Depuis près d'une semaine on déblatère, on s'attaque les uns les autres, on appelle à des fatwas, on lance des accusations de sacrilège, de blasphème, certains même en deviennent menaçants, tellement l'islam et son livre sacré se retrouvent confrontés à un danger sans précédent sur cette terre qui n'en finit pas de se montrer impie qu'est la Tunisie. Le clivage idéologique refait surface, après une période assez paisible grâce au sacrosaint consensus et à cette union nationale tant vantée, qui arrive aujourd'hui en bout de chemin. C'est un fait qui n'a plus besoin d'être démontré, la Tunisie est scindée en deux. Entre les sécularistes, qui tendent à briser ce plafond de verre axiologique du sacré et du profane, et les islamo-conservateurs dans le rôle des preux défenseurs des valeurs religieuses, la hache de guerre est déterrée.
La pomme de discorde est jetée à l'occasion de la fête nationale de la femme par le président de la République, en ouvrant le débat sur l'égalité successorale et le mariage des Tunisiennes (supposées être toutes de confession musulmane ce qui est absurde) avec des non-musulmans. Habile manœuvre de diversion politique ou véritable volonté de changer les choses et de s'inscrire dans l'Histoire contemporaine du pays, ou bien les deux à la fois, peu importe. Comme un diablotin jaillissant de sa boîte,la question identitaire a ressurgi de plus belle. Les camps se reforment, on serre les rangs, on s'affronte et on s'exclue mutuellement. C'est que le débat est tout bonnement stérile. Chaque argument du camp et du camp adverse, tombe dans l'oreille d'un sourd.
Pour seule cause, le poids d'un dogme religieux sclérosé, qui s'est mis sur pause et s'est figé dans les réminiscences de temps ancestraux. Pas touche à la question de l'héritage ! Interdiction de permettre à nos filles d'épouser des non-musulmans ! Et puis quoi encore, on se retrouverait au final avec des femmes imams ou des femmes qui exigeraient tout bonnement d'être considérées comme étant cheffes de famille au même titre que l'homme. Cet être faible qu'on est censé dorloter mais aussi tenir sous sa coupe, aurait tous les droits que le bon dieu a bien voulu concéder aux hommes. Quelle aberration ! La riposte des islamistes ne s'est pas fait attendre. Alors que le mouvement Ennahdha se peaufinait depuis quelque tempsl'image d'un parti qui « se sécularise », prétendant séparer le politique de la prédication, les réactions à chaud de certains de ses dirigeants ont fait ressurgir la profonde affiliation idéologique de nos Frères. Mais nos islamistes sont bien rusés et ils savent qu'il ne serait pas dans leur intérêt d'adopter une position trop virulente. Ils se sont donc remis à leur exercice favori d'équilibrisme, entre une base conservatrice et une nouvelle stratégie qu'ils comptent bien préserver. « Le parti Ennahdha n'est pas un mufti et il est tenu, comme tout le monde, de respecter la constitution », déclarera jeudi Abdelfatteh Mourou, avant d'annoncer qu'une commission sera créée au sein du parti pour « étudier la question ». C'est que la Tunisie est supposée être un Etat civil, ayant énoncé dans l'article 46 de sa constitution (l'une des meilleures au monde dit-on…)l'égalité entre la femme et l'homme dans tous les domaines. En toute logique, notre constitution prévoit donc l'égalité au niveau de l'héritage. Rien à redire jusque-là. Sauf que les détracteurs d'un tel projet s'appuient sur une contradiction inscrite dans cette même constitution, qui n'est autre que l'article premier disposant que l'islam est la religion de l'Etat. Du coup, c'est la brèche par laquelle se sont faufilés des oulémas de la Zitouna, à leur tête l'ancien mufti de la République et l'ancien ministre des Affaires religieuses, l'extrémiste Noureddine Khadmi, pour dénoncer « une démarche dangereuse pour la société tunisienne ». Mon humble personne essaye de comprendre sans y parvenir où résiderait la dangerosité d'une égalité successorale entre les deux sexes pour notre société. Avoir embrigadé des jeunes, les poussant à rejoindre par centaines les rangs des terroristes en Syrie, me semble un tantinet plus dangereux qu'une histoire d'héritage. Mais bon, le sacrosaint consensus est passé par là entre temps…
Bref, nous nageons en plein dialogue de sourds. Pourtant, ce débat il fallait le lancer un jour ou l'autre. Les défenseurs du « il est trop tôt » ou du « ce n'est pas le moment », n'ont qu'à aller se recoucher. Parce que ça ne serait jamais le moment autrement, parce qu'on est au contraire très en retard. L'égalité absolue des droits (des devoirs aussi) n'est pas un cadeau qu'on concède à la femme. C'est le pur bon sens qui l'impose. Discriminer une bonne partie de la société pour son genre, même positivement, n'a plus lieu d'être. Qu'on en finisse et qu'on passe à autre chose.