A l'actualité cette semaine, le putsch qui ne dit pas son nom de Mohsen Marzouk au sein de Nidaa et la naissance du nouveau parti de Moncef Marzouki qui a de fortes chances d'avoir un bon poids sur la scène politique tunisienne. La guerre contre le terrorisme ? On en reparle au prochain attentat. La crise économique ? On en reparle à la prochaine grève. Les articles de loi anticonstitutionnels et liberticides ? On en reparle à la prochaine arrestation d'homosexuels ou de couples non mariés.
Dimanche 20 décembre 2015, Mohsen Marzouk tient un meeting à Hammamet durant lequel il fait part d'une série de décisions. On cite notamment la séparation avec les composantes et les structures responsables de la crise au sein de Nidaa Tounes et la non reconnaissance d'aucune des mesures en émanant ; la formation d'une série de commissions dont les travaux seront examinés au cours d'un meeting à tenir le 10 janvier 2016. Le processus annoncé par Mohsen Marzouk ressemble comme deux gouttes d'eau à celui initié par Béji Caïd Essebsi et mis en œuvre par la commission des 13 que préside Youssef Chahed. En termes de plagiat, on a vu plus discret et en termes d'innovation, on a vu plus créatif. En politique, avec ce « pousse-toi de là que je m'y mette », on appelle ça un putsch. Une chose est sure, ce n'est pas ainsi que Nidaa pourrait retrouver l'accalmie. Que se passe-t-il alors ? Mohsen Marzouk a donné, dimanche, tous les indices de quelqu'un qui allait annoncer son propre parti. Tout était réuni pour ce faire, mais il ne l'a pas fait. Est-ce faute de courage ou est-ce faute de volonté, estimant que ce n'est pas encore le moment ? Ou est-ce plutôt par stratégie et que, dans le fond, il n'a jamais pensé un instant à quitter Nidaa ? Connaissant le parcours de Mohsen Marzouk, sachant qu'il vient de rentrer de Washington où il a rencontré des disciples de Machiavel et convaincu qu'il est tout sauf un idiot, je suis persuadé que le bonhomme a encore plusieurs cordes à son arc. Tout redeviendra comme avant, pour lui, avec quelques parasites en moins au sein du parti. Il y a un an, jour pour jour, nous avons élu haut la main Béji Caïd Essebsi qui a raflé 55,68% des suffrages exprimés en ce dimanche 21 décembre 2014, jour du second tour de la présidentielle. Dimanche 20 décembre 2015, son rival Moncef Marzouki annonce la création de son nouveau parti « Mouvement Tunisie Volonté ». En un an, et à l'exception de l'ancien président de la République, nous n'avons eu droit à aucune véritable figure politique nouvelle capable de fédérer autour d'elle, de proposer un programme concret et de devenir une alternative. Une figure qui s'impose d'elle-même auprès d'un large pan de la population. C'est donc dans l'ordre naturel des choses que Moncef Marzouki emprunte cette autoroute tracée devant lui pour atteindre les voix de ceux qui ne veulent ni Ennahdha, ni Nidaa. Et c'est dans le même ordre naturel des choses, dans toute démocratie qui se respecte, qu'il y ait d'autres voix que celles des partis régnants, capables de représenter une alternative, de réduire les velléités totalitaires de ces partis et de menacer les « tout-puissants ». Les dernières élections en Europe sont dans cette tendance avec la percée du Front national (extrême droite) en France et de Podemos (gauche radicale) hier en Espagne.
