Ce 23 octobre était la date du premier anniversaire des élections post révolutionnaires, organisées par le gouvernement de Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre. Dans un contexte politique et social très tendu où citoyens pro gouvernement ou d'opposition se regardent et se jaugent en permanence, on peut se demander ce qu'a célébré la Troïka. La coalition au pouvoir s'est-elle réjouie, de ce jamais vu en Tunisie : des exactions de milices salafistes qui se sont enchaînées cette année, comme lors des manifestations du 20 mars et du 9 avril, et dont on ne sait rien des conclusions d'enquêtes, ou ces attaques contre des artistes menant, entre autres, à l'annulation du spectacle de Lotfi Abdelli à Menzel Bourguiba ? Les enseignants universitaires ont eu, eux aussi, leur part, comme Habib Kazdaghli, doyen de la faculté de la Manouba qui est traduit devant la justice ce 25 Octobre, accusé d'avoir giflé une étudiante portant le niqab, venue saccager son bureau. Mais aussi Jamel Gharbi, élu français, agressé à Bizerte et dont l'affaire a été relayée par les médias du monde entier et Karima Souid verbalement agressée dans l'enceinte de la Constituante, où elle siège pour Ettakatol, par un député d'Ennahdha, lui intimant de retourner dans la rue où elle aurait plus sa place que dans l'hémicycle. Comment la Troïka a-t-elle pu célébrer cette année de deuil, où l'on a compté par dizaines les victimes, décédées et blessées, dans tout le pays, comme lors de l'attaque de l'ambassade américaine, ou le décès la semaine dernière de Lotfi Nagdh, responsable de Nidaa Tounes sous les coups du Comité de protection de la révolution, proche d'Ennahdha ? La Troïka a-t-elle commémoré sa tentative de mainmise sur les médias et des atteintes fréquentes à la liberté d'expression et de la presse ? Lotfi Touati, ancien policier de Ben Ali, a été placé à la tête du journal de Dar Assabah, menant à une grève généralisée du secteur et à la grève de la faim de certains journalistes, en est l'un des exemples dans ce sens. Sans oublier le statu quo et l'embourbement du pays dans une crise économique terrible ? Les discussions souhaitées par l'UGTT et plusieurs partis et associationsont été boudées par Ennahdha et le CPR et se sont soldées par un échec. Le double langage tenu par les membres du gouvernement, d'un côté à la nation et de l'autre aux médias internationaux, pèse sur le moral des tunisiens qui peinent à croire à une sortie de crise. La justice transitionnelle pâtit de la situation avec la nomination d'anciens juges ayant servi les intérêts de Ben Ali. Plusieurs mois ont été perdus dans la rédaction de la Constitution pour déterminer si elle sera basée sur la Chariaâ. Aujourd'hui, 25 élus d'Ennahdha sont partis en pèlerinage à la Mecque, et manquent donc à l'appel à l'heure des débats sur le préambule. La date des prochaines élections, que toutes et tous attendent, ne sont toujours pas fixées. En effet, les diverses déclarations, concernant cette date, ne semblent être faites que pour calmer les esprits. Le 23 juin 2013 a été avancé, mais sans constitution de l'Instance indépendante des élections qui aura la tâche d'organiser et d'en déterminer les dates définitives. Les multiples déclarations de Rached Ghannouchi visant à diviser les Tunisiens entre musulmans et mécréants (laïcs), ainsi que les appels à la haine, et à l'épuration des pays des anciens RCDistes, couplés à de trop nombreuses promesses non tenues des partis de la Troïka, sont autant de tensions expliquant les clivages sévissant dans le pays. Comme des éclairs dans un ciel d'orage, résultant d'une tension électrique trop importante, des rassemblements et manifestations populaires éclatent régulièrement dans tout le pays, comme à Sidi Bouzid tout au long de l'année ou à Gabès qui s'est enflammée récemment avant de subir une grande répression. Le bilan négatif de la Troïka est trop chargé pour que l'on puisse en énumérer les détails dans un seul article. Une chose est sûre : ce que l'on voit aujourd'hui nous rappelle ce qui se passait sous le régime dictatorial de Zine el-Abidine Ben Ali à savoir notamment le dénigrement et l'agression contre les opposants, la censure, l'absence de libertés et le manque d'équilibre en matière de développement régional. Dans ce contexte, qui semble douloureusement familier, peut-on décemment commémorer cette date et féliciter nos gouvernants ?