Le citoyen Khomsi Ben Sadek Eliferni est mort hier lors des affrontements déclenchés sous couvert de manifestations contre la Loi de finances. Ceux qui ont appelé à un « mouvement populaire généralisé » n'avaient pas prévu que les choses allaient dégénérer de la sorte…ou alors, l'ont très bien prévu. Le Front populaire avait appelé la semaine dernière les citoyens à sortir manifester dans la rue pour protester contre les dispositions de la Loi de finances et les nombreuses hausses qu'elle comporte. Un appel a été lancé à « toutes les forces politiques, sociales, nationales et progressistes, ainsi qu'à l'ensemble du peuple tunisien touché par les récentes augmentations des prix des produits à unir les rangs, en luttant civilement et pacifiquement en vue d'annuler ces procédures et de suspendre l'application de la Loi de finances 2018 ». Hier, plusieurs manifestants ont répondu à l'appel. Dans plusieurs villes du pays, des slogans ont été scandés contre la LF 2018. Voulues pacifistes, ces manifestations nocturnes se sont vite muées en heurts violents avec les forces de l'ordre. Un manifestant est mort, plusieurs agents de police ont été blessés et des locaux ont été saccagés et vandalisés. Des pilleurs et des casseurs se sont mêlés aux manifestants nocturnes et ont transformé la rogne populaire en une nuit de vandalisme. Prévisible. Et pourtant…
Aujourd'hui, le même Front populaire tient une conférence de presse. Non pour s'excuser et pour reconnaitre sa responsabilité dans la situation qui a dégénéré hier. Non pas pour dire : « Oui nous avons été stupides, nous nous sommes laissés emporter et nous le reconnaissons». Non, c'est la tête froide et le discours bien plat que les dirigeants de gauche se sont présentés aujourd'hui face à l'opinion publique pour reprendre le même discours. « C'est la coalition au pouvoir qui est responsable ! » avait dit Hamma Hammami. Ça aussi c'était prévisible. Encore une fois, le Front populaire a raté sa chance de constituer une opposition forte et défendant les droits des minorités pour devenir une sorte de marionnettiste de mouvements protestataires avortés dans l'œuf. Encore une fois, l'opposition a réussi à déplacer le débat. Non pas à apporter des solutions qui pourraient susciter un quelconque intérêt mais à oublier la LF 2018 et parler des dégâts causés par la colère populaire qu'ils ont eux-mêmes attisée. Si la Loi de finances est certes critiquable et qu'il est vrai que le Front a été l'un des rares à avoir voté contre, qu'a-t-il fait, en revanche, pour apporter un soupçon de changement ?
Les manifestants qui sont sortis revendiquer leurs droits hier, pacifiquement, ne comprennent pas qu'ils ont « fait une révolution » afin de continuer à subir le chômage, la cherté de la vie et de voir leur dignité bafouée. Ceci est compréhensible. Tous ces slogans sont bien louables et tout cela est bien beau sur le papier. Mais dans les faits, l'Etat tunisien a-t-il aujourd'hui les moyens de garantir tout cela à très court terme sans passer, nécessairement et dans l'immédiat, par une politique d'austérité que les citoyens seront les premiers à supporter ? C'est la question à des milliards de dinars ! S'il est très difficile d'y répondre, il faut au moins reconnaitre que ceux qui défendent cette loi ont au moins le mérite de présenter des arguments solides. Le spectre d'expériences internationales terrifiantes est trop proche pour que l'on prenne le risque de s'y engouffrer. Les députés de l'ARP, comme toujours, préfèrent reculer afin de n'assumer aucune responsabilité. Tirer sur le gouvernement pour des dispositions dont ils sont, en partie, responsables, est tout simplement lâche mais tout aussi prévisible. Décembre, les élus de l'ARP votent ou participent au vote, d'un texte de loi. Ils viennent le dénoncer en janvier. Comme alternatives, l'opposition tunisienne verse dans les slogans populistes, trop faciles à formuler et sans même en assumer les conséquences. On préfère se retirer du gouvernement ou attiser la colère, bien légitime, des citoyens que de jouer pleinement son rôle. Tout cela pour camoufler le fait que, eux-non plus, n'ont pas de meilleures alternatives à proposer. De quoi répondre donc à cette fameuse question…
Face à la situation actuelle, toutes les décisions concrètes et effectives sont douloureuses. Encore plus douloureuses, celles qui se détacheront de tout calcul politique afin de privilégier l'intérêt national. Intérêt national encore plus illusoire lorsque l'on sait que les élections pointent leur nez et que plusieurs affutent leurs discours au moyen de slogans toujours aussi populistes et toujours aussi peu constructifs…