Sans explication aucune et sans raison apparente, le président de la République a limogé lundi 1er avril 2024 son ministre de l'Education, Mohamed Ali Boughdiri. Il s'agit du septième limogeage de l'année et le sixième depuis le début du ramadan. Le jeûne ne semble pas seoir à Kaïs Saïed, il le met de mauvaise humeur et le pousse à humilier des personnes qu'il a lui-même nommé et qui l'ont servi avec beaucoup de zèle. Au deuxième jour du ramadan, Business News titrait « Hchichet romdhan de Kaïs Saïed » et ce suite au limogeage humiliant et inexpliqué de ses deux ministres des Affaires culturelles et du Transport. Au 22e jour du mois saint, Kaïs Saïed est passé à son sixième limogeage avec le renvoi, toujours sans explication, du ministre de l'Education Mohamed Ali Boughdiri. En plus d'être inexpliqué, ce sixième limogeage humiliant est surprenant. Le monde politique tunisien appelait et s'attendait au limogeage du gouverneur de Ben Arous qui a eu un comportement des plus cavaliers la semaine dernière. Mais les Tunisiens n'étaient pas au bout de leur peine ce lundi 1er avril correspondant au 22 ramadan, puisque la successeure de M. Boughdiri, Salwa Abassi, semble être pire que lui. Peut-être même la pire du gouvernement au vu de ses publications sulfureuses sur les réseaux sociaux avant sa nomination.
Aussi surprenant, inexpliqué et humiliant soit-il, le limogeage de Mohamed Ali Boughdiri n'a fait pleurer personne. Juste après l'annonce, les éclats de joie ont fusé de toutes parts, notamment parmi les syndicalistes. Le ministre congédié fait partie de ces opportunistes qui ont tourné le dos à leurs familles et à leur idéologie pour servir un régime putschiste autoritaire et inefficace. Il est utile de rappeler que le monsieur est un grand syndicaliste à l'origine, mais qui a tourné le dos à l'UGTT et ses valeurs syndicales. Après avoir déposé plainte contre les actuels dirigeants, il s'est comporté comme un affairiste sans-cœur avec le personnel du ministère, limogeant à tour de bras. Sans expérience aucune en matière de management, de gestion et de politique politicienne, il n'a été nommé à ce poste que pour diviser la famille syndicale. Il n'avait, à sa nomination le 29 janvier 2023, aucun projet digne de ce nom pour l'avenir du secteur de l'éducation, ni aucune vision pour résoudre les innombrables problèmes des enseignants. En limogeant son ministre quatorze mois après sa nomination, Kaïs Saïed avoue qu'il n'a pas, non plus, de véritable vision d'avenir. Il est à son troisième ministre de l'Education et il n'a pas avancé d'un iota. Cela n'étonne guère, car Kaïs Saïed ne choisit pas ses ministres pour leurs compétences supposées, mais plutôt pour leur loyauté démontrée. Il n'a jamais donné les critères pour lesquels il a choisi tel ou autre ministre, ni quelles sont les raisons pour lesquelles il les limoge.
À défaut d'explications objectives, il reste les raisons subjectives à la limite du loufoque. Entre le 1er janvier et le 11 mars, date du début du ramadan, le chef de l'Etat n'a limogé que la directrice générale de la Douane. Depuis le début du ramadan, il a limogé trois ministres, deux gouverneurs et un procureur de la République. S'agit-il de « hchichet romdhan », célèbre expression tunisienne signifiant l'humeur exécrable des jeûneurs durant le mois saint ? « Dans la cité, les citoyens se querellent, voire se bagarrent, entre eux notamment les premiers jours du jeûne, sous l'effet de la faim et de la soif. À la tête de l'Etat, il semblerait que « hchichet romdhan » a frappé également. Faute d'avoir quelqu'un avec qui se disputer, Kaïs Saïed a jeté sa colère sur les commis de l'Etat », écrivions-nous le 13 mars dernier.
Toute ironie mise à part, Mohamed Ali Boughdiri, tout comme ses collègues limogés, ne mérite pas la compassion, tant il a été inefficace à la tête de son département. N'ayant pas été choisi pour une quelconque compétence connue, il ne doit son poste qu'au fayotage au président et aux querelles intestines au sein de sa famille de l'UGTT. Cela ne diffère pas trop des autres dirigeants limogés. Ce constat factuel renvoie à un autre constat, des plus indéniables, à savoir l'incompétence du président de la République à nommer les bonnes personnes aux postes adéquats. Actuellement, il est en train de limoger les personnes qu'il a lui-même nommées depuis son putsch du 25 juillet 2021. À l'Education, il est à son troisième ministre et il n'est pas sûr que la suicidaire qu'il vient de nommer va perdurer. Tout comme ses deux successeurs, Mme Abassi n'a pas de compétences particulières à faire valoir à l'exception de ses lettres au président de la République et de ses publications Facebook acerbes dans lesquelles elle menace de s'immoler par le feu devant l'un des départements du ministère de l'Education. Cette incompétence du président de la République prend tout son sens quand on sait qu'il est à son 75e limogeage d'un haut commis de l'Etat depuis le putsch. En humiliant ces personnes qu'il a nommées quelques mois plus tôt, Kaïs Saïed tente, vainement, de renvoyer l'image d'un président désabusé et déçu. Or il faut être bien crédule pour croire que la faute incombe uniquement à ces personnes. Plusieurs de ces personnes n'auraient jamais dû être nommées tant elles n'avaient rien à faire valoir, à l'instar de la nouvelle ministre de l'Education. D'autres ne méritent tout simplement pas le limogeage. Dans un cas comme dans l'autre, Kaïs Saïed assume toute la responsabilité. Soit il a nommé la mauvaise personne au départ, soit il a limogé la mauvaise personne à l'arrivée. Ses partisans répètent, à l'envi, que le président rectifie ses propres erreurs. Soit ! Mais pourquoi ne communique-t-il pas les raisons pour lesquelles il a nommé telle ou autre personne et pourquoi il les a limogées ensuite ? De plus, l'argument pourrait être recevable pour un, deux, trois ou dix commis de l'Etat, pas 75 en moins de trois ans ! Kaïs Saïed a beau croire qu'il est porteur de projet pour l'humanité toute entière, ses nominations légères et ses limogeages humiliants ne reflètent pas l'image d'un dirigeant désabusé, ils démontrent qu'il est juste un président incohérent et instable dont le cas empire sous l'effet du jeûne.