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Moi, Abou Zakaria, terroriste tunisien fuyant de Raqqa
Publié dans Business News le 14 - 04 - 2017

Le dernier livre de Hédi Yahmed, « J'étais à Raqqa – En fuite de l'Etat islamique » devrait, sans aucun doute, se positionner à la tête des ventes 2017. Le journaliste-chercheur y relate le quotidien d'un terroriste tunisien de 24 ans qui a rejoint les rangs de l'Etat islamique en Syrie en tant que soldat. Récit époustouflant !

Il s'appelle Mohamed Fahem, il est né le 23 avril 1990 à Dortmund en Allemagne (là même où il y a eu un attentat cette semaine contre un bus de l'équipe de foot locale) de parents émigrés tunisiens. A six ans, ses parents décident de rentrer à leur ville natale, Nabeul, pour que leurs enfants (deux filles et un garçon) ne s'éloignent pas de leur culture, de leur religion et de leurs traditions. Elevé dans une famille conservatrice, c'est le plus naturellement du monde que Mohamed fréquente les mosquées et les écoles coraniques où il apprend le coran avec une grande passion. Très grande. Il a même été récompensé par des prix régionaux et nationaux qu'il recevait, avec la plus grande fierté, des mains des représentants officiels de l'Etat. Cancre à l'école, après un incident en deuxième année primaire avec une institutrice non pédagogue, il a toujours été cet enfant turbulent, provocateur qui agresse physiquement ses camarades. Paradoxalement, il a toujours été cet enfant qui ne rate jamais ses prières, qui a une peur bleue du jour du jugement dernier et de l'enfer. L'islam, pour lui, est quelque chose de primordial. De fondamental.


Hiver 2008, première rencontre avec la police tunisienne. Mohamed participe à Nabeul à une partie de foot de quartier avec ses amis, tous fondamentalistes. A cette époque, il y avait des vagues de départ de jeunes Tunisiens pour le « djihad » en Irak et le salafisme commençait à être en vogue dans certains milieux. Les autorités réagissaient avec brutalité pour y mettre un terme. La partie de foot a été arrêtée, tous au poste ! Mineur, Mohamed échappe aux blasphèmes et tortures subis par ses amis et s'en tire avec un interrogatoire sur ses prières, ses maîtres religieux et ses fréquentations. Il rentre chez lui le soir même, mais ses amis sont transférés à Tunis. Cet incident lui fait détester la Tunisie et il en veut à sa mère d'être rentrée au pays, là où il n'y a pas de libertés. Il décide de revenir en Allemagne, mais les autorités le privent, sans raison légale, de son passeport. Obligé de rester en Tunisie, cette prison géante, il est de plus en plus intéressé par Al Jazeera, ce qui se passe en Irak et en Palestine et par la notion du djihad. Mohamed veut partir au combat sur les lignes de front contre l'ennemi. L'ennemi est tout trouvé, il est héréditaire, il est juif.

La révolution, plus on est de fous, plus on s'amuse !
Hiver 2010-2011, la Tunisie fait sa révolution. Mohamed y participe mu surtout par sa détestation, sans bornes, des forces de l'ordre. Il s'éclate à fond en s'attaquant à elles par les injures et les jets de pierre. Après le départ de Ben Ali, il rejoint les mouvements salafistes, leurs tentes de « bienfaisance ». C'était des points de rencontre et de mobilisation des djihadistes. Mohamed, qui s'est fait appeler Abou Zakaria comme le veut la coutume salafiste, était fier de ces démonstrations de force contre la gauche et le pouvoir chancelant. Obnubilé par les djihadistes rentrés d'Afghanistan et d'Irak,il devient assidu des conférences religieuses organisées par des cheikhs venus du Golfe où les appels au djihad étaient monnaie courante. C'est en cette période que Mohamed rencontre El Khatib El Idrissi, un septuagénaire aveugle de Sidi Ali Ben Aoûn qui jouit encore de sa liberté, malgré les multiples interpellations dont il a fait objet. Ce cheikh devient le maître spirituel, voire le maître à penser, d'Abou Zakaria.
Les appels au djihad se multiplient et le débat bat son plein entre les islamistes, toutes tendances confondues. Ceux qui veulent le djhad soft pour faire appliquer la Chariâa en Tunisie, ceux qui veulent le combat armé dans le pays et ceuxqui, comme Mohamed, voudraient rejoindre la Syrie pour y accomplir le djihad. Ces débats sans fin présentent les premières scissions entre les mouvances islamistes tunisiennes, sorties au grand jour au lendemain de la révolution. El Idrissi l'a vu de suite avec la naissance du mouvement terroriste « AnsarChariâa » et il a vu juste. N'empêche, en dépit de leurs désaccords, les différents mouvements savaient être unis quand il le fallait. Les jeunes salafistes sortaient ensemble aux grandes manifestations spectaculaires allant de la dénonciation de la diffusion de « Persépolis » sur Nessma TV à l'attaque de l'ambassade US en 2012 en passant par les provocations régulières du « taghout ». Le 6 février 2013, avec la mort de ChokriBelaïd, les salafistes reçoivent l'ordre, toutes tendances confondues, de descendre dans les rues défendre les bâtiments publics aux côtés des forces de l'ordre. « C'était surréaliste ! ».


