Dans le paysage bancaire tunisien, les étrangers qui ont occupé le premier poste de direction de l'exécutif n'ont pas fait long feu. Ils sont tous partis. Une seule exception jusque-là : Hassen Bertal, directeur général de la banque tuniso-marocaine Attijari Bank, filiale d'Attijariwafa Bank. Ce Marocain a également une autre particularité : il est le plus jeune dirigeant d'une banque commerciale du pays. Qui est-il vraiment ? Quels sont ses programmes ? Quelle est sa feuille de route ? Comment envisage-t-il de transformer l'ancienne Banque du Sud en une banque moderne, agressive et proche de ses clients ? S'il faut retenir une chose de l'entretien exclusif qu'il a accordé à Business News, c'est que cet homme est déterminé à faire changer d'avis sur sa banque les plus récalcitrants des clients. C'est d'ailleurs son slogan. Pour obtenir un entretien avec Hassen Bertal, il faut se lever de bonne heure et faire preuve de détermination. C'est que l'homme n'aime pas se mettre en avant et préfère qu'on parle plutôt d'Attijari Bank que de lui. Cet homme de 46 ans, père de deux enfants est à la tête d'Attijari Bank depuis deux ans exactement (il a pris ses fonctions le 8 juin 2007). Il peut être considéré comme étant le plus jeune patron d'une banque commerciale du pays, si l'on excepte Khelil Ammar de la BFPME qui n'a pas encore fêté ses 40 ans (ce sera en juillet). Centralien de Paris, Hassen Bertal a entamé sa carrière professionnelle à la Banque Commerciale du Maroc dans le service qualité et organisation. Il quitte rapidement son poste pour devenir, à 36 ans, directeur général d'une société de montage et de commercialisation de camions, puis celui d'une société de leasing. Repéré par Attijariwafa, on l'appelle à accompagner, depuis Paris, le développement international de la banque. C'était il y a à peine cinq ans. Après avoir dirigé le réseau européen, on l'envoie à Tunis, pour diriger la filiale considérée alors comme la plus grosse affaire de la banque marocaine. Sa mission, il tient à l'achever de la meilleure manière et dans les meilleures conditions. Ce sera d'ailleurs sa réponse lorsqu'on lui fait part des rumeurs concernant son départ et/ou celui de Moncef Chaffar, président du Conseil d'administration. « Ces rumeurs reviennent tous les deux mois et je ne comprends pas qui et pourquoi on les véhicule. Je peux vous dire une chose, nous avons une mission que nous devons terminer et ce n'est pas dans les habitudes d'Attijariwafa Bank de ne pas achever ses missions », répond-il. Hassen Bertal est donc là et bien là, déterminé à créer un système de gouvernance durable, sans prendre le dessus sur ce système, ni sur les procédures et les instances. Son objectif est de faire que ses équipes adoptent et partagent avec lui cette vision globale, née de l'expérience d'Attijariwafa Bank. « Et si ces équipes n'adhèrent pas ? Nous ferons tout pour leur "vendre" ces idées », répondra-t-il avec un sourire humble. La discrétion du manager touche plutôt la personne que l'institution. Car, autant Bertal refuse de paraître, autant il n'hésite pas à mettre en avant la banque, ses acquis et ses réalisations. Et en matière de communication, il a des leçons à donner à la majorité de ses pairs. On ne le sait que trop avec l'organisation périodique de communications financières, auxquelles la banque convie les journalistes et insiste pour les voir présents. Dans le paysage bancaire tunisien, seules deux banques procèdent de cette façon : Attijari Bank et la BIAT ! C'est toute une vision que peut avoir le dirigeant d'une banque, tenant à ce que son institution soit transparente, proche du public et ne considère pas la presse comme un vulgaire outil de propagande qui ne sert qu'à médiatiser ses produits. Seulement voilà, Hassen Bertal a beau vouloir être proche du public, il y a une image qui est omni présente chez les Tunisiens : le banquier est considéré comme un requin qui les saigne à blanc avant de leur céder un prêt avec une qualité de service des plus exécrables. En fait, avouons-le, dans la majorité des banques (dont Attijari) le client est très loin encore de pouvoir se considérer comme roi. C'est à peine si on le considère tout court ! En bref, contrairement à d'autres secteurs d'activité, la banque tunisienne n'évolue pas. M. Bertal relativise et préfère parler d'impression : « Il y a une différence entre la qualité perçue et la qualité