Faute de grives, on mange des merles. En l'absence d'un véritable homme politique capable de s'imposer dans l'opposition, on a droit à Moncef Marzouki. Mais peut-être qu'il a changé ? Après tout, on ne doit jamais perdre espoir en l'être humain. Moncef Marzouki a un nouveau parti, son équipe parle d'un nouveau démarrage et il serait injuste de lui dresser un procès d'intention, alors qu'il vient à peine de commencer. A entendre son discours du dimanche 20 décembre, M. Marzouki donne l'impression de devenir sage (dans le sens de la sagesse), qui veut unifier son peuple autour d'un véritable programme d'avenir. Point de langage haineux qui divise le peuple en deux (avec ses fameux eux et nous) et point de discours revanchard à l'exception d'un constat sévère (un peu trop) du bilan du gouvernement actuel. Le « Moncef Marzouki nouveau » admet une nouvelle fois ses erreurs du passé et s'en excuse encore. Ses principales erreurs sont, d'après ses termes, ne pas avoir tranché dans les affaires de corruption, ne pas avoir imposé un plan de développement, ne pas avoir écouté les hommes d'affaires honnêtes qui lui demandaient d'en finir avec la bureaucratie de l'administration, ne pas avoir accordé à la Culture son rôle primordial et ne pas avoir réussi à gagner la confiance du peuple. « Mais nous avons appris de nos erreurs et c'est sur cette base que nous allons construire notre nouvelle orientation de travail politique», promet M. Marzouki. Il promet aussi de ne promettre que ce qu'il est capable d'accomplir. Pour ce qui est du programme d'''Irada'', l'ancien président a supprimé totalement toute mention relative aux droits de l'Homme et aux libertés individuelles. Dans les priorités du « Moncef Marzouki nouveau », il y a la lutte contre la pauvreté et le chômage, le développement durable, la transparence dans le secteur énergétique, la résolution des problèmes fonciers, la lutte contre la corruption et la lutte contre le terrorisme. Avec un tel discours volontariste, fédérateur, conciliateur, on voterait Moncef Marzouki les yeux fermés.
Il faut cependant être très naïf (à la limite zinzin) pour croire en ce discours, aussi beau et aussi nouveau soit-il. Et si l'on a du mal à croire Moncef Marzouki, c'est à cause notamment de la soixantaine de « personnalités » qui composent son nouveau parti. Il reprend les mêmes cuisiniers en promettant une nouvelle cuisine. C'est pourtant ce point-là qu'il n'a cessé de reprocher à ses adversaires qui lui juraient, quatre ans durant, avoir appris des erreurs du passé. C'est vrai qu'il s'est débarrassé des Samir Ben Amor, Abdelwaheb Maâtar et Sihem Badi, mais avec des Salim Ben Hamidène, Imed Daïmi et Lamine Bouazizi (dont les insultes fusaient jusqu'à la semaine dernière), il est impensable que Marzouki puisse avancer politiquement vers la concorde nationale et faire quelque chose de nouveau. Je doute fort par ailleurs qu'il ait appris quoi que ce soit de ses erreurs du passé, puisqu'il a tendance, tout au long de son discours du 20 décembre, à minimiser ses propres erreurs tout en exagérant celles de ses adversaires. Il a surtout cette fâcheuse tendance à mépriser ses adversaires politiques en qualifiant leurs analyses de superficielles, leurs solutions de faciles et leurs stratégies de légères. Croyant détenir la science infuse, Moncef Marzouki continue à renier l'évidence en refusant de remettre en question ses « vérités ». En aucun moment, il ne s'est dit que « sa vérité » n'est pas la vérité réelle, que le peuple au nom duquel il parle n'est pas le peuple représentatif de la Tunisie et que la majorité dont il parle n'est qu'une majorité issue de sondages de café élaborés par son entourage. Exemple, parmi tant d'autres, s'est-il douté un instant que la stratégie de lutte contre le terrorisme qu'il a présenté hier comme « LA » solution, est en fait tellement légère que personne ne l'a prise en considération, même pas les médias ?
En dépit du nom nouveau et des nouvelles promesses, Moncef Marzouki continue encore à cultiver l'utopie et à jouer sa carte populiste, les insultes en moins (son équipe s'en charge de toute façon). Le changement de l'emballage ne signifie pas que les ingrédients ont changé et encore moins que la recette finale sera différente. Tout ceci est très regrettable, car la Tunisie a vraiment besoin d'une alternative démocratique à Nidaa et à Ennahdha. Avec sa recette populiste, «Irada » est en train de jouer sur le même terrain qu'« El Mahabba » en ciblant le même public crédule capable de croire qu'il existe aujourd'hui un homme politique capable d'en finir, d'un coup de main, avec la pauvreté, le terrorisme et la corruption. Si la démocratie pouvait éradiquer la corruption, la Grèce serait la Finlande et si la démocratie pouvait éradiquer la pauvreté, l'Inde serait la Suisse. La seule bonne chose à l'actif d'Irada est finalement de sauver les apparences démocratiques de la Tunisie. Capable d'attirer quelque 500.000 électeurs (au meilleur des cas), ce parti donnera l'impression, de l'intérieur et de l'extérieur, qu'il y a une vie démocratique avec une opposition et un pouvoir. Que cette opposition soit imbue d'elle-même et incapable d'être une alternative réelle, ceci est évident, mais elle a le mérite d'exister au moins, puisqu'elle est indispensable à notre démocratie naissante.