Le 25 juillet 1957, l'Assemblée constituante proclamait la République tunisienne. Cette date symbolique est devenue, depuis 2021, le marqueur d'un nouveau récit officiel : celui d'une « souveraineté retrouvée ». Mais en 2025, la réalité est tout autre. Près de quatre ans après la concentration des pouvoirs entre les mains du président Kaïs Saïed, la Tunisie traverse une crise institutionnelle, économique et sociale profonde. Le pouvoir est centralisé, les contre-pouvoirs marginalisés, et la population fragilisée. La liste des dérives et des promesses non tenues est longue et connue mais il est bon dans ces occasions importantes d'en rappeler les plus importantes.
Un pouvoir personnel sans contrepoids Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed gouverne par décrets. Le parlement a été suspendu, la Constitution de 2014 abrogée, et un nouveau texte adopté par référendum en 2022. Le régime fonctionne désormais sur un mode hyper-présidentiel, sans réel contrôle institutionnel. Tout, absolument tout, ce qui est important dans le pays dépend de la volonté d'un seul homme, d'un homme seul. Le discours présidentiel, fondé sur la dénonciation des élites, de la corruption et des « comploteurs », légitime une politique répressive. Des figures politiques, des avocats, des journalistes et des magistrats ont été arrêtés ou inquiétés, souvent sans procès équitable.
Des libertés en recul constant Le décret-loi 54, promulgué en 2022, limite sévèrement la liberté d'expression. Plus d'un millier de personnes ont été poursuivies pour leurs propos. La Cour constitutionnelle n'a toujours pas été mise en place. Le Conseil supérieur de la magistrature a été dissous, et plusieurs juges suspendus. Les libertés académiques et médiatiques sont sous surveillance croissante. La justice transitionnelle est à l'arrêt. Les ONG nationales et internationales alertent sur une dérive autoritaire en cours.
Une économie bloquée et une société paupérisée En 2024, la croissance a plafonné à 1,2 %, avec une inflation à 7 % et un chômage de 16 %, atteignant plus de 40 % chez les jeunes diplômés. L'endettement dépasse 80 % du PIB, et les négociations avec le FMI stagnent, faute de feuille de route crédible. Les réformes annoncées — « réconciliation pénale », « sociétés communautaires » — restent sans impact concret. Les entreprises publiques sont déficitaires, les finances publiques sous tension, et les pénuries (médicaments, carburant, sucre) se multiplient. L'exode des compétences s'accélère.
Crise de confiance et fragmentation sociale La désaffection politique est massive. L'abstention a dépassé 90 % lors des législatives de 2022. La population oscille entre résignation, colère et sentiment d'impasse. L'absence d'alternatives visibles ou structurées aggrave la désorientation générale. Les départs clandestins ou qualifiés traduisent la perte d'espoir, en particulier chez les jeunes. Les revendications sociales se multiplient, mais sans débouchés institutionnels.
Eviter le pire, reconstruire le possible Si rien ne change, la trajectoire est connue : aggravation de la crise économique, isolement international, et fuite massive des talents. Mais la Tunisie conserve de réels atouts : une société civile active, une diaspora investie, des compétences encore présentes, et un attachement à l'idéal républicain. Une relance suppose un retour à l'Etat de droit, à l'indépendance de la justice, à la séparation des pouvoirs, et à une gouvernance fondée sur les compétences et la transparence. Stabiliser les institutions, restaurer la confiance, définir un cap économique crédible : tels sont les prérequis pour éviter une décomposition durable. Quand un pays manque de marges, il doit faire preuve de rigueur, non de promesses creuses. Gouverner, ce n'est pas dénoncer, c'est arbitrer. Ce n'est pas incarner, c'est reconstruire. Et vive la République.