Il semblerait que les Gaulois, peuple « barbare » sans grande participation à la civilisation humaine, mais magnifiés par les éditeurs de bandes dessinées, étaient très courageux, sauf qu'ils craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête. Cette crainte était due à une croyance selon laquelle le ciel repose sur des colonnes qui s'effondreront à la fin du monde. Pour retarder l'apocalypse, les Gaulois vénéraient l'une de leurs divinités, le dieu du ciel Taranis. La chute d'un mur, la fin d'un monde À Mezzouna, ce lundi 14 avril, Taranis a montré qu'il était un dieu peu fiable et qu'il ne fallait pas croire en lui. Il n'a même pas réussi à empêcher le mur de la clôture du lycée de la ville de s'effondrer sur la tête des lycéens à la sortie des cours. Trois d'entre eux ont perdu la vie, les autres leurs chimères. En effet, bien qu'il fût vétuste, craquelé, ce mur était plus qu'une simple clôture. Il séparait deux mondes : celui où des jeunes se cramponnent à l'idée de l'ascenseur social et peuvent encore rêver d'un lendemain meilleur malgré la misère du moment, et celui des moins jeunes qui ont perdu leurs illusions, n'ont plus la force de rêver, n'espèrent plus rien de l'Etat et de ses représentants et attendent fatalement que le calvaire finisse.
Révolution oubliée, colère étouffée Tout le manège, toute l'effervescence qui ont suivi ce drame ont fait un peu d'animation dans la ville et rappelé aux autres Tunisiens les engagements oubliés d'une révolution trahie par les siens. Mais substantiellement, rien n'a changé et rien ne changera pour la ville et ses habitants, jusqu'à la prochaine crise. Ni les cris de détresse lancés par les manifestations populaires face aux agents de l'ordre massés en nombre, ni la visite inopinée et nocturne d'un président visiblement acculé à faire le déplacement, et encore moins les quelques gadgets distribués comme dans un jeu de Monopoly (une voiture de pompiers, une ambulance, quelques équipements médicaux de base, une agence Steg, une agence Sonede et un bureau de poste), ne feront de Mezzouna une cité joyeuse où il fait bon vivre. Car en ce lundi 14 avril, le mur n'a pas tué trois jeunes lycéens seulement. Il s'est effondré sur la tête de tous les habitants de la ville.
Quand la justice s'effondre Quelques jours après, dans la capitale, au siège du tribunal de Tunis, un autre mur s'est effondré sur la tête de tous. Ce mur séparait la justice de l'arbitraire. Mais par le verdict prononcé par la cour dans l'affaire dite de complot contre la sûreté de l'Etat, ce mur, cette séparation, a volé en éclats. Désormais, il y a un avant et un après le verdict de l'affaire du complot, même si des signaux nous ont alertés dans des procès précédents (ceux des journalistes et chroniqueurs Sonia Dahmani, Mohamed Boughalleb, Mourad Zeghidi, Borhene Bssaies et autres, ceux des militantes et militants antiracisme comme Saâdia Mosbah, Sherifa Riahi, Mohamed Jouou, Iyadh Bouselmi, Mustapha Jemmali et autres, ou encore des acteurs politiques comme Abir Moussi, Lotfi Mraihi, Ayachi Zemmel et autres). Dans la Tunisie post-25-Juillet, il serait absurde de parler dorénavant de justice, de procès équitable ou de l'Etat de droit. Cela a, au moins, le mérite de la clarté. Il serait aussi insensé de discuter les verdicts prononcés par la cour. Ils ne répondent à aucune logique. Et pour mieux les rendre loufoques, ils versent dans l'extravagance. Il semblerait que ces verdicts visent à instaurer un climat de peur et de soumission dans le pays. On oublie simplement deux lois de la nature : la première montre que tout est aléatoire et que rien n'est définitif. La seconde assure que tout ce qui est excessif est insignifiant.