Cette méthode a été notamment employée lors du débat sur la Chariâa. Pour autant, le gouvernement Jebali ne s'était, que très peu, essayé à ce type de manœuvre, toujours avec la prudence et les réserves d'usage. Ce temps semble révolu et la cacophonie qui règne au sommet de l'Etat devient la règle. Ainsi, les déclarations officielles des membres du gouvernement se suivent et se contredisent, à un point où chaque décision prise à présent par ce même gouvernement, qui se neutralise lui-même, ne peut être prise au sérieux, pouvant être annulée sans autre forme de procès. Baghdadi Mahmoudi, Mustapha Kamel Nabli ou encore l'ouverture des frontières aux Maghrébins, autant d'affaires qui illustrent les couacs d'un gouvernement qui se détruit de l'intérieur. Ce manque de discipline et de cohérence qui prévaut au sommet de l'Etat s'est, dans un premier temps, illustré par le bras de fer, largement commenté, qui oppose la présidence de la République et ses conseillers « politiquement adolescents» - de l'aveu même du président – à la présidence du gouvernement. Ce sujet, s'il a été l'objet de fortes divergences entre les deux institutions, a également montré les limites d'un gouvernement multiple, au sein duquel chacun des membres fait les déclarations qui lui sied, au moment où il les prononce. En effet, le 24 mai dernier, après la décision de justice visant l'extradition de l'ancien Premier ministre de Kadhafi, Lotfi Zitoun déclare, sur les ondes de Shems Fm, que cette extradition a été votée par les ministres, lors du conseil ministériel, précisant qu'il ne manquait plus que la signature du président. Lors de cette même intervention, Lotfi Zitoun démentait déjà les rumeurs d'une quelconque transaction avec la Libye. Alors donc que M. Zitoun affirmait lui-même que la décision d'extradition était tributaire du président de la République, Moncef Marzouki fait état de son refus d'une telle décision, dans un avenir proche. Les dissensions sont sérieuses et ce sera le chef du gouvernement lui-même qui contredira les propos de son conseiller politique, assurant ne pas avoir besoin de l'accord de Moncef Marzouki. Une position qui n'aurait certainement jamais vu le jour si Marzouki avait eu la présence d'esprit d'être toujours du même avis que Jebali. Il contredira une fois de plus le chef de l'Etat lorsqu'il affirmera que ce dernier avait été mis au courant de l'extradition, remettant en cause, par la même occasion, les excuses de plusieurs de ses ministres (au nom du gouvernement dans son ensemble), exprimées à l'attention de Moncef Marzouki, lorsque Hamadi Jebali était en visite à Paris. Pour ce qui est des rumeurs concernant une contrepartie financière à cette extradition, ce sera Houssine Dimassi, ministre des Finances, qui lâchera le morceau, lors d'une émission sur Hannibal TV, affirmant en substance qu'en politique, les intérêts priment sur les valeurs. Un aveu suivi d'un désaveu immédiat de la part du gouvernement qui affirme que les propos du ministre ne l'engagent pas. Il y a donc des propos des membres du gouvernement à prendre en compte et d'autres qui ne sont le fait que de divagations de leurs auteurs. Houssine Dimassi, quant à lui, ne s'est pas risqué à confirmer ou infirmer le démenti dont ses propos ont fait l'objet. Au cœur de la polémique qui a suivi l'extradition étrange de Baghdadi Mahmoudi, la présidence de la République annonce le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, avec l'accord du chef du gouvernement. Selon le communiqué, un arrêté républicain a été « publié » et « transmis » à l'Assemblée constituante qui doit le voter sous 15 jours, selon la loi portant sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Si les différents présidents des groupes parlementaires, de la majorité comme de l'opposition affirment n'avoir encore rien reçu d'officiel à ce sujet, l'accord du chef du gouvernement, annoncé par le président de la République, fait débat au sein même du gouvernement. En visite à Paris, Hamadi Jebali déclare qu'il n'y a aucun problème entre l'Etat et l'institution