Deux mois et demi que les législatives ont eu lieu et nous attendons encore un gouvernement. Nous avons pourtant entendu, à maintes reprises, les différents leaders de Nidaa Tounes, et à leur tête Béji Caïd Essebsi, dire qu'ils ont des compétences de quoi constituer quatre gouvernements. C'était à l'époque du dénigrement régulier de la troïka. Maintenant que la troïka est partie, on ne voit plus rien. Où sont ces compétences capables de sauver le pays et d'appliquer le programme de Nidaa Tounes ? Nous attendons encore et nous en sommes encore aux marchandages d'épicier. Dans les démocraties établies, le gouvernement est constitué dans la foulée des élections. Mais ça, c'est dans les démocraties établies. Dernière polémique en date, autour de ce sujet, l'entrée du parti islamiste Ennahdha au gouvernement. Les avis divergent. Les uns, notamment du côté des bases, vous disent que c'est une ligne rouge à ne pas dépasser. Pas d'islamistes au gouvernement, nous avons élu Nidaa pour en finir avec les islamistes et la troïka, et il est hors de question de les revoir de nouveau. Et il y a ceux qui vous disent que la présence des islamistes au gouvernement est le meilleur rempart pour affaiblir l'opposition et permettre aux ministres d'avancer sereinement pour pouvoir faire sortir le pays de la mouise. « Justement, renchérissent les premiers, si nous sommes dans cette crise, c'est à cause de la troïka et il est donc hors de question de voir l'un d'eux au pouvoir de nouveau ». Beau dilemme devant Béji Caïd Essebsi et Habib Essid, nouveau chef du gouvernement choisi la semaine dernière par le président de la République. Le choix porté sur Habib Essid reflète, à lui seul, la priorité de l'heure pour le président Caïd Essebsi. Ancien ministre de l'Intérieur, ancien conseiller de Hamadi Jebali sur les affaires sécuritaires, M. Essid a pour mission principale de rétablir la sûreté dans un pays frappé et menacé par le terrorisme et voisin d'un pays en guerre. Et ce pays en guerre, la Libye, ne va pas connaitre d'accalmie cette année, loin de là. Il est probable qu'il y ait des interventions armées étrangères chez nos voisins du sud, en cette année, et il est plus que probable que les « fous de Dieu » de tous bords y débarquent pour mener leur « djihad » contre les « mécréants ». Un tel scénario hante tout chef d'Etat qui se respecte et il est donc, tout à fait normal, qu'une personne maîtrisant le domaine de la sûreté soit à la tête de la Tunisie. Reste la composition du gouvernement. Faut-il des politiques ou des technocrates ? Faut-il faire intégrer les islamistes ou les exclure ? Béji Caïd Essebsi a la réponse, et il l'a depuis plusieurs mois. Rappelez-vous de la rencontre de Paris, l'été 2013, avec Rached Ghannouchi. Quel était le message principal à l'époque ? « La Tunisie ne pourra jamais être gouvernée par une seule partie en cette période ». On pourrait comprendre que la période dont on parlait était celle de la troïka. Et il est inimaginable, pour nous, que la Tunisie puisse connaitre une période pire que celle-là. La vérité est que la période actuelle est tout aussi délicate. Non seulement, nous sommes encore en transition et en phase d'apprentissage de la démocratie et de la liberté d'expression, mais il y a aussi le risque de voir une guerre farouche à nos frontières du sud, sans parler de la crise économique qui continue encore à sévir. La Tunisie n'est pas encore dans une période stable, et sa démocratie naissante ne lui autorise pas, en ce moment, d'avoir une vie politique ordinaire qui se résume en : les vainqueurs des élections sont au pouvoir et les perdants dans l'opposition. Qu'on le veuille ou pas, Ennahdha est la deuxième force politique du pays. L'associer au pouvoir est une manière de dire que le pays doit inclure, dans sa sphère gouvernementale, toutes