Le secteur des industries mécaniques, électriques et électroniques (IMEE), et notamment celui des composants automobiles et aéronautiques, est un secteur stratégique pour la Tunisie. Il est l'un des secteurs qui exportent le plus, et donc qui fait entrer de la devise. Il apporte une valeur ajoutée et emploie une main d'œuvre qualifiée, d'où son importance pour la Tunisie. La société Gif Filter, filiale de la holding Universal Auto Distributors Holding (UADH), le pôle automobile du groupe Loukil, est l'une de ces sociétés. Certes, elle est passée par une situation difficile ses dernières années, mais elle est en train de redresser la barre et de rattraper son retard. Focus sur une entreprise de pièces détachées, qui a séduit PSA et qui peut devenir l'un des fleurons de l'économie nationale.
GIF Filter est spécialisée dans la fabrication des filtres : elle propose une large gamme spin on pour lubrifiant et carburant, de filtres à air et de filtres écologiques. Elle vient d'être admise au cercle très select des fournisseurs agréés par PSA-Peugeot-Citroën. Et cerise sur le gâteau, elle a bataillé pour que son nom soit inscrit sur les produits destinés à l'"original equipment supplier market" (marché rechange constructeur) et l'"aftermarket" et elle a eu gain de cause, ce qui représente une reconnaissance de son savoir faire et un énorme coup marketing pour sa notoriété et son image. La société a une capacité de 20.000 filtres par jours par poste pour un taux de rebus ne dépassant pas les 0,5%.
Pour montrer à ses actionnaires les avancées qu'est en train de faire sa filiale, le groupe Loukil a organisé une visite d'usine, le 8 novembre 2016 à Grombalia, en présence du PDG d'UADH, Bassem Loukil, du DG de GIF Filter, Imed Zouari, ainsi que de nombreux hauts cadres du groupe et de la société.
Depuis son acquisition par le groupe Loukil en 2013, la société s'est attelée à plusieurs chantiers avec la mise en place d'un plan stratégique basé sur 3 axes : développement de nouveaux produits, maitrise de la masse salariale et prospection de nouveaux marchés. La société a aussi revu des lay-out de l'usine et a mis à niveau sa technologie en allant graduellement vers l'automatisation des process à travers l'acquisition de nouvelles machines qui permettent d'augmenter les capacités et les cadences pour une meilleure productivité avec moins d'employés. Elle a prévu un programme d'investissement de 6 millions de dinars (MD) pour financer son 4ème plan de mise à niveau, avec un taux de réalisation qui a atteint les 3,3 MD jusqu'à maintenant.
En effet, l'un des chantiers houleux auquel à du faire face la société est, comme nous l'explique M. Loukil, celui des tensions sociales héritées des anciens propriétaires, accouplé aux charges personnelles qui avoisinaient les 37,5% alors que les normes du secteur sont de 15%. Donc, il a fallu apaiser l'ambiance globale au sein de l'usine, tout en déclenchant un programme de départ à l'amiable via une commission de licenciement (CCL), l'objectif étant «d'alléger la masse salariale et rajeunir le personnel pour pouvoir automatiser, moderniser l'outil de production, investir dans les nouvelles technologies et avoir une jeune population au sein de l'usine qui peut adhérer à cette politique», explique-t-il à Business News, en précisant qu'«en se référant à ce qui se fait sur l'international, on avait remarqué que le nombre d'employés par nombre de filtres produits passe du simple au double».
Ainsi, deux CCL ont été opérés et ont permis le départ, d'ici fin 2016, de 63 employés pour un coût de 1,18 MD mais qui a permis de baisser les charges salariales de l'ordre de 1,05 MD. Ceci va permettre de ramener la masse salariale à un objectif de 25% en 2017. En parallèle, la société s'est lancé dans un chantier d'amélioration des conditions de travail (ergonomique des postes, lay-out faciliter l'acheminement et l'opérabilité, moins de chaleur et de bruit, etc.). Elle a déposé, dans ce sens, un dossier de subvention auprès de la CNAM et elle reçu son accord pour financer cet investissement à hauteur de 160.000 dinars dont 40.000 dinars de subvention.
Autre point noir, lors de son acquisition, la société s'est retrouvée avec un retard de 7 ans en termes de développement produits : sa gamme étant de 550 références alors que le marché local compte environ un millier de références. C'est dans ce cadre que la société a élargit sa gamme avec la mise sur le marché de plus 300 nouvelles références depuis 2014. Pour parvenir à ce résultat, la société a investi 1 million de dinars dans un laboratoire R&D, certifié iFTS, parmi les mieux équipés du monde. Ce dernier, qui compte dans ses rangs des ingénieurs et des techniciens hautement qualifiés, est équipé de bancs d'essais pour la qualification des filtres à carburant en plus des bancs pour les filtres à huile. L'objectif est de développer une nouvelle gamme de produits, d'améliorer la qualité des produits existants et surtout de développer ses propres brevets. En parallèle, la société a lancé un projet de catalogue électronique pour être référencé dans le catalogue mondial de pièces auto, Techdoc.
