Les services consulaires de France en Tunisie ont beau délivrer en grand nombre des visas aux Tunisiens sans leur poser de problèmes particuliers, il est encore des réflexes chez certains fonctionnaires de l'administration française qui bloquent la circulation des personnes et, par conséquent, les échanges commerciaux et économiques entre les deux pays. Alors que les Français entrent et sortent comme ils le désirent en Tunisie (et y font du juteux business et c'est tant mieux), l'inverse n'est pas toujours vrai. Les services consulaires français en Tunisie, conscients depuis des années, de l'importance des enjeux, ont toujours facilité les démarches des hommes d'affaires, des intellectuels, des journalistes, des médecins, des enseignants ou des fonctionnaires de l'Etat en leur accordant rapidement des visas, souvent de longue durée. Comme l'attestent les chiffres, le taux d'acceptation des dossiers de visa en Tunisie est le plus élevé de la région. Le taux de refus étant inférieur à 10%. N'empêche, cela semble déplaire à certains agents aux frontières françaises qui, en dépit de leur visa, arrivent à bloquer des Tunisiens sous prétexte qu'il manque une réservation d'hôtel ou un certificat d'assurance. En attendant qu'on exige de nous un certificat de bonne conduite à bord de l'avion, voici l'histoire du calvaire d'une éditrice tunisienne bloquée pendant 6 heures à son arrivée à Paris, en dépit de son visa en bonne et due forme. Histoire relatée par Karim Ben Smaïl, directeur de la maison d'éditions Cérès. Myriam Diri est responsable des achats des éditions Cérès à Tunis, un des plus anciens et plus réputés éditeurs du Maghreb. Editeur en Tunisie de grands noms de la littérature et des sciences humaines françaises (et d'un ministre français actuellement en fonction), Cérès est également le principal importateur/diffuseur de livres français en Tunisie. Arrivée le 20 mars à Orly, elle devait rencontrer les éditeurs et distributeurs français, ses rendez-vous sont bookés bien à l'avance, son badge professionnel est prêt, et ses livres disponibles sur le stand tunisien. Une mission classique pour Cérès qui est, par ailleurs, le premier acheteur de droits français au Maghreb, et sans doute le plus ancien partenaire du ministère français (Bureau du livre) dans la région. Myriam a son visa, délivré par le Consulat de France de Tunis, rapidement octroyé sur recommandation du Bureau du Livre de L'Institut français de coopération de Tunis, dont Cérès est le principal interlocuteur. Elle ne s'attendait pas à vivre cette aventure. Dès son arrivée, la police des frontières l'informe qu'elle sera refoulée pour non présentation de documents nécessaires à l'entrée sur le territoire français. Il s'agit de son assurance et de sa réservation d'hôtel. Elle est aussitôt parquée dans un bureau sous la surveillance d'un fonctionnaire : à aucun moment, elle n'aura la possibilité de s'expliquer. Joints par téléphone portable, ses parents et son employeur s'empressent de faxer les documents requis et téléphonent à la police des frontières pour s'entendre dire que la décision de reconduite en Tunisie est maintenue. Alertés, les partenaires de Cérès, appellent à leur tour et tombent tous sur une dame, aussi polie que zélée, qui leur débite la même litanie, insensible à leurs arguments : « Nous avons bien reçu les fax, mais ces documents auraient dû être présentés lors de son arrivée, et non après La loi sur les étrangers en France est claire, j'applique la Loi » Des éditeurs français ont appelé, proposant de venir eux-mêmes chercher l'éditrice tunisienne, et de s'engager à l'héberger s'il le fallait. Le BIEF, Bureau international du livre français, des représentants de l'Alliance internationale des libraires français (AILF), du Bureau du livre à Tunis (relevant de l'Ambassade de France), et plusieurs autres partenaires professionnels devant rencontrer la représentante de Cérès au Salon, tous se sont succédés pour essayer d'expliquer à cette policière si respectueuse des « Lois sur les étrangers en France » qu'à partir du moment où la preuve avait été faite que cette personne était en règle, il n'y avait pas de raison pour la refouler. Tous se sont heurtés à la même réponse : c'est la Loi, et de toute façon ce n'est pas moi qui décide. Celui « qui décide » restera bien entendu injoignable. Les heures passent et Myriam Diri est assise, pratiquement « gardée à vue » et sans recours ni autre soutien que son employeur qui la tenait informée au téléphone de la mobilisation en cours. On finit par la remettre dans l'avion pour Tunis. Et ce n'est qu'à quelques minutes du décollage qu'elle est appelée par le Commandant de bord qui l'informe que la police des frontières a finalement décidé de la laisser entrer ! A ce jour, nous ne savons pas quel argument a fait plier l'Administration, quel est l'appel qui l'a convaincue qu'un éditeur fût-il maghrébin- n'est pas une menace pour la sécurité nationale ? Qu'à la veille de la journée de la Francophonie, il serait malvenu d'expulser un diffuseur de livres français en Tunisie ? Que si le syndicat du livre français venait à s'émouvoir qu'une collègue tunisienne ne puisse assister au salon, éconduite pour « défaut d'assurance » », cela ferait désordre ?... Mystère. Alors faut-il se taire et admettre qu'une attente, certes humiliante, mais suivie d'un « heureux » dénouement doit passer par pertes et profits de notre relation culturelle et affective à la France ? Non, ça serait mépriser ce que la « patrie des droits de l'Homme » ne cesse de nous rappeler : le respect de la personne. Oui, nous trouvons ces procédés dégradants et scandaleux : notre représentante était munie d'un visa en bonne et due forme, les documents qui lui ont été réclamés à la frontière ont déjà été maintes fois présentés pour l'obtention du visa. A aucun moment elle n'a été informée qu'elle devait présenter ces documents de nouveau à son arrivée en France. Au-delà de la procédure et de sa valeur juridique, nous protestons contre son application mécanique, littérale et totalement déshumanisée, comme s'il fallait « faire du chiffre », ce mépris des arguments des personnes extérieures dont la qualité (éditeurs, libraires, officiels, employeurs ) aurait au moins dû leur valoir l'accès à un interlocuteur responsable. A quoi riment ces expulsions sans fondements réels, purement formels ? On imagine le nombre de personnes ainsi refoulées tous les jours, pour un papier oublié, une fiche d'assurance ou une réservation d'hôtel ? Ce genre de mésaventure creuse tous les jours le fossé entre les deux rives de la Méditerranée ; plusieurs intellectuels maghrébins ont depuis longtemps renoncé à affronter le chemin de croix de la demande de visa, à laquelle s'ajoute aujourd'hui le pouvoir arbitraire et exorbitant d'un agent de police de les refouler sans explication, ni recours ; disposant ainsi de leur temps, de leur argent et de leur dignité. C'est aussi comme cela que la langue française perd du terrain, que l'on annihile les efforts des derniers francophones maghrébins, et que l'Union pour la Méditerranée ne serait plus que l'expression de gesticulations politiciennes autour d'un mythe A lire également : L'ambassadeur de France en Tunisie écrit une lettre à Myriam Diri Karim Ben Smaà ̄l