les compétences quelles que soient leur appartenance idéologique. Ça sera une manière de répondre par la négative aux idées prônant l'exclusion. La politique avait failli être appréhendée de cette manière, lorsqu'il s'est agi de mettre à l'écart par les lois, les anciens RCDistes. L'exclusion partielle des cadres d'Ennahdha du prochain gouvernement est, sur cette base de réflexion et d'argumentaire, à bannir. Encore faut-il qu'Ennahdha présente des noms dignes de participer au pouvoir décisionnel qui s'imposeraient par leur compétence, par leur pouvoir d'amener un plus et de travailler en harmonie avec un parti voire des partis avec lesquels la base idéologique commune n'existe pas. On entendra dire « on ne doit jamais faire confiance aux islamistes, ils ont un projet qui va casser voire en finir avec la démocratie et le modernisme ». Oui, ceci n'est pas faux, sauf que leur exclusion n'est pas la solution. Et tous les islamistes ne sont pas pareils. Et c'est justement là que BCE doit savoir composer. Quand on voit un Samir Dilou ou un Zied Laâdhari, on peut leur donner le bon Dieu sans confession. Mais quand on voit un Habib Ellouze ou un Ali Laârayedh, on peut devenir carrément fasciste. La sempiternelle réponse « on ne doit jamais faire confiance aux islamistes » sera de nouveau entonnée, je l'entends d'ici. Aux têtus qui s'opposent farouchement à toute entrée des islamistes au pouvoir, il y a deux réponses. Une première réponse simpliste qu'on peut offrir à une frange de l'électorat de BCE qui s'intéresse vaguement à la politique, mais qui est allée voter BCE et Nidaa, parce qu'elle a peur des islamistes. A celle-là, on pourra dire : Béji Caïd Essebsi a donné ses preuves et a réussi à éjecter du pouvoir toute la troïka, d'Ennahdha au CPR. Alors, continuez svp à lui faire confiance, il a réussi hier et il réussira demain. Vous ne comprenez pas la politique mieux que lui, alors laissez-le travailler et revenez dans cinq ans. Aux seconds, qui croient tout connaitre, la réponse ne diffère pas trop. Faites confiance aux gens que vous avez élus, car ils sont mieux informés et mieux expérimentés que vous sur les crises à venir. Exclure des compétences avérées capables de donner un plus au pays, juste parce que ces compétences appartiennent à Ennahdha, est un non-sens. Une absurdité ! Longtemps, ces mêmes personnes ont défendu les compétences ayant travaillé sous Ben Ali, à l'instar de Afif Chelbi, Mustapha Kamel Nabli, Nouri Jouini ou Slim Tlatli. Par quel raisonnement, donc, veulent-ils exclure des « islamistes » juste parce qu'ils sont des islamistes ? Et leur « savoir-faire » alors ? Et leurs connaissances ? Nous en faisons quoi ? Quel intérêt a-t-on donc de les exclure et de les radicaliser ? Vaut-il mieux les ramener vers « nous » ou de les pousser vers les radicaux de leur parti ? Selon nos informations confidentielles, Nidaa Tounes s'oppose à l'intégration d'Ennahdha au gouvernement quel que soit le nom que le parti islamiste proposerait et quelle que soit sa compétence. La frange radicale de Nidaa devrait donc l'emporter sur la frange qui prône l'ouverture. Quitte à désavouer BCE qui a souvent répété que la Tunisie ne peut pas être gouvernée par une seule partie ; ce même BCE devenu aujourd'hui le président de tous les Tunisiens. La Tunisie est un petit pays composé de dix millions d'habitants. Le 15 janvier 2011, nous étions tous unis, nous étions fiers, très fiers, de notre appartenance à ce pays. Et puis sont arrivés quelques islamistes de l'étranger et beaucoup de CPR qui ont injecté ce poison de l'exclusion et du « eux » et « nous ». Il est temps que cela finisse et cela ne finira qu'avec une classe politique pouvant bousculer le populisme primaire et aller vers ce qui pourrait gêner, au début, et s'avérer être, au final, le meilleur dans la durée.