Nul ne peut contester que les vingt-trois ans vécus sous le régime de Ben Ali, font partie intégrante de l'Histoire de la Tunisie. Une histoire qui n'est toujours pas écrite vu le travail colossal qu'elle nécessite, et le recul qu'il faut prendre. Mais comme chaque chose a un début, l'ancien secrétaire général de la présidence de la République, Slaheddine Cherif a tenté de retracer quelques faits et vérités qu'il a lui-même vécus durant l'exercice de ses fonctions, dans un livre intitulé « Vérités sur la personnalité de Zine El Abidine Ben Ali et ses méthodes de gouvernances ». Retour sur un recueil d'informations et d'événements se voulant objectif et neutre…
Réalisé par Slaheddine Cherif et Mohamed Moncef Ksibi, cet ouvrage est composé de trois grands chapitres se divisant en plusieurs sections. Outre les faits vécus par M. Cherif en personne, d'autres sont annexés par des documents et des fac-similés joints à la fin de l'ouvrage. Loin d'être un récit sensationnel, l'auteur a tenté une approche lui permettant de trouver le juste équilibre entre le droit à l'information et le secret professionnel, dans la mesure où certaines affaires sont encore entre les mains de la justice.
Evénements et éclairage sur la personnalité de Ben Ali
Le premier chapitre passe en revue plusieurs événements ayant marqué le passage de Ben Ali de 1987 à 2011, et démontre certaines facettes de sa personnalité ainsi que sa manière de gouverner.
On commencera par le « Changement » du 7 novembre 1987 et tout le mystère qui l'entoure, notamment, concernant l'heure de la signature du certificat médical, qui s'est déroulée à six heures du matin. Or, il est difficile d'imaginer que le procureur de la République puisse contacter, vers minuit, sept médecins qui, à leur tour, se rendent chez le président, Habib Bourguiba, l'examinent et attestent de son incapacité de poursuivre sa mission à la tête de l'Etat tunisien. « Il est vrai que la passation du 7 novembre 1987 a eu lieu au moment opportun et sans la moindre goutte de sang. Cependant, il n'est pas exclu que cette opération soit un coup d'Etat », lit-on.
Un véritable engouement et une vague d'optimisme ont accompagné le Changement du 7 novembre. Mais une déviation de la ligne de départ fût constatée rapidement, sans que cela ne soit contré par une opposition solide ou, encore moins, une presse libre, relève l'auteur. « La stabilité sécuritaire relative qui a contribué à la réalisation d'une croissance économique accrue, s'est faite aux dépens des libertés individuelles et générales. Même la croissance économique n'était pas accompagnée d'un développement et d'une répartition équitables des richesses».
L'auteur s'est également penché sur le complexe du leadership de Ben Ali qui a tout fait pour anéantir le mythe du Combattant suprême tout en s'octroyant plusieurs avantages matériels afin de s'assurer d'un confort financier à lui ainsi qu'à sa famille. D'autres questions ont, également, été abordées comme la mainmise de Ben Ali sur les rouages de l'Etat ou encore ses relations avec la presse ainsi que la place de Leila Ben Ali dans le système de gouvernance. Dans son optique d'objectivité, M. Cherif a tenu à exposer certains points positifs à l'actif de Ben Ali, comme la réhabilitation de la langue arabe, de l'habit traditionnel, le renforcement des droits de la Femme, la réhabilitation du Pr français René Chapus qui avait fait l'objet, en 1968, d'une grave injustice de la part d'un ministre de Bourguiba.
Eclairage sur quelques affaires douteuses autour de Ben Ali Ce chapitre s'intéresse aux affaires ayant suscité une vive polémique, plus particulièrement après la révolution. Slaheddine Cherif a été témoin de tous les dossiers évoqués, et qui sont appuyés par des documents archivés à la présidence de la République.
Parmi ces dossiers abordés on citera, entre autres, la question des six immeubles construits à Zaghouan, l'affaire du restaurant Le Grand Bleu, la construction d'un hôtel par l'un des beaux parents de Ben Ali dans la banlieue nord de Tunis, la vente de l'hôtel « Boufarès » à Sidi Bousaïd, la gestion de l'Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), les affectations des lots de terres agricoles, l'interventionnisme dans la vente et l'achat des biens mobiliers à Hammamet, la gestions du Fonds 26-26, l'équipement de l'Ecole de Carthage par la présidence de la République, la gestion financière de Tunisair ainsi que la démolition du quartier des Arcades à La Goulette. Tant de dossiers qu'une grande majorité de Tunisiens ignore…
Le livre réserve une partie entière au rôle de Leila Trabelsi dans les rouages de l'Etat, et ce en relevant certains cas et exemples concrets de son ingérence dans les questions officielles. C'est ainsi que l'auteur évoque la réservation d'un pavillon de locaux administratifs sous le contrôle et la supervision de l'épouse de l'ancien président. Et parmi les cas les plus significations de son interventionnisme, on citera la désignation d'une de ses connaissances à la tête d'un département à la présidence de la République, la célérité excessive de Ben Ali à répondre positivement à toutes les suggestions et recommandations de Leïla Trabelsi sans procéder aux vérifications préalables d'usage, le limogeage d'Aziza H'tira, en 2010, de la présidence de l'Union de la Femme tunisienne (UNFT), le séjour de Souha Arafat et son départ mystérieux de Tunis, les éventuelles directives et ordres qu'elle aurait donnés à certains ministres, etc.
L'ouvrage contient un important et long chapitre sur « Ben Ali et la réforme administrative », ce qui s'explique par le fait que l'auteur a occupé pendant plusieurs années le poste de ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative. C'est ainsi qu'on y apprend, avec force détails, des données sur certains projets de réformes touchant, notamment, le ministère des Affaires étrangères, la situation des diplomates, l'amélioration des relations entre les citoyens et l'administration, la formation continue, la création de la Haute Instance de contrôle administratif et financier…
La dernière partie est consacrée à l'édition de bon nombre de documents inédits et, parfois manuscrits de la main même de Ben Ali ou de son épouse, sans les annotations manuscrites apposées par Ben Ali, concernant des propositions qui lui étaient faites ou alors des correspondances adressées à la présidence de la République. Cette ouvre se veut un témoignage sur les rouages du pouvoir, au cœur même du palais présidentiel de Carthage. L'auteur y apporte ses appréciations d'une période qui a marqué l'Histoire contemporaine tunisienne et à propos de laquelle un grand travail scientifique, d'historien, reste à faire.