En dépit de toute l'activité en Tunisie, Mohamed était attiré par la Syrie et le djihad. Il voulait aller rejoindre ses amis, mais on l'en a empêché à l'aéroport Tunis-Carthage. Il était déjà fiché. Ne désespérant pas, il tente le coup par les frontières terrestres avec l'Algérie à partir du point frontalier près de Kasserine. Mauvais choix, les forces de l'ordre étaient à l'époque sur le qui vive à cause des égorgements de soldats et la présence de terroriste au Chaâmbi. Mohamed est arrêté et violemment torturé dans un poste de police à Kasserine. Transféré à Tunis, il sera de nouveau torturé à Gorjani pour savoir où il allait et qui sont les terroristes avec qui il est en contact au Châambi. Il n'avouera rien se suffisant de dire qu'il partait faire du commerce en Algérie. En détention, dans l'attente de son procès, il est fortement maltraité par les gardiens de prison. Son procès arrive rapidement et il recouvre sa liberté, s'en tirant par une petite peine avec sursis. Nous sommes en août 2014. Il renoue le contact avec ses amis salafistes aussi bien en Tunisie qu'en Syrie ou en Irak. Il en cite plusieurs dont Mohamed Bakhti, mort en prison, après son arrestation au lendemain de l'attaque de l'ambassade US ou encore le terroriste AymenMechmech, époux de la nièce d'El Khatib El Idrissi.

Sous Mehdi Jomâa, on siffle la fin de la récré
Octobre 2014, l'étau se resserre avant même le déroulement des élections gagnées par les pires ennemis des salafistes. Les autorités font un assaut sur une maison à Oued Ellil où l'on tue 6 terroristes dont 5 femmes et AymenMechmech. Ce sont des proches de Mohamed Fahem avec qui il était en contact régulier. La police est remontée rapidement jusqu'à lui. Il est devenu très recherché, d'autant plus que son nom a été cité à plusieurs reprises dans les PV de justice. Il décide dès lors d'organiser sa fuite via la Libye. Il a réussi à passer à travers les mailles du filet, grâce à ses complicités, mais aussi grâce à un petit billet glissé à un policier dans un barrage sur la route menant vers Ben Guerdène.
C'est là qu'on lui présente un passeur à qui il donnera 1500 dinars pour lui faire traverser la frontière. Ce dernier prend l'argent et le jette loin de la ville l'obligeant à traverser le désert et la frontière à pied. L'éprouvante traversée réussit quand même à le mener jusqu'à un petit village libyen puis jusqu'à Masrata où il trouve plusieurs de ses amis tunisiens, installés là bas. Ces derniers sont contre son départ en Syrie et le pressent pour faire le djihad en Tunisie. Mohamed s'entête et part quand même.
Il arrive à l'aéroport d'Istanbul fin décembre 2014. La police des frontières lui sourit, lui le Tunisien. Mohamed est surpris par l'accueil et conclut que les autorités turques sont en train de faciliter le départ des Tunisiens vers l'Etat islamique, appelé Daech.

