L'annonce de l'agence de notation Fitch Ratings, vendredi 12 septembre 2025, de relever la note de défaut émetteur (IDR) à long terme de la Tunisie de "CCC+" à "B-" avec une perspective stable continue de susciter des réactions dans les milieux économiques et académiques. Le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali, a publié, lundi 15 septembre 2025, un long commentaire sur son compte Facebook, dans lequel il analyse les tenants et aboutissants de cette révision, tout en mettant en garde contre une lecture exclusivement triomphaliste de cette évolution. Dans son analyse, Chkoundali rappelle que Fitch classe les pays selon une échelle de vingt-trois degrés, allant de "AAA" (risque quasi nul) à "D" (faillite déclarée). En passant de "CCC+" à "B-", la Tunisie a progressé d'un cran, du rang 17 au rang 16, dans cette hiérarchie internationale. Ce relèvement s'explique principalement, selon l'économiste, par la consolidation progressive de la situation extérieure du pays, notamment la stabilité relative des réserves en devises et la disponibilité de liquidités suffisantes pour honorer les engagements financiers de l'Etat. Chkoundali souligne plusieurs éléments relevés par Fitch pour justifier ce mouvement positif : * Un déficit courant en baisse : celui-ci s'est contracté à 1,5 % du PIB en 2024, contre une moyenne de 7,9 % entre 2010 et 2022, grâce à l'amélioration de la balance des services et à l'augmentation des transferts des Tunisiens à l'étranger. * La résilience de l'investissement étranger : malgré l'absence d'accès aux marchés financiers depuis 2021 et l'absence d'accord avec le FMI, les flux d'investissement étranger direct ont résisté aux chocs politiques et géopolitiques. Fitch prévoit une reprise de ces flux dès 2025. * Un allègement progressif du poids de la dette extérieure : avec une échéance unique de 700 millions d'euros prévue pour juillet 2026, la Tunisie devrait voir ses sorties nettes de devises se réduire. * Un recul attendu du déficit budgétaire : estimé à 6,3 % du PIB en 2024, il devrait se réduire à 5,3 % en 2025 et continuer de se contracter jusqu'à 4 % en 2027, soutenu par le contrôle des salaires publics et la baisse des subventions. * Le rôle du financement intérieur : le recours de l'Etat aux prêts du secteur bancaire local et à la Banque centrale a contribué à stabiliser le service de la dette intérieure. Malgré cette progression, le professeur souligne que le nouveau classement reste marqué par un risque substantiel de défaut. La Tunisie demeure limitée par sa faible capacité d'accès aux marchés financiers internationaux, la fragilité persistante des équilibres budgétaires et extérieurs, ainsi que par la dépendance aux fluctuations des prix des matières premières. La dette publique, bien qu'en léger recul, devrait atteindre 83 % du PIB en 2025, un niveau jugé préoccupant par Fitch. De plus, l'agence estime que les dépenses incompressibles – salaires, intérêts de la dette et subventions – absorbent près de 93 % des recettes publiques, ce qui laisse peu de marge pour des politiques sociales ou d'investissement. Ridha Chkoundali insiste sur le fait que ce type de notation s'adresse avant tout aux investisseurs étrangers et aux institutions financières internationales, et non directement aux citoyens tunisiens. Selon lui, si l'amélioration de la note envoie un message positif aux marchés et pourrait faciliter un éventuel recours au Fonds monétaire international (FMI), elle ne se traduit pas immédiatement dans la vie quotidienne des Tunisiens. « Ce qui importe pour le citoyen ce n'est pas que la Tunisie améliore ses équilibres extérieurs ou honore ses dettes, mais que son pouvoir d'achat progresse, que l'emploi soit créé et que les services publics gagnent en qualité », a-t-il indiqué. Enfin, l'économiste note une contradiction entre l'enthousiasme gouvernemental à saluer cette évolution et le discours officiel de rupture avec le FMI. « Si ce progrès est réellement un acquis, qu'il serve à obtenir un financement avantageux auprès du FMI. Mais cela contredirait frontalement la position affichée par le chef de l'Etat », observe-t-il. Pour Chkoundali, le gouvernement doit clarifier son discours économique : s'il s'adresse à l'extérieur, cette amélioration est un succès à mettre en avant ; mais s'il parle aux Tunisiens, l'essentiel reste de répondre à leurs préoccupations quotidiennes.