A la première arrestation de non-jeûneurs, on avait cru à l'excès de zèle, à la deuxième, on se pose des questions. Paye-t-on des impôts pour que des juges surveillent la bonne application des préceptes du Ramadan ? Si c'est le cas, à quand l'application de la Chariâa qu'on en finisse ? Quand on jeûne, on le fait pour soi. Normalement, être musulman est un choix. Un choix dont découle l'application et le respect des préceptes de l'Islam. Ceux qui décident de jeûner pendant un mois le font parce qu'ils sont convaincus, qu'ils souhaitent se rapprocher de Dieu par un rite religieux comme il y en a des dizaines à travers le monde. De l'autre côté, il existe des personnes qui n'ont pas fait le même choix. Faut-il leur en vouloir et leur imposer le choix de la majorité ? Si je décide de ne pas mettre de manteau quand il fait -10°c pour me rapprocher de mon Dieu, dois-je demander à mon voisin d'en faire autant ? Et surtout, ai-je le droit de lui crier que la vue de son manteau écorche mes sentiments et qu'il doit me respecter en se cachant pour le mettre?
Les jeûneurs, à différencier des musulmans, ont des sentiments fins. Des sentiments que l'on peut vite écorcher si on ne prend pas en considération la terrible souffrance qu'ils s'infligent. Donc, il ne faut pas qu'ils voient ceux qui ne jeûnent pas. Admettons. Mais ces dociles brebis, dont la piété a une date limite d'un mois, ne se sentent-ils pas offensés par d'autres choses qu'un casse-croute ou une clope ? Au hasard, les pieux jeûneurs de Tunisie ont été les témoins d'une arnaque dont ont été victimes deux citoyens subsahariens devant la mosquée Al Fath. Quand les deux Africains ont contesté le fait d'être arnaqués, les innocentes ouailles d'Allah les ont agressés physiquement alors que les spectateurs leur demandaient de rentrer chez eux. Quand un Tunisien a tenté de s'interposer, il a été pris en grippe par les vendeurs et l'un d'eux l'a poursuivi à moto jusque devant le poste de police. Et une fois au poste de police, ce Tunisien a été ignoré et sa plainte a à peine été enregistrée par les flics. Alors ? Choquant ou pas ? Est-ce que les doux agneaux du Ramadan sont dérangés par ce genre de comportement ? Apparemment non, puisqu'ils y participent.
Les non-jeûneurs ont eu l'idée d'organiser une manifestation devant le ministère du Tourisme. Une manifestation qui n'a pas réuni grand-monde. Elle est surtout intéressante en ce qu'elle a déclenché comme réactions. Des réactions, comme on peut s'en douter, pleines de compassion, de compréhension, d'ouverture d'esprit et de gentillesse, venant de nos pieux jeûneurs défenseurs de la religion. Une fille, visiblement frustrée, a espéré qu'il y ait un « vrai » homme qui écraserait ces « mécréants » avec une voiture ou un camion, rappelant ainsi le mode opératoire de Daech dans certains attentats. D'autres y ont vu une émanation du printemps arabe qui lui-même a été organisé depuis le début par les forces franc-maçonnes, sionistes, occidentales, atlantistes et autres. Tout cela, évidemment, baigne dans une mer d'insultes, d'invectives et de menaces. Apparemment, ne pas manger ni boire, ça met de mauvaise humeur. Je parle de manger et de boire parce que c'est uniquement cela le Ramadan pour beaucoup de jeûneurs. Parce que les mêmes défenseurs de la religion n'hésitent pas à siffler les filles dans la rue, et ils seraient prêts à rompre leur jeûne pour croquer du fruit défendu. Les mêmes n'hésitent pas à mentir, à inventer des excuses pour ne pas aller travailler ou pour jeter leur poubelle par la fenêtre.
A chaque Ramadan, on a droit au même cirque. Un ballet d'hypocrites et de menteurs qui donnent des leçons à qui veut en prendre et à qui ne veut pas, d'ailleurs. On se drape d'un voile de vertu qui part en mille lambeaux à la première « provocation ». Saleté des rues, corruption galopante, chômage, problèmes de santé et d'éducation, mais notre souci premier est de bien se cacher pour manger pendant le Ramadan. Il nous reste décidément un long chemin à faire.