Mohamed Bouazizi, toi qui t'es immolé par le feu pour crier l'injustice dont se sont rendus coupables quelques responsables locaux, paix à ton âme. Tu es mort physiquement, mais tu resteras à jamais vivant dans les âmes et les mémoires des tiens. Et les tiens, c'est nous, tous les Tunisiens. Ton acte de désespoir, puis ton décès, ne sont pas passés sous silence, loin de là. Des mesures immédiates ont été prises et il y en aura d'autres. Des gouverneurs sont partis et d'autres sont arrivés. Des ministres sont partis et d'autres sont venus. L'UGTT a bougé et l'UTICA s'est réveillée. Des appels ont été lancés pour que ta région Sidi Bouzid et toutes les régions souffrantes du pays aient également droit à leur lot d'investissements et leur part de développement. Ta mort a servi et bien servi et c'est le président de la République en personne qui en a témoigné et pris les devants. La grogne s'est observée dans les rues, mais également sur internet via la naissance d'un groupe portant le nom d'Anonymous qui s'est donné pour mission d'attaquer divers sites publics ou privés. Bien que le groupe soit anonyme, il est impératif d'essayer de le comprendre et de comprendre son langage. C'est la mission de nos gouvernants, mais c'est aussi la mission de nos patrons, de nos ONG et de nos partis. Seulement voilà, il faut bien l'avouer, sur Facebook ou sur Twitter, on utilise un jargon bien particulier, inaccessible pour ceux qui ne fréquentent pas ces réseaux sociaux où l'on compte quelque 1,4 million d'internautes tunisiens. L'édito de Nizar Chaâri paru dans le dernier numéro de Tunivisions est composé de plusieurs termes, tirés de ce jargon. A commencer par le titre : « les bons #hashtags de l'année ». Ce qu'on appelle, ailleurs dans les journaux conventionnels, les résolutions de l'année. L'auteur souhaite qu'un #nowcreating remplace le #nowplaying habituel. Que le cher #Ammar404 national prenne sa retraite anticipée en 2011 et laisse sa place à #slim404 ou #majdi404. Que notre #THF diviseur se transforme durant cette nouvelle année en #yeswecan rassembleur. J'interroge M. Chaâri : et que faire de ceux qui n'ont rien compris de ton édito ? « Qu'ils retournent à l'école ! Pour parler avec les jeunes, il faut d'abord les comprendre et comprendre leur langage. » On peut toujours dire que la population branchée est minime par rapport à la population globale, ce qui est à vérifier. Car ce pays a tout fait pour que l'ordinateur et l'internet pénètre chaque foyer. Et le pari semble réussi. Il se trouve que ce qui a accroché le plus les internautes tunisiens, et les statistiques en témoignent, ce sont les réseaux sociaux. De ces réseaux, et de l'internet tout court, on remarque une absence quasi-totale de décideurs capables de faire renverser la vapeur de la grogne. Où est le patronat, où est l'administration, où sont les partis politiques, où sont les ONGs légales, où sont les journaux ? Internet est une arme fatale qui a perturbé des puissances internationales. Wikileaks en est une preuve. Or l'internet demeure, chez plusieurs de nos décideurs politiques et économiques, ignoré voire même méprisé. Pourtant, force est de constater que les slogans répétés dans les manifestations sont identiques. Si des centaines de kilomètres séparent les régions où ont lieu des troubles, un point les relie toutes : Facebook et Twitter. Force est de constater aussi que les chaînes satellitaires et les journaux étrangers se sont basés essentiellement sur ces images et ces échanges sur internet pour élaborer leurs articles. Les abus dont souffre notre société (corruption, zèle, clientélisme, etc) sont régulièrement dénoncés dans ces réseaux sociaux, mais ils sont entendus par Ammar, plutôt que par les personnes qu'il faut. Et les médias tunisiens, pour différentes raisons, ne jouent pas pleinement leur rôle de relais. Si chaque instance gouvernementale, chaque entreprise publique ou privée, chaque ONG, chaque parti a un site interactif et une équipe de personnes chargées de communiquer avec les citoyens, Anonymous ne serait jamais né. Aux dernières nouvelles, deux membres suspects d'Anonymous ont été inculpés. Dans n'importe quel pays où l'Ordre et la Loi doivent être religieusement et prioritairement respectés, cette inculpation entre dans le normal des choses. Les actes d'Anonymous sont répréhensibles et l'anarchie n'a jamais été un modèle de société nulle part. Business News aurait été attaquée, j'aurais saisi, immédiatement la justice. Néanmoins, il y a lieu de s'interroger, dans le contexte actuel et à un moment où le monde entier nous observe de près, si l'inculpation de ces deux membres, aussi justifiée soit-elle, va servir l'intérêt général. Certes, on doit respecter toute décision de la justice, mais il faudrait, cependant, la dépasser. Car ce qu'il nous faut, c'est dialoguer. Et pour qu'on puisse dialoguer, on doit d'abord se comprendre et se respecter. S'écouter. Or l'impression qui se dégage auprès des membres et des sympathisants d'Anonymous est que seul Ammar est à l'écoute. C'est cette impression qui doit être combattue pour l'intérêt suprême du pays et de son image.