La Turquie qui souhaite la bienvenue
A Istanbul, la prise en charge fut immédiate. On lui confisque son passeport et on lui explique les modalités pour la traversée de la frontière turco-syrienne (ou plutôt turco-daechienne). Mohamed est aux anges. Son rêve de plusieurs années est accompli, il rejoint enfin « L'Etat » là où il n'y a pas d'injustice, là où il y a la Chariâa ! Il se présente là où il faut et il subit un examen en bonne et due forme sur ses connaissances religieuses, politiques et militaires. Il participe, contre son gré, à un stage de formation religieuse puis de maniement des armes. Il est ensuite envoyé à Raqqa, une ville de 220.000 habitants du centre de la Syrie, occupée par Daech en janvier 2014.
Mohamed se voit offrir un appartement délaissé par ses habitants (et appartenant donc désormais à l'Etat) et une voiture. Nourri, logé, blanchi, soigné, il bénéficie en plus d'une prime mensuelle de 50 dollars. Il est affecté à une brigade en tant que soldat d'attaque après avoir refusé catégoriquement d'être soldat kamikaze.
A Raqqa, le jeune de 24 ans prend rapidement contact avec ses amis tunisiens partis avant lui. Il était tout heureux de rencontre le célèbre rappeur Emino parti chercher le martyr en Syrie. Le lieu de rencontre des Tunisiens est la mosquée Ferdaws, appelée depuis Mosquée des Tunisiens. Son nouvel environnement lui plait, il apprend qu'il y a des « hôtels » où l'on peut acheter des esclaves femmes (prix allant jusqu'à 12.000 $ pour les plus jeunes). Il apprend que certaines esclaves sont maltraitées, mais que beaucoup d'entre elles tombent amoureuses de leurs « propriétaires » et les supplient de ne plus les revendre. Encore plus étonnant pour lui, certains propriétaires sont amoureux de leurs esclaves et leur achètent même des cadeaux. Dans d'autres hôtels, on propose des femmes pour le mariage légal, parmi les jeunes filles ou les veuves de martyrs. Le soldat émigré doit énoncer clairement son « cahier des charges » et l'émir de l'hôtel lui dit si le profil existe ou pas. Au cas où, il est autorisé à voir la femme et celle-ci ôte exceptionnellement le niqab pour lui en présence de l'émir et de son épouse. Le mariage ne saurait se conclure sans l'aval de l'intéressée.
Il apprécie énormément les campagnes de sensibilisation et didactiques dans les rues de Raqqa où l'on invite les femmes à faire preuve de pudeur et à porter le niqab, à ne pas fumer (le tabac y est strictement interdit)…
Il ne rate pas les attroupements de chaque vendredi sur une place publique où l'on lapide les désobéissants et l'on pend les traitres. Avec fierté et un peu de pitié (dit-il a posteriori), il participe à la lapidation d'une femme ayant eu des rapports sexuels hors mariage. Ou encore ces «non-jeûneurs » qu'on fait balader dans une cage à travers la ville. Cet état d'euphorie et de joie de la nouvelle vie fut cependant éphémère.

Le désenchantement de l'Etat islamique
Petit à petit, et au fil des jours, Mohamed constate que l'Etat islamique n'est pas si parfait que ça. Qu'il y a bel et bien de l'injustice. Il remarque ces longues files d'attentes de femmes niqabées en noir tendant une gamelle pour l'obtention d'une ration de riz. Alors qu'il est soldat attitré de Daech, il a du mal à accepter les contrôles très fréquents d'identité qui, une fois, l'a empêché de rejoindre à temps la mosquée pour sa prière du Moghreb. « Même la police de Ben Ali ne nous empêchait pas d'aller à la prière ! ». Il a même été raflé à la sortie d'une mosquée et il a dû attendre des heures (et une intervention de haut lieu d'un émir) pour être libéré.
Il a surtout été totalement déboussolé par les théories divergentes des émirs obéissant à des doctrines religieuses différentes. Il est ainsi revenu à plusieurs reprises sur cette permissivité des uns prétextant l'ignorance (et donc le pardon) et ceux qui rejettent catégoriquement l'argument de l'ignorance pour justifier la désobéissance des ordres divins. Mohamed et les Tunisiens étaient parmi ces derniers, ils étaient proches de la radicalité et de l'extrémisme. Le zèle démesuré dans l'interprétation des textes.
Et puis, ce qui le dérange le plus, c'est la discrimination que Mohamed, ses camarades et ses compatriotes subissent. Les combattants étrangers sont mal vus déjà par les autochtones. La réciproque est vraie, Mohamed voit du plus mauvais œil ces Syriens qui ne participent pas au djihad alors que lui, et des milliers d'autres soldats sont venus des quatre coins du monde pour leur offrir un Etat de droit islamique basé sur la Chariâa. Cette haine a grandi au fil des jours surtout que le commandement de Daech ménage clairement les autochtones et cherche toujours à les séduire. Et puis il y a une autre discrimination, celle-ci subie par les Tunisiens. Ces derniers ont la réputation à Daech d'être les plus zélés, les plus extrémistes, les plus sanguinaires. Dans les séances de torture, les Tunisiens sont réputés être les plus violents. L'explication est que la Tunisie de Bourguiba a libéré la femme et que ses hommes sont mous, incapables de prendre le dessus. Il y avait pour les combattants tunisiens de Daech une revanche à prendre et une réputation à asseoir. La conséquence est qu'ils sont devenus les plus détestés au sein même de l'Etat islamique.




