Depuis le 7 octobre, la Tunisie vit au rythme de la guerre que mène Israël contre les Palestiniens. Les questions et les préoccupations nationales sont reléguées au second plan et même occultées. L'actualité tunisienne, d'habitude très suivie et commentée, ne fait plus la une. Les Tunisiens sont obnubilés par ce qui se passe à Gaza. C'est que les images qui nous parviennent sont insoutenables. C'est que l'injustice que subissent les Palestiniens suscite l'indignation. La cause palestinienne a été ravivée après des années de lassitude générale. Les Palestiniens continuaient pourtant à être harcelés, expropriés, déplacés, torturés, emprisonnés et assassinés. Mais les exactions commises à Gaza, ces derniers jours, et les violations de toutes les conventions et du droit international, ont déclenché un nouvel éveil. Pas qu'en Tunisie d'ailleurs. Dans les grandes capitales du monde, des centaines de milliers de citoyens sont sortis exprimer leur refus qu'un génocide se déroule sous les yeux du monde dans l'indifférence et l'impunité. Pourtant la machine médiatique occidentale et les dirigeants du monde libre continuent de cautionner le meurtre de civils, invoquant à tout bout de champ le droit à la légitime défense de l'Etat sioniste. En Tunisie, le positionnement était clair dès le début de la guerre. Des manifestations spontanées de soutien à la résistance palestinienne sont sorties le 7 octobre, avant même que les bombardements israéliens ne s'abattent sur les Gazaouis. Les partis politiques ont été unanimes, en dénonçant l'occupation et des décennies d'horreurs coloniales. La scène politique tunisienne, d'habitude divisée, s'est unie autour d'une cause humaine commune à tous. On verra cela se concrétiser lors des différentes manifestations et sit-in où toutes les tendances confondues, allant du spectre islamiste, passant par les libéraux, jusqu'à la gauche, marcher côte-à-côté. Viendra aussi la position officielle, exemplaire et jamais exprimée de la sorte auparavant. La Tunisie reconnaît ainsi le droit des Palestiniens à une résistance légitime contre l'occupation et à l'autodétermination. Sur les plateaux TV, sur les réseaux sociaux, les politiques tunisiens débattent, Histoire palestinienne, origines de la guerre, stratégie israélienne, etc. Tout tourne autour du drame qui se déroule en temps réel à Gaza. Même le projet de loi de finances qui suscite en temps normal les débats et la polémique, est timidement abordé. Du côté des parlementaires, on ressort une ancienne proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation. L'idée d'une telle loi revenait cycliquement sans qu'il n'y ait de concrétisation. La proposition avait d'ailleurs été faite sous le parlement des islamistes d'Ennahdha, mais déboutée discrètement. C'est que cela ne faisait pas bonne presse auprès des partenaires occidentaux. Il semblerait donc que cette fois-ci serait la bonne. Comme du temps de l'Apartheid en Afrique du Sud, les actions législatives de certains pays ont contribué à faire bouger les lignes même à petite échelle. La proposition de loi compte sept articles. Le premier définit ce qu'est l'entité sioniste, le deuxième ce qu'on entend par crime de normalisation dont l'auteur est toute personne ayant participé ou commis certains actes punissables dans le cadre de ce projet de loi y compris la participation à des activités ou manifestations politiques, économiques, scientifiques, culturelles ou sportives organisées sur les territoires contrôlés par les autorités de l'entité sioniste. Deux à cinq ans d'emprisonnement en plus d'amendes de dix à cent mille dinars. Ce sont les peines qui seront infligées à toute personne inculpée de normalisation avec l'entité sioniste, selon la proposition de loi. La tentative est, également, punissable, et est sanctionnée de la même peine. Le 30 octobre 2023, une plénière sera consacrée à la discussion de cette proposition. Toutefois, et alors que la scène nationale affiche une concorde totale autour de la situation palestinienne, un micro parti a défrayé la chronique en recyclant les éléments de langage occidentaux. « Nous considérons que les opérations commises par le Hamas islamiste en Israël sont irresponsables à l'égard du sort des habitants Gaza et un mépris pour la sécurité des civils que le Hamas utilise comme boucliers humains », a annoté le Parti libéral tunisien, ajoutant qu'il dénonce les opérations militaires qui visent les civils « des deux côtés » et appelant à des négociations dans l'intérêt « des deux peuples voisins ». La normalisation avec l'occupation est évidente, ce qui a eu par conséquence une décision judiciaire de dissolution du parti. Bien évidemment, chaque grand événement ramène son lot de commentaires loufoques et de politiques qui en font de la récupération. Mention spéciale à la présidente du parti la Troisième République, Olfa Hamdi qui a démontré, à l'opinion publique, sa méconnaissance de la question palestinienne, des rapports de force en jeu et des enjeux en général. Au moment où Israël et ses alliés poussent à déporter en dehors de Gaza plus d'un million d'habitants et tentent de provoquer une nouvelle Nakba, Olfa Hamdi n'avait pas trouvé de mieux que d'appeler Kaïs Saïed à mettre en place en Tunisie des camps de réfugiés pour accueillir les habitants de Gaza… No comment !
En tout état de cause, la guerre contre Gaza et la tuerie de masse qui s'y déroule est au centre des préoccupations des Tunisiens et de la classe politique. Face à l'horreur, le temps s'est arrêté. Oubliés les pénuries, les prisonniers politiques, la dictature rampante, les injustices, la crise financière.