délivrée. C'est un combat de tous les jours que nous menons pour dénicher les meilleurs clients. Et si l'on ne fait pas attention, on nous prendra ces clients. Cet esprit de concurrence, il n'existait pas avant ». Et cette image de requin ? « Je peux vous dire, répond M. Bertal, que les banques tunisiennes collaborent de près avec la Banque Centrale de Tunisie pour améliorer notre façon de faire, notre service, notre accueil Ces changements et ces améliorations se font petit à petit et l'on voit la concurrence monter, ce qui aura inévitablement un impact positif sur l'image et la qualité de services. » N'empêche ! En dépit de ces déclarations, tout un chacun remarque que la "communication produits" des banques tunisiennes n'a rien à voir avec celles des banques européennes. Quelle banque tunisienne, par exemple, met-elle en avant et clairement son taux d'intérêt que ce soit à l'épargne ou au crédit ? Elles nous proposent, toutes, des taux présentés comme avantageux, mais il faut toujours aller voir au guichet pour savoir quel taux on va pratiquer. Quelle est la banque tunisienne qui accompagne les jeunes Tunisiens au début de leur carrière et n'ayant que leur business plan à faire valoir, sans aucune garantie réelle ? A ces questions, Hassen Bertal acquiesce et avoue qu'il ne peut pas, par honnêteté, dire à ses clients qu'il pratique les taux les plus avantageux du marché, puisque ce n'est pas le cas. Ses taux sont identiques à ceux du marché. Et pourquoi n'innove-t-il pas ? « Pour pouvoir innover, répond-il, il y a deux préalables. Le premier est lié à la qualité de services qui doit se hisser à un niveau suffisant. Ceci exige la mise en place de procédures internes et d'un travail sur nous-mêmes que nous sommes en train d'effectuer. Le deuxième préalable est lié au système d'information qui doit être capable de suivre le rythme d'innovation. En France, une batterie de machine existe derrière tout produit créé ». Il souligne cependant que le nouveau système d'information d'Attijari est en train de se mettre en place et ne tardera pas à être complet. Pour ce qui est de l'accompagnement des jeunes promoteurs, il avoue que la banque n'est pas encore outillée pour traiter ce type de dossiers. Des dossiers qui ne se traitent pas comme les autres PME. Conscient de l'importance de ce point, M. Bertal déclare cependant qu'il est en train de s'organiser en conséquent et qu'il n'hésite pas à étudier, conjointement avec la BFPME, certains cas. Interrogé sur le délicat sujet du débauchage des cadres des autres banques, Hassen Bertal répond catégoriquement : « Je refuse de le faire. Nous n'avons jamais sollicité personne pour venir travailler avec nous et lorsqu'on vient nous voir en réclamant un salaire élevé, nous répondons tout de suite par la négative. Cela étant dit, si quelqu'un exerçant dans une autre banque se présente à nous avec une vision et désire épouser notre stratégie, nous étudions son dossier en mettant en évidence les règles déontologiques ». On notera qu'en la matière, Attijari Bank est toujours à l'affût de haut potentiel d'où son programme commun avec l'ATUGE. Un potentiel qu'elle vise pour pouvoir devenir un TGV, comme l'a déclaré un jour Mohamed El Kettani, patron d'Attijariwafa Bank. « La banque est déjà sur les rails, renchérit son poulain de Tunisie, et nous avons ouvert l'année dernière quelque 32 agences. Si ce n'est pas du TGV ? ». Faut-il avouer que ce rythme actif et soutenu est rare dans le paysage bancaire ? Hassen Bertal continue avec son humilité et refuse de se laisser entraîner sur ce terrain : « Certaines entreprises épousent plus vite le changement, grâce à la volonté et la personnalité de leurs administrateurs. D'autres sont conservateurs, mais ce style de management a, aussi, ses avantages. Il y a des systèmes très lourds qui fonctionnent parfaitement et on ne peut pas juger une entreprise à travers ce prisme. » Toujours est-il, et en dépit de cette réponse diplomatique, Attijari Bank a choisi l'optique du changement. Elle a voulu faire changer l'avis des Tunisiens sur la Banque du Sud et cela semble déjà réalisé. Plus personne ne cite l'ancien nom. Maintenant, l'objectif clairement affiché dans le slogan est de nous faire changer d'avis sur la banque. Cela sera-t-il réalisé ? Pour ceux qui ne sont pas habitués à voir un patron de banque ayant la quarantaine, l'espoir est permis. Nizar BAHLOUL