LesDaechiens tunisiens, les plus haïs de tous
Entre deux combats au front, où il prend plaisir à vivre son rêve de voir le sang et de marcher sur les cadavres, Mohamed apprend ce qu'il est advenu d'autres Tunisiens, dont notamment Kamel Zarrouk ce combattant réputé et craint de Djebel Lahmar (quartier populaire de Tunis) qui a participé à la fondation même de l'Etat islamique. A Raqqa, Zarrouk a été tué dans des conditions obscures, mais le sujet est tabou et les soldats ont peur d'en parler. Ici, à l'Etat islamique, le maître-mot est « écoute et obéissance », on ne doit pas discuter, on ne doit rien discuter. L'accusation est toute prête et elle est tirée d'un hadith : atteinte au moral des troupes. La sanction peut aller jusqu'à la mort. La rumeur circulant à Raqqa est qu'il y a eu quelque cinq cents Tunisiens combattants de Daech exécutés par Daech. Les témoignages fusent, cinq ans de prison en Tunisie valent mieux qu'un jour dans une prison de l'Etat islamique. Le sentiment de terreur commence par gagner Abou Zakaria. Il est atteint d'une jaunisse et le médecin lui ordonne un congé maladie. Il connaitra le paroxysme de la discrimination et de l'injustice un soir quand on est venu frapper à sa porte. Il sort et entrevoit une personne au loin qu'il rattrapa rapidement. Il croit avoir affaire à un voleur, c'est un autochtone. Il le frappa de plusieurs coups avec la crosse de sa Kalachnikov et appelle la police. La confrontation ne donne rien et l'autochtone est mis au cachot en attendant le procès. Confrontation devant le juge et l'autochtone s'en tire avec un « non-lieu ». Mohamed y voit le laxisme des autorités qui cherchent à ménager les autochtones au détriment des combattants qui ont parcouru des milliers de kilomètres et quitté leurs pays. Ce n'est pas fini, le juge rappelle Mohamed et l'interroge pour savoir s'il a bien frappé le Syrien. « Pour moi, c'est un voleur », répond-il. Le juge n'est pas d'accord avec cet abus et condamne le Tunisien à vingt coups de fouet. C'en est trop pour Abou Zakaria, sa décision est prise, il doit fuir l'Etat islamique. En attendant, il joue aux délateurs des autochtones. Il prend sa voiture et épie les fumeurs en cachette et les femmes dont le niqab ne cache pas totalement les yeux. Il les arrête et appelle par talkie walkie la police islamique pour prendre, ensuite, un malin plaisir à les voir en prison ou châtiés.
Il sait qu'en entreprenant ce projet de fuite, il risque tout simplement la peine capitale. Sa décision est davantage appuyée par le sentiment que ses supérieurs sont en train de les envoyer au casse-pipe pour des combats perdus d'avance. « Ils veulent se débarrasser des combattants en les envoyant à la mort », se dit-il.
Sa détermination réussit encore une fois, il prend la fuite avec un couple de Tunisiens et leurs enfants, après avoir bradé deux Kalaches à 1000$ pour payer le passeur. Nous sommes en janvier 2016. Celui qui l'a aidé ? Le Front Ennosra, ennemi de Daech et de l'armée syrienne…

L'angle de vue de HédiYahmed
Tantôt dessiné comme humain et amoureux (de sa maman et de sa dulcinée), tantôt comme un terroriste sanguinaire et haineux, HédiYahmed a essayé autant que possible de prendre de la distance par rapport à Mohamed Fahem. Son statut de journaliste l'oblige à relater les faits tels quels. Il se devait de s'empêcher de rendre son personnage sympathique et il s'est empêché de le rendre abject. L'exercice était délicat et HédiYahmed a prévenu son lecteur dès la préface. La conclusion que suggère l'auteur est qu'Abou Zakaria est une victime d'un système créateur de schizophrènes : « votre marchandise vous a été rendue », dit-il à la dernière page.
Est-ce la police de Ben Ali qui a créé Mohamed Fahem ? Ou plutôt les interprétations divergentes du coran ? Ou encore la et les révolutions qui ont autorisé tous les excès ? Ou bien des antichambres à Washington, à Istanbul et Moscou ? Ou encore les trois à la fois. Les chercheurs ont du pain sur la planche. Comme Mohamed Fahem, il y en a des milliers parmi les jeunes Tunisiens. Ceux qui ont été déçus et recouvré le droit chemin sans être arrêtés, ceux qui sont mort au combat, ceux qui ont été tués par leurs propres idoles, ceux qui sont en prison regrettant ad vitam aeternam leurs stupidités. Il y a ceux qui sont rentrés au pays et ceux qui ne sont jamais rentrés, mais tentent de se refaire une vie. Bien qu'ils semblent être majoritaires, on reste toujours préoccupés par ceux qui sont rentrés ou ceux qui ne sont pas rentrés, mais qui n'ont toujours pas changé leur fusil d'épaule et rêvent encore de Djihad et d'Etat islamique.

Nizar Bahloul
« J'étais à Raqqa – En fuite de l'Etat islamique », 270 pages, en langue arabe, Arabesques Editions – 15 dinars.


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