi choisir la mobilité électrique ? Les véhicules électriques sont totalement silencieux, ne consomment pas de carburant et n'émettent pas ou très peu de CO2. Avec la mobilité électrique, il y a moins d'entretien à effectuer, moins de risque de panne et moins d'accidents, la vitesse étant limitée. Autre argument de taille, un plein électrique à partir de la Steg (98% de l'électricité est produite à partir de sources énergétiques fossiles, ndlr) coûte une vingtaine de dinars, selon le type de véhicule. Pour sa part, le kilomètre en photovoltaïque coûte le 1/10 du kilomètre en carburant, donc le coût pour la collectivité nationale est le dixième. Rappelons dans ce cadre que la Tunisie ambitionne d'atteindre 35% d'énergie renouvelable en 2030 et 80% en 2050, outre l'amélioration de l'efficacité énergétique de 30% par rapport à 2010, pour ce même horizon. Il est carrément possible de rouler à zéro dinar, en investissant dans une ombrière solaire photovoltaïque (une énergie gratuite et propre, ndlr) pour la recharge de véhicule électrique. Un panneau photovoltaïque de trois kWc coûterait entre 7.000 et 9.000 dinars, a indiqué Abdelhamid Gannouni, sous-directeur à l'Agence nationale pour la maîtrise de l'énergie (ANME), chargé de la direction de l'efficacité énergétique dans le transport. Et d'ajouter que l'investissement sera rentabilisé au bout de deux ans et demi à trois ans, et au lieu de rouler pour 2,5 dinars par litre d'essence, le bénéficiaire roulera, ainsi, à zéro dinar. Et, s'il n'y a pas de véhicules à charger, les panneaux chargent les batteries qui permettront des recharges nocturnes des véhicules, sinon le surplus est injecté dans le réseau électrique de la Steg. Ainsi, une généralisation de ce concept permettra des gains importants d'énergie outre ses bienfaits sur système électrique, après l'implantation des compteurs intelligents et l'adoption d'une tarification nuit pour combler le creux de la courbe de charge et avoir des gains au niveau de la production, distribution et transport d'électricité. Idéalement, il serait intéressant de calquer l'expérience de véhicules électriques plus leur ombrière solaire pour les flottes captives comme celles de la Steg, la Poste tunisienne et Tunisie Telecom.
Quelles sont les ambitions chiffrées en termes de véhicules électriques ? L'ANME ambitionne de voir le nombre de voitures électriques atteindre 5.000 véhicules (mille pour le public et 4.000 pour le privé) d'ici 2025. Opérationnellement, cet objectif est difficile à réaliser, avoue M. Hanchi, sauf dans le cas où des mesures financières intéressantes seront mises en place. Entre-temps, l'agence essaye de développer tous les mécanismes nécessaires pour atteindre cet objectif. Un plan avec une dizaine de mesures économiques, institutionnelles, techniques et réglementaires sera annoncé prochainement.
Quels sont les avantages offerts aux véhicules électriques et hybrides ? Depuis plusieurs années, l'ANME milite pour démocratiser ces véhicules plus chers que les véhicules thermiques, afin de les rendre plus accessibles aux consommateurs tunisiens. Jusqu'à cette heure, les avantages accordés aux véhicules électriques sont des avantages fiscaux. Grâce à ces efforts, les Tunisiens bénéficient d'un abattement de 50% sur le droit de consommation et sur la taxe de maîtrise d'énergie pour les véhicules hybrides ainsi qu'une exonération totale des droits de douane pour les véhicules électriques (voitures, utilitaires et bus). En outre, les droits de douane des bornes de recharges ont baissé de 43% à 10% alors que la TVA est passée de 19% à 7%. S'agissant des ambitions futures de l'ANME, son DG a indiqué, en réponse à une interrogation de Business News : « Notre objectif est de fournir des possibilités de financement du coût supplémentaire du véhicule électrique qui est situé entre 20.000 et 50.000 dinars, et cela à travers : une subvention allant de 20% à 30% du coût supplémentaire et un prêt avec des taux réduits et préférentiels. L'objectif étant de couvrir le coût supplémentaire, pour des véhicules de gamme moyenne ». Or, et avec les problématiques liées au financement du budget de l'Etat, ces projets sont difficilement réalisables, du moins actuellement. Bonne nouvelle, l'ANME accorde des subventions, pouvant atteindre 200.000 dinars, via le Fonds de Transition Energétique (FTE), pour l'installation de chaque station photovoltaïque outre le financement des opérations d'encadrement à hauteur de 70% (les expertises et études à propos de l'emplacement des bornes ou de la station de recharge photovoltaïque, des choix à faire en matière des composants du projet, etc.). Ces financements s'adressent à tout acteur voulant invertir dans ce domaine, note le DG. Notons aussi que fin 2022, le ministère de l'Industrie avait annoncé la mise en place d'encouragements pour l'acquisition de véhicules électriques via une exonération des droits de douane et une subvention de 10.000 dinars pour le remplacement d'un véhicule thermique accordé par le Fonds de transition énergétique. Or, et jusqu'à cette date, rien de concret n'a été annoncé dans ce cadre.
Quels avantages à prioriser dans la loi de finances 2024 pour le développement de la mobilité électrique ? Interroger sur les mesures prioritaires à entreprendre dans la loi de finances 2024 pour promouvoir ce genre de véhicule, Fathi Hanchi a indiqué : « la suppression de tous les droits et taxes imposées aux véhicules électriques, sur les bornes de recharges et sur les composants ». Des mesures qui devraient demeurer en vigueur jusqu'à fin 2025, selon lui, pour démonter l'engagement de l'Etat ans ce processus.
