Nidaa Tounes poursuit son inexorable fuite en avant. Décisions unilatérales, positions hasardeuses, conflit interne qui s'éternise, accointance avec certaines figures de la contrebande… Le parti qui a gagné les dernières élections, se tire une balle dans le pied en se délestant ou en marginalisant ses cadres qui ont pourtant fait son ADN. La guerre est ouverte contre les femmes de Nidaa qui ont dit non aux pratiques staliniennes de la direction du parti. Il ne fait pas bon être une femme à Nidaa Tounes, surtout une femme qui exprime un avis contraire à celui du tandem Hafedh Caïd Essebsi-Sofiene Toubel. Erigé en maître absolu du parti, HCE ne supporte pas qu'on le contredise en bon démocrate qu'il est. Gare à celles qui dévieront du chemin. Pressions, harcèlements, limogeages arbitraires, les attendent assurément. Récemment, ce sont quatre députées qui ont été éjectées du parti.
Dernière « victime » en date, la députée Sabrine Ghoubantini. La jeune élue n'a pas froid aux yeux et a toujours dénoncé les écarts de la direction. Fin mai, un communiqué signé par le directeur exécutif, annonce la décision de geler toutes ses activités des structures du parti. Décision basée sur une pétition de 42 élus dénonçant un « mauvais comportement portant atteinte à la réputation et à l'unité du parti » (sic). Ghoubantini riposte et elle tire à boulets rouges sur ses détracteurs et leurs méthodes. Ce sont ses positions soutenant le gouvernement dans sa lutte contre la corruption qui ont amené, selon elle, à son éjection. D'ailleurs, la députée ne s'en étonne pas et explique qu'elle s'y attendait puisqu'elle a été harcelée pendant des mois. Virée sans revenir aux membres de Nidaa, une minorité au sein du parti contrôle la majorité avec des procédés peu orthodoxes, affirme-t-elle, tout en accusant plusieurs membres dirigeants d'être impliqués dans des affaires de corruption. Plus grave encore, Sabrine Ghoubantini persiste et signe en assurant détenir des informations dangereuses sur une réunion de Nidaa qui touchent à la sécurité de l'Etat et du pays. Se défendant, une plainte est déposée contre l'élue par Nidaa « en attendant qu'elle prouve ses allégations ». Et des preuves, Mme Ghoubantini semble en avoir. Auditionnée lundi par le juge d'instruction militaire, elle étaye ses déclarations par des données, des documents et des enregistrements audio. Des noms sont également cités. Ce déballage enfonce encore plus les dirigeants de Nidaa sur lesquels pèsent de sérieux soupçons.
Avant que vienne le tour de Sabrine Ghoubantini, la machine Nidaa a eu raison de Leila Chettaoui, présidente de la commission d'enquête sur les réseaux d'embrigadement. Après des mois de harcèlements et de pressions, elle est éjectée d'une manière humiliante. Son seul tort, c'est d'avoir tenu bon et d'avoir déterré les squelettes bien enfuis au fond des placards. Mise en cause par le parti dans l'affaire des enregistrements fuités sans preuves aucunes, son « Nidaa Tounes me fait peur pour la Tunisie », sonnait comme une alerte sur l'étendue des magouilles au sein du parti. Elle aussi attirait l'attention sur la dangerosité du contenu des enregistrements et sur les louches méthodes du directeur exécutif. « Hafedh Caïd Essebsi est un cheval de Troie qui sert une panoplie de personnes, qui ont des ambitions politiques et des intérêts financiers qui n'ont rien à avoir avec le projet de Nidaa ou encore les intérêts de la Tunisie ». C'était bien avant la campagne Mani Pulite lancée par le gouvernement. Mais elle aussi a été poussée à la porte…
Des militants de la première heure, il en reste de moins en moins au parti, qui s'est mis à intégrer de nouvelles figures qui, à première vue, ne représentent aucunement les valeurs sur lesquelles s'est construit Nidaa. L'opération épuration menée par la direction a touché deux autres députées qui ont tenu tête aux dirigeants. Le parti qui se targue de ses 1 million de votes féminins, se débarrasse de ses représentantes sans états d'âme. Leila Ouled Ali a jeté l'éponge et a largué le bloc parlementaire de Nidaa, l'accusant d'écarter toute intention de réforme et dénonçant l'absence de tout dialogue au sein du parti. Elle était tête de liste de Nidaa pour la circonscription Tunis 1. Circonscription reluquée par le candidat Hafedh Caïd Essebsi mais qui lui a été refusée à l'époque. La vengeance n'a pas tardé à frapper… Du côté de Nejia Ben Abdelhafidh, son renvoi a été décidé par le bureau du bloc et sans qu'il y ait réunion. Pour quelle raison ? L'élue a osé critiquer le voyage effectué par certains de ses collègues en Libye et qui y avaient accompagné le lobbyiste, aujourd'hui sous les verrous, Chafik Jarraya. Elle avait présenté sa démission du bloc expliquant qu'elle n'était pas au courant de cette visite et qu'elle ne la représente pas. La vengeance n'a pas tardé à frapper une seconde fois… Sauf que cette fois-ci le parquet militaire est en train d'enquêter sur ce voyage. Donnera-t-il raison à Mme Ben Abdelhafidh ? On le saura bien assez tôt. Les informations à notre disposition font état de suspicions qui pèsent sur ces députés pour avoir facilité le passage en Tunisie de Libyens interdits d'accès pour des raisons sécuritaires. Mais encore, ils auraient rencontré au cours de cette visite des représentants de groupes armés libyens…
Wafa Makhlouf n'a pas mâché ses mots après le limogeage de ses collègues, qualifiant la démarche de la direction de mascarade. Elle non plus n'est pas à l'abri des harcèlements, mais cela ne l'a pas empêchée de révéler au grand jour les dépassements commis par le directeur exécutif et le président du bloc parlementaire. Ses positions tranchées, lui vaudront-elles sa place au parti ? Les jours à venir nous le diront.
En poursuivant sa « purge », la direction de Nidaa ne semble pas être consciente qu'elle sonne le glas d'un parti, qui n'a pas su se montrer à la hauteur de la responsabilité qui lui incombait. Pire encore, la direction continue sur sa lancée, en négligeant de considérer les conséquences futures de ses actions. Le naufrage n'est pas bien loin.