Côté prospection et marketing, Bassem Loukil nous explique que la première étape a été de regagner les marchés traditionnels de la société. Ceci a commencé par les marchés marocain, algérien et dans une moindre mesure libyen victime des troubles sécuritaires. La deuxième étape a été d'approcher le groupe PSA, déjà partenaire du groupe Loukil, pour devenir un fournisseur de référence en pièces d'origine, en pièces Euro Repar sur les réseaux auxiliaires de PSA pour accéder au final au statut de fournisseur en première monte, l'étape la plus difficile et qui nécessite un investissement de plus d'un million de dinars. Gif Filter veut profiter du lancement prochain de la production des véhicules PSA au Maroc (fin 2017) et veut se positionner en tant que fournisseur de pièces de première monte.
En parallèle, la société est en train de travailler agressivement sur le marché subsaharien dans presque 7 marchés en parallèle (Cameroun, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Mauritanie et Togo). Elle envisage d'élargir la prospection pour atteindre des objectifs honorables fin 2017 : l'Afrique subsaharienne devrait lui rapporter «facilement» un chiffre d'affaires compris entre 1 et 2 milliards d'euros par an. «Nous sommes capables de concurrencer quiconque sur ces marchés là, surtout avec les nouvelles lignes maritimes qui sont en train de se créer entre la Tunisie et l'Afrique subsaharienne et même par avion nous sommes compétitifs car plus proches de ces marchés que les concurrents turcs et chinois. Nous avons un avantage compétitif au niveau du coût de transport et au niveau de la prospection qui nous donne beaucoup d'espoir pour 2017», a martelé M. Loukil.
On notera, dans ce cadre, qu'un plan d'accompagnement export Tasdir+, d'un montant de 113.000 dinars dont 50% de subvention, lui a été octroyé pour sa prospection sur l'Afrique, le Maroc et la Jordanie.
En outre, Gif Filter a approché d'autres constructeurs automobiles, mais vu la nature confidentielle des accords signés, M. Loukil n'a pas souhaité en dire plus, sauf que les négociations sont dans la phase référencement et prix et dès que cette étape sera passée, l'audit technique sera lancé, une formalité vu que «dès le moment que vous êtes qualifiés en tant que fournisseur de pièces d'origine pour un constructeur automobile personne ne remet en cause la qualité, ni la capacité à répondre aux besoins de ces marchés là». Et d'ajouter : «PSA nous a ouvert d'autres portes et ça devient beaucoup plus facile d'approcher les autres constructeurs». Actuellement, la société est validée chez PSA sur 9 références et 3 autres sont en cours de validation. Mais, elle espère, avec tous les investissements qu'elle est en train de mettre en place, répondre dès l'année prochaine aux 190 références sur lesquelles PSA consulte.
Sur le marché local, la société bataille pour sauvegarder ses 35% de parts de marché. Les importateurs ont gagné du terrain ces dernières années avec une part de marché qui avoisine actuellement les 25% alors qu'elle n'était que de 5% en 2010. L'objectif de Gif Filter en 2017 est de gagner des parts de marché au détriment de l'importation, en élargissant l'offre et la référence, de meilleurs prix et des promotions. C'est dans cette optique qu'elle a multiplié les actions sur le terrain, en approchant les fournisseurs de services et les consommateurs finaux et en offrant des packages, des remises et certains avantages.
Par ailleurs, la société va bénéficier de l'installation prochaine de la franchise européenne de PSA, Euro Repar, un réseau de point de service qui permet entretien et réparation multimarques permettant de préserver la garantie constructeur. Ce réseau, qui s'étendra sur 23 points à travers le pays, proposera les produits Gif Filter en tant que l'un des fournisseurs agréés de PSA.
Gif Filter est en train de faire des avancées importantes. La société est en train d'investir pour développer son know-how et sa technologie. Ses efforts ont été reconnus par un constructeur d'envergure internationale, ce qui va lui permettre de conquérir de nouveaux marchés, exporter plus, faire des entrées en devise, pour ensuite opérer des extensions et recruter un main d'œuvre qualifiée. Mais, les efforts des sociétés tunisiennes doivent être épaulés par l'Etat. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, lorsqu'on apprend que les composants automobiles tunisiens, qui rentrent en Tunisie après avoir été expédiées aux donneurs d'ordres, sont considérés comme des produits chinois ! Alors que les produits européens sont exonérés d'impôts, les produits tunisiens sont imposés à hauteur de 32%, une aberration sachant que le gouvernement veut encourager les produits tunisiens et qu'on veut les épauler pour être reconnus dans le monde pour leur qualité.