Les droits de l'Homme en Tunisie, cette question fort débattue avant la révolution et même après, ne cesse de susciter la polémique et d'être au centre des préoccupations de plusieurs militants et même des simples citoyens. D'ailleurs, une grande avancée a été réalisée dans ce domaine, toute personne arrêtée ayant, désormais, le droit à un avocat immédiatement après son appréhension. Les conditions de détention lors des gardes à vue ainsi que dans les postes de police ont toujours été fortement critiquées et déplorées par les activistes et les défenseurs des droits de l'Homme. D'ailleurs, l'ONG internationale, Avocats sans Frontières, spécialisée dans la défense des droits humains et le soutien à la justice dans les pays dits fragiles et en situation de post-conflit, a considéré que durant les 24 années du régime autoritaire de Zine el-Abidine Ben Ali (1987-2011), la situation carcérale en Tunisie se caractérisait par «la répression, l'usage excessif de la force, les arrestations arbitraires, la torture et l'emprisonnement».
La société civile et les observateurs externes n'avaient pas accès aux lieux de détention. L'institution ne reconnaissait aucun manquement et persécutait ses opposants. En plus des pratiques répressives pénales finalement peu visibles, la logique était celle d'un verrouillage politique.
Or, dès 2011, la révolution permit à cette situation d'évoluer : les discours et la posture des institutions ont changé. L'administration pénitentiaire, alors sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, venait à peine d'être placée sous la direction du ministère de la Justice. Les prisons se sont, au moins partiellement, ouvertes aux actions de monitoring et aux analyses de la société civile. Mises sur pied depuis 2011, de nombreuses initiatives de monitoring par la société civile tunisienne ont permis une large prise de conscience de la situation préoccupante dans les prisons et de prévenir certaines mauvaises pratiques. L'administration publique confirme d'ailleurs largement les constats et manquements observés. Un diagnostic commun sur la situation en détention se dégage.
L'entrée en vigueur de la loi 13/2013 amendant le code de procédure pénale, demain, 1er juin 2016, constitue un pas géant vers la consécration des droits de l'Homme en Tunisie et la garantie d'un procès équitable selon les normes internationales. Cette loi a été intégralement adoptée par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), depuis le mardi 2 février 2016, avec 96 voix pour, 0 contre et 0 abstention.
Les amendements concernent, en effet, la période de détention des suspects. L'article 13 bis dans sa nouvelle version, précise que, même en cas de flagrant délit, les suspects appréhendés par les officiers de la police judiciaire ou des douanes ne peuvent être gardés plus de 48 heures sans une autorisation écrite du procureur de la République.
Il y est aussi stipulé que les officiers de la police judiciaire doivent avertir immédiatement un proche du suspect gardé ou les autorités diplomatiques ou consulaires si le suspect est un étranger, du sujet de l'arrestation afin qu'un avocat lui soit commis et ce, toujours, en ayant une trace écrite de la procédure. Le proche ou l'avocat pourront demander au procureur de la République ou à la police judiciaire durant la période de détention ou à son terme que le suspect soit examiné par un médecin. Les officiers de la police judiciaire devront, également, informer le suspect, avec un langage compréhensible, de la procédure engagée à son encontre et du motif de son arrestation et lui citer ses droits, notamment son droit à disposer d'un avocat et d'un examen médical.
La présence d'un avocat est devenue ainsi obligatoire lors de la garde à vue. D'ailleurs, et selon Human Rights Watch, l'absence de droit à une assistance juridique dès le début de la détention constituait une faille importante dans les textes du droit tunisien en matière de protection contre les mauvais traitements. Le CPP permet la présence d'un avocat à partir du moment où un suspect est présenté pour la première fois devant un juge d'instruction. Avant ce moment, il est probable que le ou la suspect(e) ait signé, sans la présence d'un avocat, une déposition à la police qui peut avoir été extorquée par la force, et risque d'être utilisée contre lui ou contre elle au cours du procès.
Or, force est de constater que ce projet de loi, malgré son importance, est resté dans les tiroirs de l'ANC depuis 2013, date de sa déposition par le ministère de la Justice. Il n'a été adopté qu'en 2016, au moment où certaines parties ont accusé le pouvoir en place d'être contre les droits de l'Homme et les libertés individuelles.
Malgré cette évolution positive, la question qui se pose actuellement est l'application concrète de cette loi. En effet, les moyens matériels et les équipements existants dans les centres de polices et dans les centres de détention peuvent constituer un frein considérable pour l'application de cette loi, outre les vieilles pratiques des policiers qui se retrouveront face à des mesures « révolutionnaires » et tout à fait contraires aux pratiques et aux usages, déjà en place. Certains vont jusqu'à dire qu'il faudrait songer alors à améliorer les équipements et à mettre en place des mécanismes de contrôle afin d'assurer l'application correcte de cette loi, qui représente une réalisation considérable en la matière.
Autrement dit, les textes sont, désormais, bien là. Restent les mécanismes et, surtout, la volonté politique pour les appliquer et les concrétiser. Il ne faut pas oublier le rôle des intervenants appartenant au tissu associatif pour qu'ils s'impliquent davantage et se placent en réels et efficaces garde-fous en vue d'une application stricte et rigoureuse des nouvelles lois permettant à la Tunisie d'entrer, de plain pied, dans le concert des pays en règle avec le respect des droits de l'Homme. Et ce, conformément aux conventions et aux lois internationales en la matière.