Où en est le développement des bornes de recharge ? Actuellement, il y a une soixantaine de bornes de recharge, à travers le pays. L'objectif étant d'atteindre un ratio de dix véhicules par borne de recharge. Pour 5.000 voitures, il faudra 500 bornes de recharges. Interrogé par Business New si la non-fixation d'une tarification pour les bornes de recharge n'a pas été un frein pour leur développement, le DG a rétorqué « oui ». Il a indiqué que l'ANME est en train de faire une étude à ce sujet qui sera prête fin de cette année. Une tarification entrera en vigueur début de 2024, a-t-il affirmé. Il a aussi révélé que l'agence tend vers la mise en place d'une tarification non-administrée, le prix de la borne changeant d'une puissance à une autre. Donc les prix dépendront de l'investissement et du montant de l'amortissement. Elle agira plutôt sur le prix de vente de l'électricité aux détenteurs de bornes. En effet, l'ANME travaillait sur un mécanisme de partenariat public privé (PPP) pour déterminer par qui et comment vendre ce service. Le principe est que le fournisseur de service va acheter l'électricité auprès de la Steg, au prix actuel en ajoutant les frais du service fournis (parking, recharge, amortissement de l'équipement et marge).
Comment développer davantage l'installation de bornes de recharge ? L'ANME a rencontré les acteurs principaux, qui pourraient jouer un rôle dans la mobilité électrique : les municipalités, les grandes surfaces, les espaces commerciaux, les gestionnaires des infrastructures publiques (OACA, OMMP, Tunisie Autoroute, ports, aéroports, etc.) ainsi que les sociétés de distribution de carburant. L'objectif étant de les inciter à s'associer à ses efforts. Dans ce cadre, Fathi Hanchi a souligné la nécessité de se préparer pour l'avenir, en imposant l'installation de bornes de recharges dans les résidences collectives. Ainsi, le sujet a été abordé avec le ministère de l'Equipement pour insérer dans le cahier de charge de la promotion immobilière l'obligation d'équiper quelques places de parking obligatoire avec des systèmes de recharge.
Quel est le devenir des batteries ? Concernant le traitement des batteries après usage, l'ANME a contacté l'Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle (Innorpi) et les deux établissements ont commencé à travailler sur les normes à mettre en place pour encadrer la mobilité électrique. « Nous allons suivre le marché et faire comme les pays qui nous ont devancés en imposant des normes de recyclage », a soutenu le DG de l'ANME, notant que dans le monde, il y a déjà des procédures spécifiques de traitement des batteries lithium.
Où en est-on au niveau industriel ? S'agissant du positionnement de la Tunisie sur le plan industriel, Fathi Hanchi avait indiqué dans une ancienne interview accordée à Business News que la Tunisie a l'opportunité de se positionner technologiquement et industriellement dans l'industrie de la voiture électrique. L'agence a ainsi commencé à rencontrer les parties prenantes, notamment les pôles de compétitivité et technopoles pour créer un espace dédié aux startups pour se positionner dans ce secteur. Elle envisage aussi de financer certains projets liés à la mobilité électrique, à travers le Fonds de transition énergétique, moyennant la rubrique projet de démonstration qui accorde une subvention de 50% du coût de l'opération avec un plafond de 100.000 dinars (projet à l'étude, ndlr). Le responsable a souligné la nécessité de se positionner rapidement sur la production des batteries lithium. L'ANME est en train de faire le suivi des industriels tunisiens qui veulent se positionner sur le secteur afin de leur fournir le nécessaire pour percer sur le marché, notamment en levant les entraves fiscales. « C'est vrai que l'affaire commence à devenir urgente, mais nous avons une contrainte de disponibilité de fonds. C'est pour cela que nous avançons selon nos possibilités. Je suis sûr que si on installait le réseau pilote de bornes de recharge, nous inciterions une certaine catégorie à investir et acheter ce genre de voiture », a-t-il soutenu. Notons dans ce cadre, que le décret n°2022-837 du 14 novembre 2022 dispose de l'exonération de droits de douane pour les intrants les bornes de recharge et les tricycles, quadricycles et deux cycles électriques, les industriels tunisiens ne payeront pas de douane sur les composants de ces produits (à condition ne pas avoir d'équivalent en Tunisie). Cette mesure vise à encourager les Tunisiens et les promoteurs de projets pour investir dans la fabrication de ces produits.
Fathi Hanchi a annoncé que l'ANME a pu mobiliser deux millions de dinars pour le développement de la mobilité électrique, via un financement du Fonds pour l'environnement mondial (GEF), pour le développement de villes pilote en termes de mobilité électrique. Le projet qui sera réalisé sur trois ans a démarré. Il concernera Djerba, Sfax et Bizerte. Concrètement, il vise l'acquisition de véhicules électriques pour les municipalités, l'installation de panneaux photovoltaïque, la formation de personnes pour la conception de cahiers de charges dans le domaine et la diffusion de spots pour démontrer la nécessité de passer à ce genre de concept. L'objectif étant la création d'un écosystème.
La mobilité électrique est devenue un impératif dans un monde en perpétuel changement. Outre les contraintes écologiques qui imposaient à la Tunisie de suivre le peloton, aujourd'hui, le pays est rattrapé par la réalité économique et ne peut plus se défiler.