qu'est la Banque centrale. Samir Dilou, porte-parole du gouvernement affirme à demi-mot, lors d'une intervention sur Shems Fm, qu'il n'y a pas de conflit non plus entre les deux présidents sur le sujet. Mais voilà que Ridha Saïdi, chargé des Affaires économiques au sein du cabinet de Hamadi Jebali dément le limogeage de M. Nabli, lors d'une déclaration accordée à Associated Press. Des déclarations qu'il s'empressera de démentir, affirmant que le gouvernement n'a pas encore tranché sur le sujet, alors même que le communiqué de la présidence suppose que le sujet a déjà été débattu et qu'une décision a été prise. Existe-t-il donc réellement un arrêté républicain approuvé par le chef du gouvernement et transmis à l'ANC ou n'est-ce qu'une manœuvre entreprise par Moncef Marzouki pour se venger de l'humiliation qu'il a subie ? Les déclarations vagues, floues et contradictoires des membres du gouvernement ne permettent pas de répondre à cette question et, pour le moment, l'arrêté en question n'a pas été publié au journal officiel. À ces deux polémiques s'ajoutera celle de l'ouverture des frontières. Cette polémique a déchainé les passions entre deux idéologies contraires, l'une protectionniste, parfois violemment nationaliste, désireuse de maintenir des frontières réelles avec nos voisins du Maghreb et l'autre plus libérale considérant qu'une telle mesure peut avoir de réels avantages. Les deux camps opposés étaient cependant majoritairement d'accord sur le fait qu'une telle mesure ne pouvait être prise de manière unilatérale et aussi précipitée, sans en débattre au sein des institutions sans se référer aux principaux partenaires concernés que sont les autorités des autres pays du Maghreb. Rappelons que cette décision avait été annoncée par un membre du gouvernement, Abdallah Triki, secrétaire d'Etat auprès du ministère des Affaires Etrangères chargé des affaires africaines et arabes. Une décision qu'il a dit finalisée et qui aurait dû entrer en vigueur le 1er juillet 2012. Alors que les débats faisaient rage et que la ménagère apeurée s'imaginait déjà envahie par des immigrés maghrébins désireux de lui voler son pain, alors que Lotfi Zitoun traitait déjà ses compatriotes de racistes et de xénophobes et vantait les avantages d'une telle décision, alors que Ameur Laârayedh, député d'Ennahdha à la Constituante déclarait sur Mosaïque Fm que les Tunisiens bénéficieront des mêmes droits au Maghreb que les maghrébins en Tunisie, Rafik Abdessalem tentait de faciliter les déplacements de son beau-père en Russie, en supprimant les visas pour les titulaires de passeports diplomatiques. Etonnées d'une prise de décision pour laquelle elles n'ont pas été consultées, les autorités algériennes seront les premières à réagir, déclarant que cet « accord » ne les engageait pas et que les Algériens étaient tenus de se rendre en Tunisie munis de leur passeport. Ce n'est que suite à cet incident diplomatique que le ministre des Affaires étrangères sortira de son silence. Le plus naturellement du monde, au détour d'une question lors d'une interview accordée à une chaine étrangère (en l'occurrence Al Jazeera), Rafik Abdessalem dément les propos de son secrétaire d'Etat, de l'ensemble des membres du gouvernement et du Mouvement Ennahdha qui ont soutenu cette mesure, pour affirmer que cette décision est fausse et dénuée de fondement et qu'aucune mesure exceptionnelle ne sera prise avant le sommet maghrébin prévu en octobre prochain, reprochant aux médias d'avoir véhiculé une information transmise par son secrétaire d'Etat. « Ces différents événements donnent l'impression d'un pays mal dirigé, où il y a tellement de capitaines, ou de gens qui veulent être capitaines, que le vaisseau est mal gouverné, où chacun veut se montrer, comme en campagne électorale et veut se donner de l'importance et montrer que c'est lui qui décide », affirmera l'activiste politique, Mustapha Mezghani. L'opposition se retrouve, quant à elle, au chômage technique, la troïka au pouvoir n'ayant plus besoin de ses services pour mettre la lumière sur ses limites.